Question de Mme ESTROSI SASSONE Dominique (Alpes-Maritimes - Les Républicains) publiée le 17/10/2024

Mme Dominique Estrosi Sassone attire l'attention de Mme la ministre du travail et de l'emploi sur la grave crise affectant la médecine du travail dans notre pays.
Selon une récente étude de l'observatoire de la mutualité française, une majeure partie des salariés du secteur privé ne bénéficient pas de leur visite annuelle auprès d'un médecin du travail, tandis que 28 millions de chefs d'entreprise et de travailleurs indépendants déclarent ne pas être suivis médicalement dans la structure où ils exercent leur profession.
Dans les Alpes-Maritimes, la médecine du travail est la dernière spécialité choisie par les étudiants, une situation qui augure une aggravation des pénuries dans tous les territoires, y compris ceux qui se trouvent être actuellement les moins exposés à ce phénomène.
Ce manque de praticiens du travail est pourtant un phénomène structurel et ancien. Fruit d'une crise des vocations entamée il y a près de quinze ans, il se traduit numériquement par une perte de 21 % des effectifs depuis 2010, qualitativement par une dilution du suivi nécessaire au bien-être des travailleurs et s'avère particulièrement marqué en raison de la moyenne d'âge plus élevée des médecins de cette catégorie.
Elle souhaite savoir ce que le Gouvernement compte mettre en oeuvre pour renforcer l'attractivité de la médecine du travail en tant que spécialité et ainsi enrayer la baisse préoccupante du nombre de médecins du travail à travers la France.

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Transmise au Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé du travail et de l'emploi


Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé du travail et de l'emploi publiée le 13/02/2025

La santé au travail est effectivement confrontée à une dégradation structurelle des effectifs de médecins du travail, liée notamment à une population vieillissante et à un manque d'attractivité de la profession. Le nombre de médecins a en effet diminué de 15 % en 10 ans, passant de 5 108 médecins en 2012 à 4 265 en 2023. Les projections de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques prévoient une dégradation de la situation à moyen terme, avec un creux prévu en 2030 (3 565 médecins en poste à cette date selon les projections). Face à cette situation, plusieurs leviers ont été actionnés suite à l'adoption de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. Celle-ci a notamment ouvert les possibilités de délégations de visites vers les infirmiers de santé au travail dans le but de libérer du temps médical et ainsi permettre aux médecins du travail de se consacrer aux visites médicales les plus complexes et à la prévention en entreprise. Ainsi, en application du décret n° 2022-679 du 26 avril 2022, les infirmiers en santé au travail peuvent se voir déléguer l'ensemble des visites du suivi médical des travailleurs, à l'exception des visites d'embauche et de renouvellement des salariés en suivi individuel renforcé ainsi que de la visite post-exposition mentionnée à l'article R. 4624-2-1 du code du travail. La loi crée par ailleurs un cadre très clair pour permettre aux Services de prévention et de santé au travail (SPST) de recourir aux outils de télésanté au travail. Sous réserve de l'accord du salarié et de l'appréciation du médecin du travail sur l'opportunité du dispositif, les consultations à distance donnent de la souplesse aux services dans leur organisation, tout en préservant la qualité du suivi. La télésanté représente en outre une solution pour répondre aux besoins des entreprises et des salariés situés dans des territoires sous-dotés en termes de ressources médicales. Enfin, le recours possible à des médecins de ville - dits « médecins praticiens correspondants » - pour les visites les plus simples, dans le cadre de protocoles de collaboration conclus avec les SPST, est un autre outil pour répondre à la problématique de la pénurie de médecins du travail. Cette mesure, dont les modalités d'application ont été précisées par le décret n° 2023-1302 du 27 décembre 2023, ouvre à terme de nouvelles possibilités de recrutement dans les territoires concernés par la pénurie de médecins du travail. Il est important que ces dispositions, qui offrent de véritables leviers, fassent l'objet d'une large appropriation par les SPST. Malgré une situation dégradée en termes de ressources médicales, la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a pour ambition d'élargir le suivi médical en santé au travail aux chefs d'entreprise et aux travailleurs indépendants qui ne bénéficiaient pas du suivi de leur état de santé par la médecine du travail. Les chefs d'entreprise peuvent ainsi bénéficier de l'offre de services proposée à leurs salariés, et 2 319 d'employeurs non-salariés en ont bénéficié en 2023. Les travailleurs indépendants ont la possibilité d'adhérer au SPST interentreprises de leur choix afin de bénéficier d'une offre spécifique de services en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel et de prévention de la désinsertion professionnelle ; 1 024 travailleurs indépendants ont adhéré à un SPST en 2023. Au-delà des outils créés par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, des réflexions sont en cours pour construire un plan d'action intégrant des mesures concrètes visant à pallier le déficit structurel de médecins du travail. Une première piste consiste à favoriser le recrutement de nouveaux médecins, notamment en facilitant et simplifiant les dispositifs de reconversion vers la médecine du travail (via, par exemple, la formation de collaborateur-médecin) ou par une augmentation du nombre de médecins diplômés hors Union européenne autorisés à intégrer la Procédure d'autorisation d'exercice (PAE), qui vise à la reconnaissance de leur diplôme obtenu à l'étranger. En 2024, le nombre de postes ouverts aux médecins étrangers diplômés hors Union européenne autorisés à intégrer la PAE a ainsi été relevé à 65 postes, nombre identique à celui de 2023, alors que seulement 3 postes étaient ouverts en 2021 et 2022. Une deuxième piste porte sur le renforcement de l'attractivité de la spécialité médecine du travail auprès des étudiants. Elle vise notamment à renforcer la place de la santé au travail au sein des études de médecine ou à organiser des actions de communication auprès des étudiants de la filière médecine, dans le but d'augmenter le nombre de places pourvues en médecine du travail à l'issue du second cycle des études de médecine. Enfin, une des pistes envisagées consiste à revoir le périmètre et les modalités d'intervention du médecin du travail afin d'optimiser l'utilisation des ressources médicales. Il s'agirait d'étendre le champ de la coopération entre les médecins et les infirmiers (par exemple, dans le cadre du renouvellement des visites d'aptitude), et d'engager une réflexion sur le périmètre des risques donnant lieu à un suivi individuel renforcé du travailleur, pour lequel le suivi médical est de la compétence du médecin. Ces évolutions nécessitent toutefois un travail important d'analyse et requièrent une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. Certains leviers en matière de recrutement et d'attractivité doivent faire l'objet d'une collaboration renforcée entre administrations. Le concours d'autres ministères, en premier lieu le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, devra également être sollicité pour la mise en oeuvre de certaines mesures, notamment celles relatives à l'enseignement de la médecine du travail et à l'attractivité de la profession.

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