Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE-K) publiée le 29/02/2024

M. Fabien Gay demande à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer l'ouverture d'une commission vérité sur les homes indiens en Guyane.
Le 1er février 2024, un rapport demandant la création d'une « commission vérité sur les homes indiens en Guyane (1935-2023) » a été déposée par l'institut francophone pour la justice et la démocratie (IFJD) à l'Assemblée nationale.
Les « homes indiens » en Guyane, sont des pensionnats catholiques dans lesquels ont été internés 2 000 enfants amérindiens entre 1935 et 2023.
Le premier établissement, situé à Mana, est initié par l'église catholique en 1935 ; en 1949, un arrêté préfectoral entérine cette pratique en prévoyant l'allocation d'un prix de journée pour chaque enfant accueilli. Avec cet appui officiel, la pratique se répand, et s'accompagne de la contrainte publique.
À partir de 1958, une catégorie juridique de l'aide sociale à l'enfance (ASE) est mobilisée pour venir légaliser l'allocation de financements publics à ces centres, en usant d'un abus de droit : dans le cas des familles autochtones, les deux conditions qui présidaient juridiquement à ce type de placement n'étaient jamais réunies.
Au sein de ces établissements, se déployait un véritable processus d'évangélisation et d'assimilation forcées des pensionnaires.
Sous couvert de dispenser une éducation religieuse, ces centres avaient pour objectif l'effacement de l'identité des peuples autochtones amérindiens et des bushinengués, et de faire grossir la main d'oeuvre pour exploiter le territoire guyanais.
Les enfants y étaient exposés à de très nombreuses violences : physiques, psychiques, morales, symboliques, culturelles et spirituelles.
Dans le cadre d'élaboration du rapport, l'IFJD a rencontré de nombreuses collectivités publiques guyanaises, qui ont toutes répondu favorablement au projet de commission vérité, à l'exception de la préfecture, le préfet invoquant l'absence de légitimité de l'institut, « non élu au suffrage universel », à « demander des comptes ».
Il apparaît pourtant que la France et la Guyane ont le devoir de faire toute la lumière sur ce pan de l'histoire coloniale.
Cela constituerait une étape essentielle pour lutter contre l'oubli, alors que ces faits - notamment les violations des droits humains des populations autochtones - ont toujours des répercussions. En effet, selon l'un des co-auteurs du rapport, « l'histoire ne s'arrête pas et un continuum sur les difficultés d'intégration, de violence, de pauvreté se poursuit ».
La mise en place d'une commission vérité, selon un juriste et élu local, « doit permettre que les enfants bushinengés et amérindiens ne soient plus sortis de leur identité culturelle car cette histoire est une bombe à retardement dans la société guyanaise. Elle a un rôle dans les violences intra communauté, les suicides. »
Aussi, il souhaiterait savoir si le Gouvernement entend suivre les recommandations de l'IFJD et créer une commission vérité, en application des principes Joinet (droits à la vérité, à la justice, à la réparation et aux garanties de non-répétition) concernant les homes indiens en Guyane.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer publiée le 06/06/2024

L'Etat est pleinement engagé au service de la protection des enfants contre toutes les formes de violences sur tout le territoire de la République française. Il s'agit d'une priorité du Gouvernement et des politiques publiques menées par le Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. La récente création de l'Office des mineurs, rattaché au Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, et la variété de ses missions d'enquête (violences sexuelles, physiques, harcèlement, affaires pédocriminelles) permettront d'aller encore plus loin dans la lutte contre toutes formes de violences commises à l'encontre de mineurs. En ce qui concerne la Guyane, l'Etat veille au respect des droits de la population présente sur ce territoire qui comprend notamment les Amérindiens lesquels représentent environ 5 % de la population, soit 13 000 personnes. Conscient des difficultés rencontrées par les jeunes Amérindiens de Guyane, l'Etat travaille à la mise en oeuvre des 37 propositions présentées par le rapport parlementaire du 30 novembre 2015 sur le suicide de cette jeune population. Plusieurs mesures ont ainsi été prises dans les domaines de la santé, l'accès aux droits, l'éducation, des infrastructures ou de l'emploi pour améliorer les conditions de vie et de mieux-être. Au niveau législatif, l'article 78 de la loi EROM de février 2017 a créé, à la demande des communautés, le grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenguées afin d'assurer la représentation de ces populations et de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux. En outre, la loi prévoit que tout projet ou proposition de délibération de l'assemblée de Guyane emportant des conséquences sur l'environnement ou le cadre de vie ou intéressant l'identité des populations amérindiennes et bushinengées est soumis à l'avis préalable du grand conseil coutumier. Ce grand conseil coutumier est placé auprès du représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Guyane. Par ailleurs, après sa préfiguration par un sous-préfet dédié aux communes de l'intérieur (2019-2022), une mission interministérielle pour les populations amérindiennes et bushinenguées, placée auprès du secrétaire général des services de l'État en Guyane, a été créée. Celle-ci coordonne l'ensemble des politiques publiques de l'État qui concernent ces populations et veille à associer étroitement les communautés afin de répondre à leurs besoins (eau potable, téléphonie mobile, école connectée, accès zones réglementées, connectivité internet des villages, offre de soins…). Cette mission travaille en collaboration étroite avec le grand conseil coutumier. S'agissant plus particulièrement du rapport de l'Institut francophone pour la justice et la démocratie (IFJD), ce dernier avait sollicité en 2023 un financement auprès du grand conseil coutumier. Toutefois, au vu du caractère polémique de ce rapport, le grand conseil coutumier a refusé d'y être associé. Celui-ci réfute en effet les orientations du rapport, considérant en particulier que les acteurs rencontrés de l'IFJD avaient des idées préconçues sur le sujet. C'est la raison pour laquelle la préfecture, lorsqu'elle a été sollicitée, a suivi la position du grand conseil coutumier et n'a pas donné suite aux demandes de l'IFJD. Au vu de ces éléments, il n'y a donc pas lieu pour le Gouvernement, à ce stade, de donner suite à la demande de l'IFJD.

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