Question de M. KANNER Patrick (Nord - SOCR) publiée le 25/07/2018
Question posée en séance publique le 24/07/2018
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, depuis la révélation de l'affaire Benalla, les plus hautes autorités de l'État sont confrontées à une crise politique majeure.
Les faits égrenés et les premières auditions instruites par le Parlement montrent qu'il existe plusieurs graves dysfonctionnements au sommet de l'État. (Eh oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je les énumère : les sanctions disciplinaires prononcées ont été totalement inappropriées et, au demeurant, sans conséquence sur la place de M. Benalla dans l'organigramme de l'Élysée ; le ministre de l'intérieur et le préfet de police se contredisent dans leurs déclarations et rejettent sur les services de l'Élysée le fait de ne pas avoir dénoncé à la justice les faits délictueux dès qu'ils ont été portés à leur connaissance ; le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui est aussi le premier responsable du parti majoritaire employeur d'un salarié directement impliqué dans cette affaire, fait montre d'une très grande discrétion ; le Président de la République reconnaît l'existence de dysfonctionnements, mais continue à s'enfermer dans un mutisme déterminé, accentuant le sentiment que les plus hautes autorités de l'État ont préféré protéger un individu qui leur est proche, quand il eût fallu protéger nos institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains. M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Monsieur le Premier ministre, je ne veux pas me contenter de hurler au scandale ou de prendre la pose outrée : à chaque gouvernement son lot d'affaires et de polémiques. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais, au regard des développements de ce dossier, je constate aujourd'hui que l'engagement réitéré du Président de la République de faire de la politique autrement est un faux-semblant où se manifestent des zones d'ombre et des arrangements.
Je constate aussi que la gestion politique de cette affaire est le résultat de l'hypercentralisation du pouvoir exécutif, véritable contre-exemple de ce que nous devons faire en matière de réforme constitutionnelle.
Monsieur le Premier ministre, comment entendez-vous renouer le lien de confiance avec les citoyens, afin de conforter notre République, qui est certainement « inaltérable », mais pas inébranlable ? Elle doit rester, en tout cas, irréprochable. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
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Réponse du Premier ministre publiée le 25/07/2018
Réponse apportée en séance publique le 24/07/2018
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, une République irréprochable, celle que vous semblez appeler de vos vux, celle que j'appelle aussi des miens, celle que nous pourrions, je crois, partager, ce n'est pas une République dans laquelle rien ne se place (Ah ! et rires.), rien ne se passe ! (Exclamations amusées.) Je suis une fois de plus tombé dans un péché mignon.
Une République irréprochable, ce n'est pas une République qui serait composée d'individus, d'élus, d'hommes et de femmes, à tout jamais infaillibles. Ce n'est d'ailleurs pas ce que vous avez dit.
Une République irréprochable, c'est une République qui regarde en face les dysfonctionnements, qui regarde en face ce qui ne va pas dans les comportements individuels, et qui en tire les conséquences.
De ce point de vue, monsieur le président, dès lors qu'ont été connus les faits qui sont à l'origine de la discussion que nous avons aujourd'hui, des décisions ont été prises. Des décisions ont été prises à l'endroit de l'individu concerné ;
M. Pierre-Yves Collombat. Il a été grondé !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. des décisions ont été prises, également, lorsqu'il a été connu, jeudi soir dernier, que des agents de la préfecture de police de Paris auraient probablement je dis probablement, car je ne veux pas m'immiscer dans le processus judiciaire violé la loi en transmettant des images au chargé de mission employé par la présidence de la République.
Mme Esther Benbassa et M. Pierre-Yves Collombat. Ce ne sont pas les faits les plus graves !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Immédiatement, des mesures de suspension ont été prises, et, immédiatement, les procédures judiciaires ont été engagées. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Vous n'aviez pas le choix !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce qui eût été contestable, monsieur le président, c'est l'absence de mesures ; or des mesures ont été prises. (Protestations sur plusieurs travées.)
Mme Esther Benbassa. Quand ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Et rien n'a été caché, absolument rien.
M. Cédric Perrin. Pendant deux mois et demi, vous avez caché les faits !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les commissions d'enquête et la procédure judiciaire permettront j'en suis certain de décrire précisément l'enchaînement des faits et, le cas échéant, s'agissant de la procédure judiciaire, de déterminer les responsabilités individuelles. Mais il n'existe aucune volonté de cacher quoi que ce soit ; l'exécutif, le Gouvernement et le Premier ministre ont au contraire la volonté d'assumer politiquement l'ensemble du processus qui est à l'uvre.
Je vous le dis très clairement, monsieur le président : je ne crois pas que notre organisation institutionnelle ait à ce point changé au cours des dix dernières années (M. Olivier Paccaud s'exclame.) que la présidence, qui auparavant aurait été exemplaire, serait devenue si hyperprésidentialisée qu'elle en deviendrait insupportable.
M. Olivier Paccaud. Si veut le roi, si veut la loi !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous vivons dans les institutions de la Ve République ; dans ces institutions, dans ce système parlementaire, le Premier ministre, le Gouvernement sont responsables devant le Parlement. C'est un fait, et c'est très bien ainsi. Le Président de la République, lui, n'est pas soumis à ce contrôle : ni lui politiquement, ni l'organisation de ses services. C'est un fait aussi, qui n'est pas neuf.
Nous avons, ou plutôt nous avions, l'opportunité de discuter de ce sujet à l'occasion de la révision constitutionnelle. Et probablement, monsieur le président, vous et moi ne sommes-nous pas d'accord sur le sens qu'il faut donner à l'évolution de nos institutions.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Heureusement !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette discussion importante, qui intéresse évidemment les parlementaires
Mme Esther Benbassa. Ah oui ! Et la Nation !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. n'a pas eu lieu à l'Assemblée nationale parce que, après avoir été engagée, elle s'est interrompue en raison d'un nombre considérable de rappels au règlement, dont la succession pourrait, aux yeux d'un esprit taquin, ressembler à quelque chose qui relèverait de l'obstruction.
M. Roger Karoutchi. C'est très taquin, en effet !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Très taquin, oui : 298 rappels au règlement !
Le débat n'a donc pas eu lieu ; mais je me réjouis, monsieur le président, car il aura lieu. Il n'aura pas lieu à l'occasion de la présente session extraordinaire, mais lors d'une prochaine session. (Mme Esther Benbassa s'exclame.) Alors nous pourrons débattre de cette révision constitutionnelle
Mme Esther Benbassa. On verra !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. qui correspond aux engagements pris par le Président de la République, et qui sera discutée à l'Assemblée nationale et au Sénat et c'est très bien ainsi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique, en quelques secondes.
M. Patrick Kanner. Affaiblir le Parlement, affaiblir les corps intermédiaires, affaiblir les collectivités territoriales, affaiblir la presse, tout cela n'est pas bon, monsieur le Premier ministre. Retirez votre réforme constitutionnelle (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées.), et permettez au Parlement, par son travail, de l'améliorer au profit de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. M. Joël Labbé applaudit également.)
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