Question de M. CORBISEZ Jean-Pierre (Pas-de-Calais - RDSE) publiée le 10/05/2018

M. Jean-Pierre Corbisez attire l'attention de Mme la ministre du travail concernant les entreprises adaptées et, plus particulièrement, les modifications budgétaires votées dans le cadre de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ayant pour conséquence la baisse de leurs subventions.

L'entreprise adaptée est une entreprise à but social, composée majoritairement (80 %) de travailleurs handicapés à efficience réduite et en difficulté au regard de l'accès à l'emploi.
Les travailleurs handicapés employés dans ces structures ont un statut de salarié, avec les mêmes droits et devoirs que tout autre salarié.

L'entreprise adaptée est un lieu d'insertion pour la majorité des personnes handicapées éloignées de l'emploi et favorise également la mobilité vers le milieu ordinaire quand cela est possible.
Elle se développe sur un marché concurrentiel et est soumise aux mêmes contraintes de rentabilité et d'efficacité économique que toute autre entreprise.

Dans le département du Pas-de-Calais, les entreprises adaptées sont au nombre de treize et représentent 749 emplois dont 593 aides au poste.

La particularité de ces structures est qu'elles bénéficient, du fait de l'emploi de personnes handicapées, d'une aide au poste et de subventions spécifiques. Ces aides financières sont aujourd'hui remises en cause au bénéfice d'une volonté gouvernementale d'inclure davantage les personnes handicapées dans le milieu ordinaire.
Si cette volonté est tout à fait honorable, elle ne correspond pas aux réalités de terrain : aujourd'hui, dans le Pas-de-Calais, ces entreprises adaptées emploient la plupart du temps des personnes atteintes de déficience cognitive et qui ont d'énormes difficultés à trouver un emploi en milieu ordinaire. La diminution des aides représentera environ 10 millions d'euros par an et accroîtra les difficultés sociales déjà importantes sur ce territoire. En outre, des études montrent que le retour à l'emploi permet un gain social égal à 11 000 € par travailleur handicapé par rapport à une situation de non emploi (indemnisation liée à son handicap ou à sa situation de non emploi).

Il souhaite également préciser que l'État intervient financièrement pour compenser et non pour assister les entreprises adaptées. En effet, chaque euro investi par l'État est récupéré par le biais des cotisations et des impôts publics générés par le retour à l'emploi.

Les dernières mesures prises par le Gouvernement inquiètent fortement le secteur des entreprises adaptées et même si des négociations sont en cours avec les représentants du secteur, il souhaiterait l'interroger sur trois points. Si on peut se féliciter du report de la réforme au 1er janvier 2019, celui-ci doit s'accompagner d'un véritable processus de concertation avec les représentants du secteur dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2019 afin notamment de prendre en compte les spécificités locales, à l'image de celles évoquées pour le Pas-de-Calais. La dégressivité de l'aide au poste préconisée par le rapport conjoint des inspections générales des affaires sociales et des finances du 17 janvier 2018 risque de mettre en difficulté de nombreuses entreprises adaptées et il est donc nécessaire d'en étudier au préalable les impacts. L'État souhaite que les entreprises adaptées s'orientent davantage vers l'insertion. Dans cette perspective, les prochains contrats d'objectifs triennaux devront nécessairement prendre en compte la particularité des handicaps intellectuels et psychiques et intégrer des modalités spécifiques d'accompagnement des entreprises adaptées concernées.

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Réponse du Ministère du travail publiée le 04/07/2018

Réponse apportée en séance publique le 03/07/2018

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur les entreprises adaptées et leur situation financière.

L'entreprise adaptée est une entreprise à but social, composée majoritairement de travailleurs handicapés, mais dont le statut – les droits et les devoirs – ne diffère pas de celui de tout autre salarié.

L'entreprise adaptée, intervenant sur un marché concurrentiel, est soumise aux mêmes contraintes de rentabilité et d'efficacité économique que toute autre entreprise.

Mon département, le Pas-de-Calais, compte 13 entreprises adaptées.

Ces structures bénéficient, du fait de l'emploi de personnes handicapées, d'une aide au poste et de subventions spécifiques. Ces aides financières sont aujourd'hui remises en cause, au motif que le Gouvernement entend travailler à une meilleure inclusion des personnes handicapées dans le milieu ordinaire.

Si cette volonté est tout à fait honorable, madame la ministre, elle ne correspond pas aux réalités de terrain : aujourd'hui, dans mon département, les entreprises adaptées emploient la plupart du temps des personnes atteintes de déficience cognitive et qui ont d'énormes difficultés à trouver un emploi en milieu ordinaire.

La diminution des aides, de l'ordre de 10 millions d'euros par an, accroîtra les difficultés sociales déjà importantes sur mon territoire, et ce d'autant que, selon certaines études, le retour à l'emploi permet un gain social égal à 11 000 euros par travailleur handicapé par rapport à une situation de non-emploi.

