Question de M. GONTARD Guillaume (Isère - CRCE-R) publiée le 19/12/2019

M. Guillaume Gontard demande à M. le ministre de l'intérieur de lui préciser la nature juridique des postes-frontières où sont accueillis des migrants. En effet, le 31 octobre 2019, une députée française au Parlement européen s'est vu refuser l'accès au poste-frontière de Menton au motif que ce dernier n'était pas un lieu de privation de liberté tel que défini par l'article 719 du code de procédure pénale. Une note interne de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) en date du 2 mai 2019, non publiée mais que cette députée a pu consulter, stipule que ce poste-frontière, ainsi que celui de Montgenèvre sont des « lieux de mise à l'abri » et non des lieux des privation de liberté. Pourtant, lors de sa visite au poste-frontière de Menton le 31 mars 2018 il a pu constater la présence d'un espace extérieur fermé et grillagé où étaient enfermées, depuis la veille, plusieurs personnes dont des mineurs. Il a effectué un signalement à la suite de cette visite qui a entraîné le déclenchement en novembre 2018 d'une enquête préliminaire pour « détention arbitraire et trafic de dates de naissance de migrants ». Au regard de ces éléments, si ce lieu, où sont enfermés des êtres humains, n'est pas un centre de rétention administrative, n'est pas une zone d'attente ou tout autre lieu de privation de liberté où peut s'exercer le droit de visite des parlementaires mentionné à l'article 719 du code de procédure pénale, il lui demande quel est son statut. Aussi lui demande-t-il de préciser à la représentation nationale le statut juridique des postes-frontières pour ne pas laisser penser qu'il s'agit de zones de non-droit.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'intérieur publiée le 19/02/2020

Réponse apportée en séance publique le 18/02/2020

M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d'État, le 31 octobre dernier, notre collègue députée européenne Manon Aubry était empêchée… Empêchée d'exercer son droit de visite des lieux de privation de liberté, prévu à l'article 719 du code de procédure pénale, au motif que le poste-frontière de Menton, auquel elle demandait l'accès, n'était pas un lieu de privation de liberté.

Je vous avoue que ce refus apparaît curieux au parlementaire que je suis. En effet, j'ai pu accéder à ce même poste-frontière le 31 mars 2018 en vertu de ce même droit de visite des lieux de privation de liberté – les temps changent ! – et j'y ai constaté la présence d'espaces grillagés fermés ainsi que d'autres manquements à la loi. Ma collègue Michèle Rivasi et moi-même avons d'ailleurs effectué un signalement qui a entraîné le déclenchement, en novembre 2018, d'une enquête préliminaire pour « détention arbitraire et trafic de dates de naissance de migrants ».

La détention arbitraire ne suffirait donc pas à qualifier la privation de liberté… C'est ce que laisse à penser une note interne de la direction centrale de la police aux frontières du 2 mai 2019. Une note interne dont vous n'avez pas fait la publicité, mais qui a été opposée à Manon Aubry et qui précise que ce poste-frontière, ainsi que celui de Montgenèvre, est non pas un lieu de privation de liberté, mais un « lieu de mise à l'abri ».

Monsieur le secrétaire d'État, cette qualification n'existe pas dans notre droit. Le code de l'action sociale et des familles définit les « centres d'hébergement d'urgence », où les droits des personnes doivent être scrupuleusement présentés et respectés ; il définit aussi les « conditions de mise à l'abri » des mineurs isolés, mais jamais les « lieux de mise à l'abri ».

À quoi vos services font-ils référence précisément ? Pourquoi y interdire l'accès aux parlementaires ? Pour ne pas laisser croire que les postes-frontières sont des zones de non-droit, je vous invite à me préciser leur statut juridique.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Guillaume Gontard, permettez-moi tout d'abord de rappeler qu'il n'y a pas, dans notre État de droit, de « zones de non-droit ». Les locaux que vous évoquez sont des zones de mise à l'abri, aménagées par le service de la police aux frontières (PAF) territorial concerné, à Menton et Montgenèvre, au niveau des points de passage autorisés (PPA) terrestres, au sens du code frontières Schengen, institués à la suite de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures.

Car si la France mène une politique migratoire responsable et ferme, elle attache aussi le plus grand prix à ce que les droits et la dignité des personnes soient à tout moment respectés.

L'administration agit d'ailleurs, je le rappelle, sous le contrôle du juge, notamment du juge des référés, et ne saurait se soustraire au respect des droits des personnes.

En frontières terrestres, le bénéfice du jour franc est inapplicable et il ne peut y avoir de zone d'attente. Ces « zones de mise à l'abri » répondent donc à un objectif simple : protéger les étrangers retenus provisoirement dans les locaux de la PAF, afin de ne pas soumettre les personnes non admises à un retour par leurs propres moyens, dans des conditions parfois dangereuses.

Ces locaux ne sont ni des locaux de garde à vue, ni des locaux utilisés dans le cadre de la retenue pour vérification du droit au séjour, ni des centres ou locaux de rétention administrative, ni des zones d'attente. C'est pourquoi le cadre légal existant ne prévoit pas que les parlementaires y disposent d'un droit de visite. Votre collègue députée, Mme Danièle Obono, a d'ailleurs récemment été déboutée par le tribunal administratif de Nice sur ce point. Quant au signalement que vous et diverses associations aviez adressé au parquet de Nice, il a, vous le savez, été classé sans suite.

J'espère que ces éléments seront de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur. Tel est en tout cas l'état du droit.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d'État, vous ne m'avez pas rassuré.

Soit vous nous cachez la vérité, soit vous n'êtes pas allé sur place, ce dont je doute.

Lors de ma visite en novembre 2018, ce que j'ai vu est bien un lieu de privation de liberté. Des femmes, des hommes et des enfants étaient enfermés dans un même lieu pendant plus d'une nuit. On parle bien d'une zone de non-droit.

Vous parlez de « mise à l'abri » alors que, chaque jour, on renvoie sans ménagement des exilés sur les routes italiennes.

J'en veux pour nouvelle preuve que, les 31 janvier et 1er février derniers, 40 observateurs associatifs se sont relayés en continu pour observer les pratiques des forces de l'ordre à Menton. Au cours de leurs 39 heures d'observation, ils ont constaté les faits suivants : 79 personnes ont été interpellées, 92 personnes ont été refoulées sans respect de leurs droits ni des procédures, 38 personnes ont été enfermées pour une durée supérieure à 4 heures, allant même, pour 6 personnes, jusqu'à 12 heures 45 de privation de liberté…

En plus d'une politique inefficace, coûteuse et destructrice de vies, votre gouvernement bafoue sans ménagement les droits humains élémentaires.

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