Question de Mme HERZOG Christine (Moselle - NI) publiée le 05/03/2020

Mme Christine Herzog attire l'attention de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur le cas d'une commune qui achète un terrain non constructible afin d'y réaliser des espaces verts. Une dizaine d'années plus tard, la commune décide de revendre ce terrain qui est devenu constructible et réalise une considérable plus-value. Elle lui demande si la commune est contrainte, au sens juridique, de verser à l'ancien propriétaire des dommages et intérêts pour violation du droit au respect de ses biens reconnu par la convention européenne des droits de l'homme.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 04/11/2021

Une commune peut acheter des biens immobiliers à des personnes privées selon deux voies principales : la conclusion d'une vente sur le marché libre, selon les règles de droit civil, ou la préemption d'un bien offert à la vente par son propriétaire et pour lequel un acheteur a déjà proposé un prix (art. L. 1111-1 et L. 1112-4 et s. CGPPP). Lorsque la commune s'est portée acquéreur d'un bien sur le marché libre, cette vente, soumise aux règles du code civil, n'ouvre droit à aucune indemnisation en cas d'évolution favorable de la valeur du bien. Il est indifférent à cet égard que cette évolution soit liée à une modification ultérieure des règles de construction, sauf cas de nullité de la vente pour réticence dolosive d'une commune, qui avait déjà engagé la révision de ses documents d'urbanisme en vue de rendre la parcelle achetée constructible au moment de la négociation du bien, et ce sans en avertir le vendeur (3e Civ., 27 mars 1991, pourvoi n° 89-16.975). Lorsque la commune préempte un bien, elle se substitue à l'acquéreur en proposant à son tour un prix d'achat au vendeur. À défaut d'accord amiable sur le prix, la commune peut le faire fixer par le juge judiciaire. Chacune des parties peut renoncer à la vente dans les conditions prévues à l'article L. 213-7 du code de l'urbanisme, de sorte qu'une acquisition par voie de préemption procède nécessairement du plein accord du vendeur à céder son bien au prix négocié ou à celui fixé par le juge, par référence aux valeurs de marché alors observées pour des biens équivalents. Cette procédure de préemption n'entraine pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 mais cause une atteinte aux conditions d'exercice de ce droit, ainsi qu'à la liberté contractuelle (Conseil constitutionnel, 9 octobre 2014, n° 2014-701 DC, cons. 18). Une telle atteinte doit être justifiée par la poursuite d'un objectif d'intérêt général, indiqué par la décision municipale de préemption. Le bien préempté peut également être affecté, non à l'objet désigné dans cette décision, mais à l'un des objets mentionnés à l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, soit des actions et opérations ayant pour objet " de mettre en œuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre la restructuration urbaine, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels " (art. L. 300-1 c. urb.).  Si la commune décide d'utiliser ou d'aliéner un bien préempté depuis moins de cinq ans à d'autres fins que celles décidées initialement ou autorisées par la loi, elle doit en informer les anciens propriétaires et leur proposer l'acquisition de ce bien en priorité (art. L. 213-11 c. urb.). En outre, la loi française offre un recours en indemnisation devant le juge judiciaire aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause à titre universel, lorsqu'un bien préempté a été affecté à un autre usage que celui prévu par la décision de préemption ou par la loi avant l'écoulement d'un délai de cinq ans. Cette action aux fins de dommages et intérêts leur est ouverte, quand bien même l'ancien propriétaire se serait vu proposer la rétrocession du bien et l'aurait refusée (art. L. 213-12 c. urb.). En revanche, afin de sécuriser le patrimoine acquis par la commune et lui permettre de faire évoluer ses politiques publiques, la loi ne prévoit plus de rétrocession ou d'indemnisation au bénéficie de l'ancien propriétaire au-delà de ce délai de cinq ans. Certains auteurs déduisent de décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'expropriation, c'est-à-dire en cas de privation totale de propriété (ex : CEDH, 2 juillet 2002, Motais de Narbonne c. France, nº 48161/99), que la proportionnalité de l'atteinte au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme impose que tout immeuble acquis par l'exercice de prérogatives de puissance publique soit effectivement affecté à un usage d'intérêt général. A défaut, les anciens propriétaires devraient, selon eux, bénéficier d'un droit de rétrocession ou d'indemnisation, sans égard pour l'écoulement du temps entre l'acquisition du bien et l'affectation litigieuse. Toutefois, le juge administratif français a répondu à cet argumentaire en considérant que l'absence d'affectation à un usage d'intérêt général d'un bien acquis par voie de préemption, ne constituait pas une charge disproportionnée de nature à caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel précité, dès lors que la vente avait bien été conclue moyennant un prix raisonnablement en rapport avec la valeur du bien mais également avec les offres sérieuses formulées par les acquéreurs évincés (CE, 10 mars 2010, n° 323081). Dans la même décision, le Conseil d'État souligne également que l'augmentation de la valeur vénale des terrains postérieurement à la préemption ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation de l'atteinte portée aux droits protégés par l'article premier du premier protocole additionnel à l'égard du propriétaire qui a accepté de vendre son bien à la commune. Si le Conseil constitutionnel juge quant à lui nécessaire que le bien préempté ne puisse être utilisé ou aliéné dans un but étranger aux fins poursuivies par l'acte de préemption pendant un certain délai, sans que l'ancien propriétaire se voit proposer une rétrocession, il a toutefois estimé qu'un délai limité à cinq ans ne remettait pas en cause le motif d'intérêt général justifiant l'atteinte au droit de propriété du vendeur (décision n° 2000-436 DC, 7 décembre 2000, cons. 24 et 25). Ainsi, le droit français de la préemption ouvre des voies de rétrocession et d'indemnisation au bénéfice de l'ancien propriétaire du bien préempté dans des conditions qui ne lui permettent toutefois pas de faire obstacle, dans la durée, à la libre jouissance du bien acquis par la commune.

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