Je souhaite également préciser que l'État intervient financièrement pour compenser, et non assister les entreprises adaptées. En effet, chaque euro investi par l'État est récupéré par le biais des cotisations et des impôts publics engendrés par le retour à l'emploi.

Vous comprendrez, madame la ministre, que les dernières mesures prises par le Gouvernement inquiètent fortement le secteur des entreprises adaptées.

Je souhaiterais donc vous interpeller sur trois points.

Premièrement, si l'on peut se féliciter du report de la réforme au 1er janvier 2019, comptez-vous engager, à la rentrée de septembre, un véritable processus de concertation avec les associations du secteur dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, notamment pour prendre en compte les spécificités locales ?

Deuxièmement, la dégressivité de l'aide au poste préconisée dans le rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances risque de mettre en difficulté de nombreuses entreprises adaptées. Comptez-vous en étudier, au préalable, les impacts ?

Troisièmement, l'État souhaite que les entreprises adaptées s'orientent davantage vers l'insertion. Comptez-vous donc prendre en compte dans les prochains contrats d'objectifs triennaux la particularité des handicaps intellectuels et psychiques et intégrer des modalités spécifiques d'accompagnement des entreprises adaptées concernées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Nous sommes d'accord, monsieur le sénateur Corbisez, les entreprises adaptées jouent un rôle essentiel dans la stratégie d'inclusion dans le travail et dans l'emploi, qui est un facteur d'émancipation pour tous.

Certains des travailleurs en situation de handicap n'ont pas besoin d'intégrer une entreprise adaptée ; ils peuvent travailler dans une entreprise classique, mais, pour d'autres, c'est une nécessité. Ce passage, temporaire ou non, par l'entreprise adaptée leur permet d'accéder à une véritable situation d'emploi, avec l'aide de la collectivité.

Je suis donc convaincue de la place fondamentale des entreprises adaptées dans notre stratégie globale d'émancipation par le travail et d'inclusion par l'emploi.

C'est pourquoi j'ai procédé, pour l'année en cours, à une hausse du budget des aides au poste pour les entreprises adaptées : 8 millions d'euros ont ainsi été ajoutés au budget initialement voté. Un effort a toutefois été demandé dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques.

Cela montre l'attention que nous portons à ce secteur et le soutien que nous lui apportons.

Au-delà, et je pense que cela va dans le sens que vous souhaitez, nous avons lancé dès le mois de janvier une concertation nourrie avec l'UNEA, l'Union nationale des entreprises adaptées, en lien avec les autres représentants du secteur. L'objectif est simple, ambitieux et partagé : permettre à plus de personnes en situation de handicap de trouver ou de retrouver la voie de l'emploi durable. En effet, bon nombre d'entre elles sont en attente et aimeraient pouvoir travailler en entreprise adaptée, tandis que d'autres, qui travaillent déjà en entreprise adaptée, pourraient probablement intégrer d'autres structures.

Cette concertation est construite autour de deux axes.

Le premier axe consiste à réaffirmer la vocation économique et sociale des entreprises adaptées, vous l'avez soulignée. Il s'agit de valoriser leur « savoir-faire inclusif », construit autour du triptyque : « situation d'emploi réelle, formation, accompagnement personnalisé ».

Le second axe consiste à innover en expérimentant de nouvelles approches du parcours professionnel des travailleurs handicapés, notamment lorsqu'il vise le recrutement dans des entreprises en dehors du secteur adapté. Inclure, c'est effectivement essayer autant que faire se peut que toutes les entreprises recrutent ces personnes, ce qui ne signifie pas qu'il faille réduire le nombre de places dans les entreprises adaptées - il en faut plus !

Vous avez évoqué les pistes ouvertes par le rapport de l'IGAS et de l'IGF de 2017. Ces pistes ont été discutées lors de la concertation précitée, mais d'autres voies ont aussi été envisagées dans ce cadre. La concertation étant parvenue à son terme, nous allons, avec ma collègue Sophie Cluzel, porter les conclusions de ces travaux devant le Sénat, dès la semaine prochaine, à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

C'est une transformation ambitieuse et partagée que nous allons mener et qui marquera, je l'espère, le point de départ d'un développement inégalé de l'emploi des personnes handicapées.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour répondre à Mme la ministre.

M. Jean-Pierre Corbisez. Il est vrai, madame la ministre, que certaines personnes handicapées n'ont pas besoin de recourir à une entreprise adaptée. En voici une preuve : je suis un sénateur handicapé et je me compte au nombre des plus chanceux !

Je vous remercie d'avoir précisé que les entreprises adaptées sont essentielles dans le paysage. Elles permettent en effet à des personnes portant des handicaps plus lourds de retrouver une vie professionnelle à peu près normale.

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