Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 08/02/2018
M. Jean Louis Masson attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur le fait que la presse nationale et l'agence France Presse ont annoncé fin janvier 2018 qu'avec l'accord du Gouvernement, l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) aurait décidé d'intégrer le trafic de drogue dans le calcul du produit intérieur brut (PIB) français. Il aurait même été précisé que cela entraînerait « une légère hausse » du PIB. Selon la presse, cette mesure serait mise en œuvre à la demande de l'Union européenne. Dans ces conditions, l'Union européenne doit être ridicule jusqu'au bout et prendre également en compte le produit des cambriolages ou des attaques à main armée. Il lui demande donc pour quelle raison parmi les crimes et délits, seul le trafic de drogue serait considéré comme contribuant au PIB.
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Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 22/03/2018
L'INSEE a décidé de faire évoluer le calcul du PIB, selon des méthodes statistiques sur lesquelles l'INSEE agit en toute indépendance, au regard de la réglementation européenne. Le Gouvernement ne peut que prendre acte du choix de l'INSEE. Les textes régissant l'établissement des comptes nationaux et, notamment le règlement n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne (SEC 2010), énumèrent les différents types d'activité englobées par la production au sens des comptes nationaux et précisent que ces activités « sont incluses dans la production, même si elles revêtent un caractère illégal ou ne sont pas connues officiellement des administrations fiscales et de la sécurité sociale, des services statistiques officiels ou autres organismes publics » (§ 3.08 du SEC 2010). Le SEC 2010 pose toutefois une limite (§ 1.65) : ne sont décrits par la comptabilité nationale que « les flux économiques entre institutionnels agissant d'un commun accord ». Le caractère illégal ou dissimulé d'une activité ne saurait donc, en aucun cas, justifier son exclusion du produit intérieur brut (PIB). Le fait que cette activité soit exercée par un commun accord des parties prenantes (producteur et consommateur) est en revanche un critère fondamental. Les activités, en elles-mêmes légales mais exercées de manière dissimulée, doivent sans équivoque être intégrées dans le calcul du PIB. L'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) s'en assure en effectuant divers redressements statistiques. En particulier, l'estimation de la valeur ajoutée des sociétés non financières est issue de l'exploitation de données comptables qui, par nature, excluent l'activité dissimulée : l'INSEE corrige donc l'estimation spontanée par une estimation de l'activité dissimulée des entreprises ayant une existence légale, fondée sur l'exploitation à des fins statistiques des résultats des contrôles fiscaux. Des redressements, statistiquement plus fragiles, sont également effectués pour tenir compte de l'activité des entreprises sans existence légale (travail clandestin) ou de l'emploi non déclaré de personnel domestique par des particuliers. Une correction visant à tenir compte des marges des personnes exerçant la contrebande de tabac est également appliquée. Au total, le montant ainsi ajouté à l'activité directement mesurable via l'appareil statistique s'élève à 68,1 Mds en 2010, soit 3,4 % du PIB. S'agissant des activités par nature illégales, la distinction entre ce qui doit être intégré dans le calcul du PIB et ce qui doit en être exclu, est plus délicate car en partie conventionnelle. S'il est clair, par exemple, que le vol ne doit pas être intégré dans le calcul du PIB puisque, par définition, la personne volée n'est pas consentante, les choses sont plus complexes s'agissant de la prostitution et du trafic de stupéfiants. S'agissant de la prostitution, l'INSEE s'est notamment appuyé sur le diagnostic porté par un rapport parlementaire sur la prostitution en France, rendu public par l'Assemblée nationale en 2011 (http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i3334.pdf). Ce rapport fait une distinction assez nette entre une prostitution « discrète » et une prostitution « de rue ». La première est le plus souvent exercée dans des lieux clos ayant officiellement une autre activité (1) (bars, salons de massage ) : l'INSEE considère que cette activité est déjà intégrée dans les comptes nationaux via l'exploitation des données comptables de l'ensemble des entreprises et les redressements opérés sur ces données sur la base de l'exploitation des résultats des contrôles fiscaux. La seconde est exercée dans la rue, dans des proportions écrasantes par des personnes contraintes de s'y adonner par des souteneurs : il s'agit très souvent de personnes étrangères en situation irrégulière, parfois mineures. Le rapport considère explicitement que cette forme de prostitution relève largement de l'esclavage sexuel. L'INSEE considère donc que cette forme de prostitution n'a pas vocation à être intégrée dans les comptes nationaux du fait de la contrainte qui s'exerce sur les personnes concernées et aucun redressement n'a été effectué au titre de cette prostitution de rue. Cette position, que l'INSEE a fait valoir à Eurostat en 2014, n'est pas remise en cause aujourd'hui. S'agissant du trafic de stupéfiants, l'INSEE s'est longtemps fondé sur le même argument que pour la prostitution de rue pour l'exclure des comptes nationaux, considérant que la consommation de drogues créait des situations de dépendance si marquée que l'on ne pouvait plus vraiment considérer que les consommateurs consentaient aux transactions. Aucune correction au titre du trafic de stupéfiants n'a donc été appliquée pour calculer le PIB en base 2010 publié en mai 2014. Il reste que cet argument est sur le fond plus discutable que dans le cas de la prostitution de rue. D'une part, on peut arguer que le consommateur a au moins consenti aux premières transactions, avant qu'il ne devienne dépendant et, d'autre part, l'argument de la dépendance pourrait tout aussi bien s'appliquer à des substances ou des services également générateurs d'addictions mais dont la consommation est autorisée (tabac, alcools voire jeux de hasard et d'argent) et qui ont toujours été pris en compte par la comptabilité nationale. Pour ces raisons et, constatant qu'il était assez isolé au niveau européen dans sa contestation du bien-fondé de l'intégration des stupéfiants dans les comptes nationaux, l'INSEE a préféré s'aligner sur les pratiques des autres pays. En pratique, les stupéfiants seront donc pris en compte dans la base 2014 des comptes nationaux qui sera publiée en mai 2018. L'impact en 2014 est de + 2,5 Mds sur le PIB et de + 3 Mds sur la consommation finale des ménages. (1) La prostitution « discrète », telle que définie dans le rapport, comprend aussi la prostitution par internet et la prostitution étudiante, mais le rapport ne fournit aucun élément quantitatif permettant de cerner, même très approximativement, l'ampleur de ces phénomènes.
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