Question de Mme LHERBIER Brigitte (Nord - Les Républicains) publiée le 31/10/2019

Mme Brigitte Lherbier attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la détermination des prix agricoles et l'application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Dans le monde agricole, l'affaire dite du « cartel des endives » a marqué les esprits. En 2012, l'autorité de la concurrence a condamné dix organisations de producteurs d'endives à 3,6 millions d'euros d'amende pour entente sur les prix. Ces derniers refusaient en effet de vendre leurs produits lorsque les centrales d'achat leur proposaient un prix d'achat largement inférieur à leur coût de revient. Pourtant de nombreux producteurs d'endives ont, pendant cette période dite « d'entente sur les prix », été mis en liquidation judiciaire. La grande distribution tirant toujours les prix vers le bas, il leur arrivait tout de même de vendre régulièrement à perte leurs endives…
Alors qu'ils sont en situation de faiblesse dans les négociations commerciales avec les distributeurs et les industriels, il convient de constater, au vu de l'affaire précitée, que les agriculteurs doivent accepter les prix dérisoires proposés par ces derniers qui sont en situation de quasi-monopole ; la France n'ayant que quatre grandes centrales d'achat. Ils ne peuvent, au sein d'une même branche, refuser de vendre leur marchandise au risque de tomber sous le coup de l'autorité de la concurrence.

Votée en octobre 2018, la loi « agriculture et alimentation » (Egalim) est censée rééquilibrer les relations commerciales entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs ; l'objectif étant de mieux répartir la valeur afin de permettre aux agriculteurs d'avoir un revenu digne, en leur payant un juste prix.
Le cabinet du ministre de l'agriculture a rappelé dans la presse que « cette loi a été faite pour que les agriculteurs puissent imposer leur coût de revient à l'industrie agroalimentaire ». Pour cela, les organisations interprofessionnelles doivent notamment élaborer des « indicateurs de référence » avec des coûts de production et des indicateurs de marché pour les aider dans les négociations commerciales. (lefigaro.fr du 22 octobre 2019).
Le site officiel du ministère de l'agriculture indique également que la loi Egalim permet : « l'inversion de la construction du prix : le contrat et le prix associé seront proposés par les agriculteurs, en prenant en compte les coûts de production. Ils pourront peser dans les négociations grâce à un regroupement en organisation de producteurs et au renforcement des interprofessions ».
Malheureusement, le monde agricole est de plus en plus méfiant à l'égard des pouvoirs publics et doute des annonces faites par le Gouvernement quant à la construction des prix. Il redoute par ailleurs l'autorité de la concurrence et le droit européen qui semblent privilégier les grandes structures commerciales, telles que les industriels et les distributeurs, au détriment des agriculteurs.


Elle souhaite par conséquent savoir si la loi Egalim permet désormais aux agriculteurs, comme l'indique le cabinet du ministre de l'agriculture, de se réunir en interprofession et « d'imposer leur coût de revient à l'industrie agroalimentaire et aux distributeurs ». En outre et pour être précise, elle lui demande si cette loi permettra ainsi d'éviter à l'avenir une nouvelle affaire telle que celle du « cartel des endives ».

