Question de M. DURAIN Jérôme (Saône-et-Loire - SOCR) publiée le 17/10/2019

Question posée en séance publique le 16/10/2019

M. Jérôme Durain. Ma question s'adresse au Premier ministre.

Il règne dans ce pays une atmosphère irrespirable.


M. Philippe Pemezec. À cause de vos ambiguïtés et de votre manque de courage !


M. Jérôme Durain. Vendredi dernier, en séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, le président d'un groupe qui n'a rien de républicain a fait dégénérer les échanges, en accusant d'abord les agents de la région d'être touchés par la radicalisation et le communautarisme islamiste, en tweetant ensuite sur la perte d'appétit que provoque chez lui une exposition consacrée à Martin Luther King, en agressant verbalement, enfin, une femme voilée. Des enfants venus découvrir les institutions républicaines sont repartis dans le tumulte et une maman accompagnatrice sous la menace « de l'arrivée des Russes ».


M. Philippe Pemezec. Allons !


M. Jérôme Durain. Certains ont vu dans ces événements une interrogation sur la laïcité. J'y vois surtout la triste expression du racisme. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)

Que nous croyions au ciel ou que nous n'y croyions pas, nous avons la responsabilité de dénoncer le climat malsain qui règne dans ce pays. Les musulmans, pour ce qu'ils sont, sont pointés du doigt. M. Zemmour, récemment condamné, a son rond de serviette sur les plateaux de télévision. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Dans les universités, des fichages tendancieux commencent à apparaître.

Nous ne tomberons pas dans les pièges tendus par les provocateurs de tous bords.


M. Philippe Pemezec. Vous y tombez tout seuls !


M. Jérôme Durain. Notre boussole, c'est la concorde républicaine. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Le Président Macron et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez rappelé l'état du droit en ce qui concerne la laïcité. Hier encore, quatre-vingt-dix personnalités ont lancé un appel au Président pour condamner les événements de vendredi. Que comptez-vous faire pour endiguer la libération de la parole raciste dans ce pays ? (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Patricia Schillinger et M. Richard Yung applaudissent également.)


Réponse du Premier ministre publiée le 17/10/2019

Réponse apportée en séance publique le 16/10/2019

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Une nouvelle fois, notre pays, notre société, cette assemblée se passionnent et se divisent autour d'une question, en l'occurrence celle du voile. Je ne méconnais en rien l'importance de ce sujet, mais, face à ces passions, je me permets de vous répondre, monsieur le sénateur, que ma boussole à moi est le droit et mon cap la lutte contre le communautarisme et la radicalisation.

Le droit est posé depuis longtemps : c'est l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et c'est la loi de 1905, qui prévoit deux principes extrêmement exigeants, celui de la neutralité absolue des pouvoirs publics et des agents publics et celui de la liberté de nos concitoyens à croire ou à ne pas croire et à exercer leur culte dans le respect de la loi. Ces principes ne sont pas des petites choses ! Ils sont au cœur de la façon dont nous avons choisi de vivre, et nous y sommes attachés ! Bien entendu, sur ces principes, il arrive que nous ayons des différences d'appréciation.

Nous avons déjà fait évoluer le cadre juridique. En 2004, le Parlement a choisi d'aller plus loin en matière de laïcité, en interdisant le port de signes religieux distinctifs, en l'occurrence du voile, dans les enceintes scolaires : à l'école, au collège et au lycée. Cette loi a été jugée constitutionnelle. C'est donc un principe qui nous oblige. Mais cette loi n'a pas dit que le voile était interdit à l'université, elle n'a pas dit que le voile était interdit lorsque des parents accompagnent bénévolement, volontairement, une sortie scolaire. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. Dommage !

M. Olivier Paccaud. Il faut changer la loi !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je rappelle la loi, et la jurisprudence constante qui s'y applique ne dit pas autre chose. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Or il me semble que rappeler la loi de façon précise dans l'hémicycle du Sénat n'est pas inutile et certainement pas critiquable ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire,…

Mme Catherine Troendlé. Bien sûr !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … dans le respect de la Constitution et des principes à valeur constitutionnelle.

J'ai bien compris qu'un certain nombre d'entre vous portait l'idée d'une modification de la loi ; le Parlement aura vocation à en débattre.

La boussole ayant été définie – c'est le droit tel qu'il est aujourd'hui –, le cap me semble devoir être celui de la lutte contre la radicalisation et contre le communautarisme.

M. Victorin Lurel. Et contre le racisme !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Or il me semble que, en matière de lutte contre la radicalisation et le communautarisme, il y a des choses incroyablement plus efficaces à faire, incroyablement plus productives, que de légiférer sur l'interdiction du voile lors des sorties scolaires. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Je me permets, ce faisant, d'exprimer ma ligne : faire en sorte, suivant ce que le Sénat a proposé par la voie d'une proposition de loi portée par Mme la sénatrice Gatel, d'exercer un contrôle beaucoup plus strict sur les écoles hors contrat au moment de leur création (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe UC.) ; faire en sorte aussi, grâce à la loi portée par M. le ministre de l'éducation nationale, d'exercer un contrôle beaucoup plus strict sur les enfants déscolarisés, sur les raisons de leur déscolarisation et sur le contenu de l'éducation qu'ils reçoivent à domicile. Voilà des sujets bien plus importants, bien plus porteurs, que ne l'est la proposition de loi qui a été évoquée !

Voici ma position : lutte contre la radicalisation, lutte politique contre le communautarisme, lutte à tous les instants, soutien aux enseignants, création des instruments nécessaires. Telle est la position du Gouvernement, la boussole que nous avons choisie, le cap que nous suivons ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Il y a ce que vous avez dit, monsieur le Premier ministre ; il y a aussi une forme de racisme, qu'il faut dissiper.

Des vents mauvais soufflent sur notre société. Il faut dissiper la confusion, apaiser les tensions et ramener tous nos concitoyens vers la République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

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