Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - Socialiste et républicain) publiée le 20/07/2017
Mme Marie-Noëlle Lienemann attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur les marchés publics pour les logiciels.
En dehors du cadre des logiciels libres ou des standards ouverts, la gratuité des logiciels, formations ou services qui sont proposés au grand public se traduit nécessairement par des avantages indirects pour les entreprises qui les proposent. La contrepartie du courriel gratuit tient dans l'accès aux données personnelles des usagers. La contrepartie d'un site web gratuit correspond à l'affichage de publicités pour ses visiteurs. Un logiciel qui est offert permet de bénéficier de plus de retours des usagers pour l'améliorer, et aide à imposer les technologies qu'il utilise sur le marché au détriment de ses concurrents. Mais ce qui relève du choix des usagers d'accepter ou de refuser individuellement les contreparties de cette gratuité ne saurait être accepté par l'État sans lourdes conséquences sur l'état du marché, de la concurrence, et finalement sur le public lui-même. En laissant un acteur du marché offrir gratuitement ses produits ou ses services à l'État, la contrepartie est évidemment de les imposer au grand public qui en aura pris l'habitude le risque étant démultiplié dans certains secteurs sensibles comme l'éducation où cette fourniture gratuite de produits et services aboutira à former et formater des millions d'enfants à leur usage à un âge où ils auraient au contraire besoin de comprendre qu'il existe une grande diversité de possibilités.
Ces situations sont normalement contrôlées par le droit des marchés publics qui interdit que l'État accepte des produits ou des services gratuits en contrepartie d'avantages indirects pour les entreprises. L'objectif est à la fois de protéger l'égalité de traitement face aux marchés publics, mais aussi d'éviter le développement de pratiques qui peuvent rapidement relever du favoritisme ou de la corruption.
Ce contrôle permet également de s'assurer que les produits ou services qui sont fournis correspondent exactement au besoin initial de l'État et que la solution proposée soit la mieux adaptée.
Malgré cette interdiction, différentes administrations, dont notamment le ministère de l'éducation, ont insisté pour accepter des conventions de ce type.
Bien que cette pratique nouvelle soit contradictoire avec l'ensemble des règles gouvernant les marchés publics en France et en Europe, bien qu'elle favorise des entreprises dont les pratiques fiscales aient pu justifier d'importants redressements, bien qu'elle vise des produits ou des services dont les fournisseurs aient pu déjà être condamnées par les autorités de concurrence françaises et européennes, le ministère a tenu à passer outre en prétextant d'une volonté de pragmatisme et d'économie.
Elle avait déposé avec plusieurs de ses collègue sénateurs en avril 2016 un amendement à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui visait à interdire clairement cette pratique qui semble se développer, et à l'interdire nettement. À défaut il faudrait admettre que des entreprises peuvent faire du dumping sur le marché en proposant leurs produits et services gratuitement à l'État, et accepter toutes les dérives que cela peut représenter en termes d'avantages indirects, de corruption et de dégradation du service public.
Elle lui demande ce que compte faire le Gouvernement pour éviter les dérives décrites ci-dessus.
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Transmise au Ministère de l'économie et des finances
Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 10/05/2018
Définie par le code civil (article 893) comme « l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne », la libéralité suppose l'octroi d'un avantage sans contrepartie. Si défense est faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, il n'existe, en revanche, aucun principe inverse faisant obstacle à ce qu'elles en bénéficient (cf. CE, 4 mai 2011, chambre du commerce et d'industrie de Nîmes, n° 334280). À cet égard, il convient de souligner qu'une telle démarche n'a pas le caractère de contrat de la commande publique. En effet, les contrats de la commande publique ont pour point commun la satisfaction d'un critère financier : le contrat doit être conclu à titre onéreux. Par suite, les contrats conclus à titre gratuit sont exclus du champ d'application des règles de la commande publique. Le critère financier permet ainsi de distinguer les contrats de la commande publique d'autres contrats passés par des acheteurs. En principe, le caractère onéreux d'un marché public (article 4 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics) implique que l'acheteur verse un prix en contrepartie de la prestation dont il bénéficie en exécution du contrat ou que ce dernier abandonne, à tout à le moins, une créance (cf. CE, 15 mai 2013, Ville de Paris, n° 364593) tandis que dans le cadre d'un contrat de concession (article 5 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession), l'abandon d'un droit d'exploitation caractérise son onérosité. En l'espèce, il est vraisemblable que la mise à disposition à titre gratuit de logiciels payants aux administrations par les grandes entreprises de l'informatique permet à ces dernières d'escompter un avantage indirect eu égard notamment à l'espérance de futurs contrats payants de la part des utilisateurs qui auront été gratuitement habitués à l'usage de leurs outils. Pour autant, cet avantage indirect n'est pas de nature, à lui seul, en l'absence d'abandon de créance par la personne publique ou d'octroi d'un droit d'exploitation, à caractériser l'onérosité d'une telle convention. Dans ces conditions, le droit de la commande publique est inapplicable à ces contrats conclus à titre gratuit. Dans un souci de bonne administration et dans la mesure où de tels contrats peuvent avoir une incidence à terme sur la concurrence, les personnes publiques veilleront toutefois à circonscrire l'objet de ces contrats, à en limiter leur durée et, à ne pas octroyer d'exclusivité à l'opérateur économique afin de permettre à d'autres concurrents de bénéficier des gains notamment d'image en résultant.
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