Question de M. PACCAUD Olivier (Oise - Les Républicains-A) publiée le 10/10/2024

M. Olivier Paccaud attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le sujet des recours d'un tiers à l'encontre des décisions prises par les conseils municipaux.

Le recours direct d'un tiers devant le juge administratif contre une délibération prise par un conseil municipal peut s'exercer dès que celle-ci a acquis le caractère exécutoire, c'est-à-dire dès qu'il a été procédé à sa publication ou à son affichage ou à sa notification, ainsi que, s'il y a lieu, à sa transmission au représentant de l'État dans le département.

Face à la multiplication de ces recours, de nombreux conseils municipaux se trouvent confrontés à des retards importants dans la réalisation de projets pourtant essentiels pour leurs citoyens.

Il s'interroge sur la possibilité d'accélérer les procédures administratives ou d'établir un seuil minimal pour les recours de tiers contre les décisions municipales.

- page 3847


Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/11/2024

Le droit d'exercer un recours juridictionnel à l'encontre de toute décision administrative a été consacré comme principe général du droit par la décision d'assemblée du Conseil d'Etat du 17 février 1950,Ministre de l'Agriculture c./ Dame Lamotte. Il implique que toute décision administrative peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, même lorsqu'aucun texte ne le prévoit, et que toute décision juridictionnelle rendue en dernier ressort peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation (CE, Ass., 7 février 1947, d'Aillières). Ce droit a par la suite été élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel le rattachant à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014). Il est aujourd'hui également garanti en droit international par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit à son article 13 que le droit à un recours effectif doit être garanti devant les instances nationales (CEDH, 26 octobre 2000, Kudla c./ Pologne) et par la Cour de justice de l'Union européenne qui considère que l'existence d'un contrôle juridictionnel constitue la traduction « d'un principe général du droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (CJUE, 15 mai 1986, Marguerite Johnson, aff. 222-84). Ainsi, le droit à l'exercice d'un recours juridictionnel effectif constitue un principe solidement ancré dans notre droit. Comme toute décision administrative, la délibération d'un conseil municipal (art. L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales) peut faire l'objet d'un recours juridictionnel devant le juge administratif dans les conditions prévues à l'article R. 421 1 du code de justice administrative. Ce contrôle juridictionnel est le corollaire du principe de libre administration des collectivités territoriales, qui implique que si les collectivités locales s'administrent librement par un conseil élu, ce n'est qu'à la condition que leurs décisions soient conformes aux normes supérieures, dans le respect du principe de légalité. Ce contrôle juridictionnel constitue en outre une garantie pour la libre administration de ces collectivités et l'une des mesures fondatrices de l'acte I de la décentralisation. Au régime de tutelle du préfet sur les communes, caractérisé par un contrôle de la légalité et de l'opportunité des décisions communales, la loi du 2 mars 1982 a substitué un contrôle de légalité, exercé par le juge administratif, dont la saisine peut être effectuée par le préfet dans le cadre du déféré préfectoral. Toutefois, afin que les communes puissent exercer leurs compétences en respectant le principe de sécurité juridique, qui garantit la stabilité des situations juridiques, le droit au recours juridictionnel est encadré par des règles de recevabilité. Le recours formé par un tiers contre une délibération n'est ainsi recevable qu'à condition que ce dernier justifie d'un intérêt à agir. Ainsi que l'indiquait J. Théry dans ses conclusions dans l'affaire Damasio (CE, sect., 28 mai 1971), le requérant « doit établir que l'acte attaqué l'affecte dans des conditions suffisamment spéciales, certaines et directes. ». Les particuliers peuvent invoquer diverses qualités pour établir l'intérêt à agir contre les actes des autorités locales et notamment la qualité de voisin ou de propriétaire, d'électeur ou de résident. Par ailleurs, et conformément aux règles générales de recevabilité du recours pour excès de pouvoir, la demande d'annulation d'un acte local doit être introduite dans un délai de deux mois, en vertu des dispositions de l'article R. 421-1 précité. Le délai de droit commun de deux mois permet également de concilier le principe de légalité et le principe de sécurité juridique. Si le législateur a pu prévoir des règles de recevabilité dérogatoires, en matière d'intérêt à agir (art. L. 600-1-2 du code de l'urbanisme) ou de délai de recours, ces dispositions visent à régir des matières particulières qui, en raison des impératifs de sécurité juridique, nécessitent un encadrement des recours plus strict. Pour autant, le juge administratif dispose d'outils permettant d'accélérer le traitement des recours. Notamment, l'article R. 222-1 du code de justice administrative lui permet de rejeter certaines requêtes manifestement irrecevables ou infondées. L'article R. 611-11-1 lui permet également de fixer un calendrier d'instruction qui s'impose aux parties. L'article R. 611-7-1 lui permet enfin de fixer par ordonnance la date à laquelle plus aucun moyen nouveau ne pourra être soulevé. En l'état du droit, le droit au recours des administrés à l'encontre des délibérations des conseils municipaux apparait donc comme étant suffisamment encadré, dans des conditions qui ménagent un équilibre entre droit au recours et principe de sécurité juridique, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales.

- page 4471

Page mise à jour le