Question de Mme GRÉAUME Michelle (Nord - CRCE) publiée le 31/01/2019
Mme Michelle Gréaume attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les conséquences du rejet par la chambre criminelle de la Cour de cassation des pourvois des associations de défense des victimes de l'amiante du campus de Jussieu et du chantier naval Normed de Dunkerque, contre l'annulation, par la cour d'appel de Paris, des mises en examen des personnes impliquées dans le scandale sanitaire de l'amiante.
Vingt-deux ans après le dépôt des plaintes, et alors que l'amiante tue chaque jour dix personnes et que dix mille décès supplémentaires sont redoutés, la plus haute autorité judiciaire estime qu'aucune responsabilité ne peut « être imputée à quiconque », en « l'absence de faute caractérisée » et compte tenu « du contexte scientifique de l'époque et de la méconnaissance des risques encourus ».
Dit autrement : pas de responsables, pas de coupables, pas de jugement ! Un véritable scandale judiciaire s'ajoute au scandale sanitaire, au mépris des victimes et de leurs familles. Il convient de rappeler que des travaux scientifiques ont démontré, dès 1982, les dangers de l'exposition à l'amiante.
Notre République ne peut accepter sans réagir un tel rejet des responsabilités et le Gouvernement se « réfugier » derrière la séparation des pouvoirs. L'injustice doit être réparée et les coupables condamnés.
En conséquence, elle lui demande quelles dispositions le Gouvernement compte prendre à ce sujet et plus particulièrement pour empêcher toute impunité pénale des responsables dans le drame de l'amiante.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation publiée le 10/04/2019
Réponse apportée en séance publique le 09/04/2019
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d'État, la Cour de cassation a rejeté, en décembre, le pourvoi des associations de défense des victimes de l'amiante du campus de Jussieu et du chantier naval Normed de Dunkerque. Ce pourvoi faisait suite à l'annulation, par la cour d'appel de Paris, des mises en examen des personnes impliquées dans ce scandale sanitaire, pour la plupart membres de l'ex-Comité permanent amiante, ou CPA, composé d'industriels, de scientifiques et de hauts fonctionnaires.
Vingt-deux ans après le dépôt des plaintes, alors que des dizaines de milliers de victimes sont à déplorer, la décision est sans appel : pas de procès pénal, car pas de responsables, et encore moins de coupables !
Les juges estiment qu'aucune responsabilité ne peut « être imputée à quiconque », en « l'absence de faute caractérisée » et compte tenu « du contexte scientifique de l'époque et de la méconnaissance des risques encourus ».
Faut-il rappeler pourtant que des travaux scientifiques ont démontré, dès les années soixante-dix, les dangers de l'exposition à l'amiante et qu'un rapport sénatorial de 2005 qualifiait le CPA de « lobby de l'amiante », cet organisme ayant fait « le choix de continuer à utiliser l'amiante et de retarder le plus possible son interdiction » ?
Madame la ministre, ce dossier ne peut pas être refermé. L'amiante tue toujours dix personnes par jour et tuera encore pendant de nombreuses années. Beaucoup de personnes se battent pour obtenir ce procès pénal.
Il n'est pas possible de continuer à se « réfugier » derrière la séparation des pouvoirs et de se contenter du sentiment du devoir accompli au moyen des indemnisations, aussi justifiées soient-elles.
À ce propos, j'accueille avec satisfaction une autre décision de la Cour de cassation, qui ouvre à tous les salariés ayant été en contact avec l'amiante la possibilité de faire valoir le préjudice d'anxiété.
Toutefois, il faut aller plus loin : l'injustice doit être réparée et les responsables doivent répondre de leurs actes. Cela passe par un procès pénal.
Je souhaite donc savoir, madame la ministre, ce que compte faire le Gouvernement pour empêcher toute impunité pénale des responsables dans le drame de l'amiante.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Madame la sénatrice, prenant toute la mesure des souffrances des victimes de l'exposition à l'amiante, la ministre de la justice partage la légitime préoccupation de voir les procédures judiciaires engagées en ce domaine traitées avec toute l'efficacité et la célérité requises.
Il est vrai que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, dans deux arrêts du 11 décembre 2018, les pourvois formés par les associations de défense des victimes de l'amiante dans les dossiers de l'affaire de Jussieu et du chantier naval Normed de Dunkerque.
Dans le cadre de l'affaire du campus de Jussieu, qui a débuté le 15 novembre 1996, plusieurs personnes physiques avaient été mises en examen des chefs d'homicides involontaires aggravés et de blessures involontaires aggravées, ainsi que trois personnes morales du chef de mise en danger de la vie d'autrui : l'université Paris VI Pierre-et-Marie-Curie, l'université Paris VII Denis-Diderot et l'Institut de physique du globe de Paris.
Par arrêt du 15 septembre 2017 confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation en décembre 2018, la chambre de l'instruction de Paris a annulé les mises en examen des personnes physiques.
Concernant l'affaire du chantier naval Normed de Dunkerque, qui a fait l'objet d'une ouverture d'information judiciaire en 2006, trois personnes physiques avaient été mises en examen. Par arrêt du 15 septembre 2017, confirmé également par la Cour de cassation en décembre 2018, la chambre de l'instruction de Paris a annulé la mise en examen du membre du Comité permanent amiante.
Ces arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation confirment l'analyse de la chambre de l'instruction selon laquelle il n'existe pas d'éléments suffisants justifiant la mise en examen des personnes physiques précitées en « l'absence de faute caractérisée susceptible de [leur] être reprochée du fait de [leurs] fonctions au ministère du travail et de [leur] participation aux activités du [comité permanent amiante], d'autre part, faute pour [elles] d'avoir pu, dans le contexte des données scientifiques de l'époque, mesurer le risque d'une particulière gravité auquel [elles auraient] exposé les victimes ».
Pour autant, ces arrêts ne viennent pas mettre fin aux dossiers concernés et ne permettent donc pas de préjuger de l'issue judiciaire de ces procédures.
Un assistant spécialisé a d'ailleurs été spécifiquement recruté pour améliorer le traitement des dossiers de l'amiante.
Je vous affirme que la mobilisation du Gouvernement sur ce sujet est entière et n'a d'autre motivation que d'aboutir à une solution humainement acceptable et juridiquement incontestable.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Les proches des victimes décédées, toutes ces personnes empoisonnées qui vivent ou survivent aujourd'hui avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, demandent que justice soit rendue.
L'argent et les indemnisations ne font pas revenir les disparus, pas plus qu'ils ne rendent la justice. Il n'est pas acceptable que les responsables n'aient pas de comptes à rendre.
Cela dépasse la question de l'amiante. Cette décision de justice est comme un permis de continuer à empoisonner. Je pense au glyphosate ou autres pesticides, par exemple.
Rendre justice aux victimes de l'amiante, c'est aussi protéger les générations futures.
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