Question de M. PELLEVAT Cyril (Haute-Savoie - Les Républicains) publiée le 04/04/2019
M. Cyril Pellevat attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'impermanence des règles régissant l'application faite des délégations de service public à l'économie des domaines skiables.
Le choix français de donner le statut de service public au transport par remontées mécaniques comporte des limites dont il est de plus en plus difficile de s'accommoder sans nuire à l'économie des stations. La décision du Conseil d'État du 29 juin 2018 pour la station du Sauze a provoqué une onde de choc de nature à faire fuir les investisseurs privés. Depuis l'arrêt du Conseil d'État « commune de Douai » de décembre 2012, on savait que les clauses d'indemnisation des biens de retour à des valeurs supérieures à la valeur nette comptable étaient regardées comme non conformes, ce qui pose un problème partout où de telles clauses ont été conclues. L'arrêt « Sauze » va plus loin : il fait craindre que ces clauses soient inopérantes en pratique, ce qui modifie l'équilibre économique du contrat. Cela pose aussi la question de l'expropriation des exploitants, que l'arrêt « commune de Douai » avait exclue. L'impermanence des règles pose un problème de loyauté dès lors qu'on applique la nouvelle règle à des contrats signés antérieurement à l'arrêt « commune de Douai ». Outre les contentieux qui ne manqueront pas de naître de cette situation invraisemblable, ces changements incessants sont de nature à détourner les investisseurs privés des domaines skiables. Dans l'hypothèse où les évolutions du droit rendraient caduques des dispositions contractuelles conclues antérieurement, l'équilibre économique du contrat doit être maintenu.
Il lui demande comment il compte sécuriser le classement des biens et leur indemnisation tels que stipulés dans les contrats conclus antérieurement aux évolutions du droit.
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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics publiée le 10/04/2019
Réponse apportée en séance publique le 09/04/2019
M. Cyril Pellevat. Monsieur le secrétaire d'État, en France, la loi donne le statut de service public au transport par remontées mécaniques, y compris pour les remontées à vocation touristique dans le contexte concurrentiel des stations.
Ce choix singulier, que la France est seule à avoir fait parmi ses concurrents dans l'arc alpin, comporte des limites dont il est de plus en plus difficile de s'accommoder sans nuire à l'économie de nos stations.
L'application que nous avons ainsi faite des délégations de service public à l'économie très particulière des domaines skiables est une construction juridiquement instable, comme en atteste l'arrêt du Conseil d'État du 29 juin 2018 relatif à la station de ski du Sauze, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Cet arrêt a provoqué une onde de choc de nature à effrayer les investisseurs privés et les établissements financiers.
Dans ce cas d'espèce, une convention « loi Montagne » avait été rédigée entre la collectivité et l'opérateur privé historique de la station, propriétaire des remontées mécaniques, des autres biens et du foncier. Arrivés au terme du contrat, délégant et délégataire ont appliqué les clauses de rachat prévues au contrat, mais se sont heurtés au contrôle de légalité : ces clauses ont été jugées illégales, alors même qu'elles avaient été rédigées et validées par les conseils juridiques et l'administration.
Depuis l'arrêt du Conseil d'État Commune de Douai du 21 décembre 2012, on savait que les clauses d'indemnisation des biens de retour fixées à des valeurs supérieures à la valeur nette comptable étaient regardées comme non conformes, ce qui pose un problème partout où de telles clauses ont été conclues.
L'arrêt Sauze va plus loin : il fait craindre que ces clauses soient inopérantes en pratique, ce qui modifie l'équilibre économique du contrat. Cela pose aussi la question de l'expropriation des exploitants, que l'arrêt Commune de Douai avait exclue.
De surcroît, l'arrêt Sauze exprime une vision très extensive des biens de retour, qui inclut notamment immeubles et parcs de stationnement ; le Conseil d'État semble considérer que l'ensemble des biens de la concession sont des biens de retour. Cet arrêt constitue un revirement jurisprudentiel, qui affecte, directement ou indirectement, toutes les concessions de remontées mécaniques.
