Question de Mme CORBIÈRE NAMINZO Evelyne (La Réunion - CRCE-K) publiée le 10/10/2024

Mme Evelyne Corbière Naminzo attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice Mme Evelyne Corbière Naminzo attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la non-application en France de la directive du Parlement européen exhortant les États à ne pas reconnaître le syndrome d'aliénation parentale (SAP) dans leurs pratiques judiciaires. Théorisé dans les années 1970 par le pédopsychiatre américain Richard Gardner, et non reconnu par la communauté scientifique, le SAP est une construction controversée par laquelle ledit parent aliénant amènerait son enfant à partager des idées fausses sur l'autre parent. Ainsi, dans les cas d'inceste, il est fréquent que le parent agresseur tienne le parent protecteur pour responsable des plaintes de l'enfant. Souvent, la diffusion de ce concept détourne la responsabilité en dirigeant l'attention contre le parent protecteur, suspecté de manipuler son enfant. Ce concept permet au parent agresseur de discréditer la parole de l'enfant qui révèle l'inceste qu'il subit, et de renverser la culpabilité au détriment du parent protecteur. Le SAP est dénoncé par plusieurs magistrats, psychiatres et chercheurs, mais aussi par la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE). Dans l'ouvrage collectif « Violences sexuelles, en finir avec l'impunité », le juge pour enfants et ancien président de la CIIVISE souligne que ce concept contribue à occulter les violences dénoncées par les enfants, à l'heure où 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles tous les ans en France. Dans sa résolution du 6 octobre 2021 sur les conséquences des violences conjugales et des droits de garde sur les femmes et les enfants, le Parlement européen exhorte les États de l'Union européenne « à ne pas reconnaître le SAP dans leur pratique judiciaire et leur droit », avec l'argumentation suivante : « deux des institutions les plus prestigieuses en matière de santé mentale, à savoir l'organisation mondiale de la santé et l'association américaine de psychologie, rejettent le recours à la notion de syndrome d'aliénation parentale et à d'autres notions et expressions du même ordre, car elles peuvent être employées au détriment des victimes de violence pour remettre en cause leurs aptitudes parentales, écarter leurs propos et faire abstraction de la violence à laquelle les enfants sont exposés; (...) les services et acteurs étatiques, y compris par ceux qui décident de la garde des enfants, doivent considérer les accusations d'aliénation parentale portées par des pères abusifs à l'encontre des mères comme la continuation du pouvoir et du contrôle de ces derniers ». Cependant, cette résolution n'est pas toujours appliquée en France. Pour protéger les enfants victimes d'inceste, elle lui demande donc d'en garantir l'application en diffusant une circulaire à ce sujet.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 12/12/2024

Dans le cadre de procédures judiciaires, le « syndrome d'aliénation parentale » est régulièrement invoqué par l'une des parties, soit dans les situations de séparations conflictuelles impliquant des questions de garde d'enfant, soit dans les contextes de violences alléguées au sein du couple ou sur l'enfant. Le ministère de la justice rappelle que ce syndrome ne fait pas l'objet de consensus médical. Ainsi, l'Organisation mondiale de la santé ne l'a pas retenu dans la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11). Sur le volet civil, le ministère de la justice a, par voie de dépêche en date de mars 2018, alerté les magistrats, et plus particulièrement les juges aux affaires familiales, sur le caractère particulièrement controversé du concept du syndrome d'aliénation parentale, et rappelé la possibilité de recourir à d'autres dispositifs pour garantir la protection et l'intérêt de l'enfant. Ainsi, lorsqu'un syndrome d'aliénation parentale est invoqué par les parties, les juges peuvent demander à un expert d'évaluer les éventuels mécanismes d'emprise que peut exercer le parent sur l'enfant, outre le recours à d'autres mesures d'investigation (enquête sociale, par exemple) ou à l'audition de l'enfant, sous réserve que celui-ci soit capable de discernement. L'examen de la jurisprudence civile postérieure à la diffusion de cette dépêche établit que les magistrats n'ont pas recours au syndrome d'aliénation parentale pour motiver leurs décisions, notamment lorsqu'ils statuent sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, mais aux concepts de « conflit de loyauté », de « conflit parental ou d'emprise » dont l'assise scientifique n'est pas controversée. La diffusion d'une circulaire sur le « syndrome d'aliénation parentale » n'apparaît donc pas nécessaire. Par ailleurs, plusieurs avancées majeures ont été récemment réalisées pour mieux protéger les enfants. Ainsi, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales permet au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention de suspendre le droit de visite et d'hébergement du parent mis en examen des chefs d'infraction commise soit contre son conjoint soit contre ses enfants ou ceux de son conjoint et placé sous contrôle judiciaire (article 138-17° du code de procédure pénale). Le décret du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l'effectivité des droits des personnes victimes d'infractions commises au sein du couple ou de la famille a également créé un article D. 47-11-3 au sein du code de procédure pénale. Désormais, lorsqu'un parent mis en cause pour non-représentation d'enfant allègue que les faits qui lui sont reprochés sont justifiés par des violences ou toutes autres infractions relevant de l'article 706-47 commises sur le mineur par la personne qui a le droit de le réclamer, le procureur de la République doit faire vérifier ces allégations avant toute poursuite pour non-représentation d'enfant. Enfin, la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales a créé un article 378-2 du code civil, qui prévoit désormais un dispositif de suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour des faits de crime commis sur l'autre parent ou sur son enfant ou pour des faits d'agression sexuelle incestueuse commis sur son enfant, et ce jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales ou de la juridiction pénale. Cette loi oblige également la juridiction pénale à ordonner le retrait de l'autorité parentale ou son exercice en cas de condamnation du parent comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou d'une agression sexuelle incestueuse commise sur son enfant ou d'un crime commis sur l'autre parent (article 378 du code civil).

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