Question de M. YUNG Richard (Français établis hors de France - LaREM) publiée le 04/06/2020

M. Richard Yung attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'arrêt que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu le 12 septembre 2019 dans l'affaire Cofemel contre G-Star. Saisie par la Cour suprême portugaise de questions préjudicielles relatives à la protection des dessins et modèles par le droit d'auteur, la CJUE a répondu, d'une part, que l'octroi d'une protection, au titre du droit d'auteur, à un objet déjà protégé en tant que dessin ou modèle « ne saurait être envisagé que dans certaines situations » et, d'autre part, que l'article 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information « doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une législation nationale confère une protection, au titre du droit d'auteur, à des modèles […], au motif que, au-delà de leur objectif utilitaire, ceux-ci génèrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique ». Il lui demande quelle analyse le Gouvernement fait de cet arrêt. Il lui demande également si l'interprétation retenue par la CJUE n'est pas de nature à remettre en cause « la règle, traditionnelle en France, du cumul total de protection entre le droit d'auteur et le droit spécifique sur les dessins et modèles, règle issue de la théorie de l'unité de l'art ».

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Transmise au Ministère de la culture


Réponse du Ministère de la culture publiée le 31/12/2020

L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 12 septembre 2019 précise les modalités du cumul de protection par le droit d'auteur et le droit spécifique des dessins et modèles et clarifie les conditions d'accès à la protection par le droit d'auteur des œuvres, notamment des œuvres utilitaires (dont font partie la mode, le design…). Si le principe du cumul de protection du droit d'auteur et du droit de dessins et modèles est consacré dans plusieurs normes européennes applicables en France (directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles et règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires), l'arrêt de la Cour de justice rappelle que ce cumul n'est pas automatique. Le droit d'auteur et le droit des dessins et modèles poursuivent des objectifs différents et ont donc chacun vocation à protéger un certain type de créations, sous des régimes distincts. La protection par le droit des dessins et modèles détient un caractère utilitaire, visant à la rentabilisation d'un investissement sur une période limitée, alors que la protection par le droit d'auteur, d'une durée plus longue, s'applique à une œuvre que la jurisprudence européenne définit en substance comme étant une création intellectuelle qui reflète la personnalité de son auteur en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci. L'arrêt de la Cour de justice ne fait que réaffirmer cette démarcation qui, si elle a pu ne pas être toujours parfaitement appliquée, correspond au principe déjà existant dans le droit national d'un cumul partiel et non automatique de protection. Le cumul de protections reste parfaitement possible, mais sous réserve que les conditions propres de chacun des deux régimes soient remplies. S'agissant de l'application du droit d'auteur, la Cour relève que la directive 2001/29/CE ne prévoit aucune condition de protection supplémentaire pour les œuvres utilitaires par rapport aux autres catégories d'œuvres littéraires et artistiques. En conséquence, la protection des œuvres utilitaires n'est soumise qu'à la condition de l'originalité, sans référence à d'autres exigences tirées, notamment, de l'effet esthétique produit. L'arrêt de la Cour de justice du 12 septembre 2019 ne remet donc pas en cause le principe d'un possible cumul des protections pour les créations utilitaires et se borne à réaffirmer les conditions d'application propres à chacune des protections telles qu'elles sont déjà connues en France. Cet arrêt pourrait en revanche avoir pour conséquence de faire évoluer les pratiques de certains États membres de l'Union jusqu'ici réfractaires à la protection des créations d'art appliquée par le droit d'auteur. Cette évolution vers une plus grande harmonisation de la protection des dessins et modèles est d'ailleurs corroborée par la récente initiative lancée par la Commission européenne pour réformer le droit des dessins et modèles au sein de l'Union européenne. Cette initiative n'évoque pas la question du cumul de protection par le droit d'auteur et le droit des dessins et modèles, mais la France restera extrêmement vigilante à ce que les suites qui lui seront données ne remettent pas en cause ce principe auquel elle demeure particulièrement attachée.

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