L'impermanence des règles pose un problème de loyauté, dès lors qu'on applique la nouvelle règle à des contrats signés antérieurement à l'arrêt Commune de Douai.
C'est encore plus le cas lorsqu'il s'agit d'exploitants qui étaient propriétaires d'une exploitation antérieurement à leur premier conventionnement et que tout le monde tant leurs conseillers juridiques que les administrations poussait à signer des clauses d'indemnisation, jugées illégales trente ans plus tard.
Outre les contentieux qui ne manqueront pas de naître de cette situation invraisemblable, ces changements incessants sont de nature à détourner les investisseurs privés des domaines skiables. Une telle situation n'est bonne ni pour les délégants ni pour les délégataires.
Conscients des difficultés nées de l'application du régime des délégations de service public aux remontées mécaniques, Domaines skiables de France et l'Association nationale des maires des stations de montagne se sont réunis plusieurs fois dans le but de formuler des propositions communes.
Dans l'hypothèse où les évolutions du droit rendraient caduques des dispositions contractuelles conclues antérieurement, l'équilibre économique du contrat doit être maintenu.
Ma question, monsieur le secrétaire d'État, est donc la suivante : comment comptez-vous sécuriser le classement des biens et leur indemnisation tel que stipulé dans les contrats conclus antérieurement aux évolutions du droit ? (M. Loïc Hervé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Pellevat, en l'état actuel de la jurisprudence, et sous réserve d'évolutions à venir de la législation, voici les précisions que je peux vous apporter.
Il résulte des articles L. 3429 et suivants du code du tourisme que les communes, leurs groupements et les départements sont compétents pour les services de remontée mécanique, qu'ils peuvent assurer soit directement, en régie simple ou personnalisée, soit indirectement, à l'aide d'une délégation de service public.
Dans cette seconde hypothèse, l'autorité concédante et son cocontractant sont soumis au régime des biens de retour, tel que cela a été établi par le Conseil d'État. Dans une décision du 21 décembre 2012, Commune de Douai, que vous avez citée, le Conseil a estimé que « l'ensemble des biens meubles ou immeubles, nécessaires au fonctionnement du service public », dont la convention a mis « à la charge du cocontractant les investissements correspondants à la création ou à l'acquisition » constituent une catégorie de biens qui font retour gratuitement à l'autorité concédante à l'issue de la convention.
Dans une autre décision, en date du 29 juin 2018, Ministre de l'intérieur contre communauté de communes de la vallée de l'Ubaye, le Conseil a précisé que ce régime s'appliquait également aux biens qui étaient la propriété du concessionnaire avant le début de la convention.
Cette solution est justifiée par le fait que les biens ainsi acquis ont fait l'objet d'une rétribution au concessionnaire. En effet, d'une part, le concessionnaire peut amortir le coût de ces équipements pendant la durée de la concession, à l'aide du prix payé par les usagers du service ; d'autre part, et à défaut, l'autorité concédante lui doit une indemnité lorsque les biens ne peuvent être amortis, si la durée de la concession est inférieure à celle de l'amortissement, que cela soit décidé ab initio ou que la concession ait été résiliée de manière anticipée, pour faute du cocontractant ou pour motif d'intérêt général.
S'agissant de l'application de ce régime à la situation des concessionnaires de remontées mécaniques qui étaient propriétaires de leurs équipements avant la loi Montagne du 9 janvier 1985, ceux-ci disposaient d'une période transitoire de quatorze ans pour faire le choix soit de la cession onéreuse de leur équipement à la collectivité compétente, soit du régime conventionnel.
Pour ceux qui ont choisi la seconde option, il n'est pas douteux que l'apport des équipements par le concessionnaire a été pris en compte au stade de la négociation du contrat. Dans le cas contraire, et si la situation aboutit à un déséquilibre contractuel, que le consentement du concessionnaire a été vicié, ou bien qu'une évaluation erronée des biens apportés a été faite de bonne foi, alors le concessionnaire est fondé à faire valoir ses droits à indemnité.
Telles sont les précisions que je pouvais vous apporter, monsieur le sénateur.
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