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation publiée le 16/01/2020

Au niveau européen le règlement portant modification du règlement sur l'organisation commune des marchés n° 1308/2013 (règlement « Omnibus ») du 13 décembre 2017, a étendu à tous les secteurs agricoles les règles spécifiques de concurrence dont bénéficiaient déjà certains secteurs. Il permet aux producteurs de tous secteurs de se réunir en organisations de producteurs (OP) afin de négocier de façon collective les contrats, ainsi que de planifier et d'optimiser leur production et leur commercialisation. Les OP et les associations d'OP (AOP) peuvent par ailleurs convenir de clauses de répartition de la valeur. Le règlement européen permet également aux interprofessions de prévoir des clauses types de répartition de la valeur en fonction de l'évolution des marchés. Cette mesure encourage la contractualisation. Par ailleurs, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 novembre 2017 rendu dans le cadre de l'affaire dite « Endives » et de la publication du règlement Omnibus, le Gouvernement a saisi l'autorité de la concurrence afin de clarifier les conditions d'application des règles de concurrence dans le secteur agricole. Cet avis rendu le 3 mai 2018 apporte des éclaircissements sur les possibilités d'action des organisations interprofessionnelles, des OP et des AOP, sur les modalités d'application du droit de la concurrence aux démarches dites « tripartites » associant producteurs, industriels et distributeurs ainsi que sur les pratiques et accords relatifs aux démarches de qualité. La loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi EGALIM) a renforcé l'encouragement à la contractualisation du règlement Omnibus. Il revient désormais au producteur ou à son OP de faire une proposition de contrat et donc une proposition de prix ou de formule de prix à son acheteur, qui dans ce cas devra obligatoirement prendre en compte des indicateurs de coûts de production et leur évolution, ainsi que des indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires sur les marchés. La proposition de contrat devient le socle de la négociation et doit être annexée au contrat signé. Toute réserve de l'acheteur sur cette proposition doit être motivée. Par cette inversion de la contractualisation, le producteur est indirectement incité à se regrouper en OP pour être en capacité de peser dans sa négociation avec l'acheteur : l'OP voire l'AOP, en concentrant l'offre, peut davantage peser dans les relations commerciales conduisant à renforcer la place du producteur dans la filière. L'article premier de la loi renforce le cadre formel (les clauses obligatoires) que doit dorénavant respecter tout contrat écrit entre un producteur et son acheteur, ou tout accord-cadre entre l'OP ou l'AOP et son acheteur, le contrat individuel doit forcément respecter l'accord-cadre s'il en existe un. Le principe dit de « la cascade », qui permet que tout au long de la chaîne d'approvisionnement les contrats avals indiquent les indicateurs prévus au contrat amont ou, lorsque les indicateurs ne sont pas indiqués dans le contrat amont, les indicateurs des prix des produits agricoles concernés, renforce la responsabilisation tout au long de la filière s'agissant du prix payé à la production agricole. Par ailleurs, le dispositif d'interdiction de cession à un prix abusivement bas a été étendu par ordonnance à l'ensemble des produits agricoles et des denrées alimentaires afin de dissuader les acheteurs d'acquérir des produits à un prix qui ne permet pas à l'amont d'en tirer un revenu équitable, et ce indépendamment des situations de crise conjoncturelle et en tenant compte des indicateurs de coûts de production. Le Gouvernement est particulièrement attentif au respect des dispositions de la loi, et en particulier à celles concernant le contrôle et les sanctions relatifs aux relations contractuelles entre le producteur et son premier acheteur qui ont été renforcés. Un premier comité de suivi des négociations commerciales a été réuni le 10 décembre 2019 afin de rappeler l'importance de la répartition de la valeur. Pour aider les producteurs à se saisir des outils contractuels, les missions des interprofessions ont été élargies. Ces dernières sont invitées à élaborer et diffuser les indicateurs qu'elles jugent pertinents et qui deviennent des indicateurs de référence qui pourront être utilisés par les parties. Elles peuvent également élaborer des contrats types qui pourront préciser le formalisme prévu par la loi pour prendre en compte les spécificités des filières. Il n'est en revanche pas possible pour une interprofession de fixer un coût de revient ou un prix que les opérateurs devraient obligatoirement prendre en compte, ni pour un opérateur d'imposer unilatéralement un prix à son cocontractant. Cela serait contraire au droit de la concurrence et à la liberté contractuelle prévus par le droit européen. En effet, le règlement européen n° 1308/2013 sur l'organisation commune de marché unique précise que tous les éléments des contrats de livraison des produits agricoles doivent être librement négociés entre les parties et que le droit de la concurrence s'applique.

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