Question de M. RAYNAL Claude (Haute-Garonne - SOCR) publiée le 02/01/2020
M. Claude Raynal attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les conséquences de l'application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans les contentieux liés au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif à la contestation des placements en rétention des étrangers.
En effet, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) relative au 1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme donne droit au prévenu de s'exprimer en dernier lors de son procès, notamment quand se pose la question de sa liberté ou du maintien de mesures coercitives (CEDH, Borgers c. Belgique, 30 octobre 1991, série A no 214-B).
Dans l'hypothèse où il risque une privation de liberté, le prévenu doit donc être le dernier à prendre la parole lors de l'audience. Or, devant le tribunal administratif, la personne, contre laquelle a été prise la mesure de rétention administrative, doit s'exprimer en premier, puisqu'il se trouve dans la situation du demandeur.
Ainsi, là où les prescriptions conventionnelles prescrivent le droit pour la personne qui risque une privation de liberté de s'exprimer en dernier, la pratique du contentieux administratif prévoit au contraire qu'il s'exprime avant les représentants de la préfecture.
Face à cette insécurité contentieuse, il souhaiterait connaître les mesures que souhaite prendre le Gouvernement pour sécuriser juridiquement ces procédures.
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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 04/06/2020
Les contentieux jugés dans les conditions prévues au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) concernent les étrangers qui font l'objet d'une décision d'assignation à résidence ou d'un placement en rétention aux fins d'exécution de la décision d'éloignement qui leur a été notifiée. Ces règles sont précisées, pour ce qui concerne la procédure juridictionnelle, dans le livre VII, titre VII, chapitre VI du code de justice administrative. L'arrêt Borges C. Belgique du 30 octobre 1991 de la cour européenne des droits de l'homme a remis en cause la présence d'un magistrat du Parquet (l'avocat général) au délibéré de la cour de cassation belge, considérant que cette intervention n'était pas conforme aux exigences du procès équitable protégé par l'article 6§3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en relevant l'absence de garantie légale pour le justiciable de connaître les conclusions de ce magistrat du parquet et de pouvoir y répliquer. La confirmation de ces principes d'interprétation des exigences de l'article 6 de la convention a impliqué en France des réformes juridictionnelles, en matière pénale mais aussi pour ce qui concerne l'institution de l'ancien commissaire du Gouvernement, devenu le rapporteur public, dans le contentieux administratif. Le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 a ainsi introduit la possibilité pour les parties à l'instance, après le prononcé des conclusions du rapporteur public, de pouvoir présenter de brèves observations orales à l'audience avant même la présentation d'une éventuelle note en délibéré. Cette possibilité de réplique orale immédiate permet un inversement de l'ordre de parole et rétablit l'égalité des parties, dans la circonstance où elle est fragilisée par l'intervention de conclusions. Cependant, les dispositions du III de l'article L. 512-1 du CESEDA, relatives au jugement de la requête présentée par un étranger assigné à résidence ou placé en rétention, visent une situation différente. En effet, dans une telle hypothèse, les jugements sont rendus sans conclusions du rapporteur public. Cette adaptation procédurale est la traduction des possibilités ouvertes par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Les conditions de jugement qui en résultent mettent uniquement en présence le juge et les parties dans le cadre d'un débat contradictoire : le juge dirige l'audience en application des dispositions précitées du code de justice administrative et, après son rapport, les parties peuvent présenter leurs observations orales ou des documents. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le juge les soumet à l'autre partie et lui demande de faire part de ses observations. L'instruction est close après que les parties ont formulé leurs observations (articles R. 776-24 et R. 776-25 du code de justice administrative). Dès lors, l'article L. 512-1 III ne contrevient pas aux exigences conventionnelles. À cet égard, dans sa décision n° 2011-629 DC, le Conseil constitutionnel a écarté le grief de rupture d'égalité entre les parties, dès lors que le rapporteur public n'intervient pas dans le jugement. Dans sa décision n° 357064 du 28 mars 2013, le Conseil d'État, saisi du décret d'application n° 02011-950 du 23 décembre 2011, a rejeté le moyen tiré de la méconnaissance des exigences d'un procès équitable, rappelant qu'au cas où le rapporteur public n'intervient pas, les parties ont la parole à l'audience immédiatement après le rapport fait par le juge sur l'affaire.
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