Question de M. MALHURET Claude (Allier - Les Républicains) publiée le 13/05/2016

Question posée en séance publique le 12/05/2016

M. Claude Malhuret. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

Monsieur le secrétaire d'État, un prochain Conseil européen doit décider de valider ou non l'accord avec la Turquie portant, notamment, sur la libéralisation des visas pour les citoyens turcs venant en Europe.

Parmi les critères fixés par l'Union européenne, un certain nombre concernent les droits de l'homme. Or, aujourd'hui, les droits correspondants ne sont pas respectés par la Turquie et il n'y a aucune chance qu'ils le soient d'ici à la réunion du prochain Conseil européen.

Dans ces conditions, il paraît évident que cet accord ne peut être signé. Pouvez-vous nous confirmer que telle est bien la position de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

- page 7489


Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes publiée le 13/05/2016

Réponse apportée en séance publique le 12/05/2016

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, comme vous venez de le rappeler, dans le cadre de l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie tendant à lutter contre le trafic des êtres humains en mer Égée qui a provoqué des centaines de morts au bénéfice des seuls trafiquants, un certain nombre de mesures ont été prises pour permettre la réadmission en Turquie des personnes arrivées irrégulièrement en Europe et pour s'assurer que la Turquie leur accordera une protection temporaire ; ce pays a d'ailleurs modifié sa législation en ce sens. C'est le cas, en particulier, pour les Syriens : de nombreux réfugiés syriens sont présents en Turquie, mais il fallait s'assurer que ceux qui seraient réadmis ne soient pas renvoyés en Syrie. Une protection a également été prévue pour les Pakistanais et les Afghans.

L'Europe s'est aussi engagée à admettre un certain nombre de réfugiés syriens provenant de Turquie sur son territoire. Il existe ainsi une voie légale d'accueil des réfugiés, qui sont répartis de façon solidaire dans l'ensemble de l'Union européenne. Cette voie doit se substituer à la voie illégale qui a provoqué les drames que j'évoquais et pose toujours des problèmes en Grèce. En effet, la route des Balkans ayant été fermée, la Grèce connaît un véritable engorgement, avec plus de 50 000 réfugiés présents sur son territoire.

Nous venons d'ailleurs en aide à la Grèce, à la fois en fournissant des personnels à l'agence FRONTEX et au Bureau européen d'appui en matière d'asile et en apportant de l'aide humanitaire.

Dans le cadre de l'accord susvisé, il a été décidé d'accélérer une négociation déjà engagée depuis plusieurs années avec la Turquie en vue de la libéralisation des visas.

Vous l'avez dit, des critères sont exigés, pour la Turquie comme pour d'autres pays ; ces critères, qui sont au nombre de soixante-douze et qui portent notamment sur des mesures de sécurité, sur les passeports biométriques, sur la propre politique de visas de la Turquie, ou encore sur le respect des droits de l'homme, devront être remplis pour que cette libéralisation des visas puisse être mise en œuvre.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d'État !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Par ailleurs, nous avons demandé qu'une clause de sauvegarde puisse également être incluse dans l'accord. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour la réplique.

M. Claude Malhuret. Monsieur le secrétaire d'État, chacun peut comprendre qu'il faille discuter avec la Turquie, mais personne ne peut admettre que l'on s'assoie sur nos principes.

Soyons clairs : nous savons déjà que ces critères ne seront pas respectés. Par conséquent, il faut bien donner une réponse sur ce point.

La situation des droits de l'homme en Turquie s'aggrave de jour en jour. La liberté d'expression est à l'agonie : deux journalistes de Cumhuriyet viennent d'être condamnés à cinq ans de prison ferme ; le quotidien Zaman a été investi par la police, et ses journalistes ont été licenciés et remplacés par des pisse-copies à la botte ; le groupe de presse Koza Ipek a été forcé de fermer ses deux chaînes de télévision, ses deux journaux et sa radio ; dans son classement mondial de la liberté de la presse, Reporters sans Frontières place la Turquie au 151e rang, entre le Tadjikistan et le Congo.

M. Roger Karoutchi. Et voilà !

M. Claude Malhuret. La magistrature a été mise au pas.

Les universitaires qui ont signé une pétition pour la paix au Kurdistan sont harcelés et chassés de leurs postes.

Depuis la réélection, en 2014, d'Erdogan, 2 000 citoyens turcs ont été poursuivis pour outrage au chef de l'État.

Je pourrais continuer longtemps cette citation d'exemples.

M. Jean-Louis Carrère. Ce sont des postures !

M. Claude Malhuret. Négocier un accord avec les Turcs est une chose, mais donner un brevet de démocratie en le signant dans les conditions actuelles serait très grave. En effet, le pouvoir turc s'en servira aussitôt pour discréditer l'opposition démocratique en affirmant, avec une presse aux ordres, que l'Union européenne estime que les libertés sont respectées en Turquie.

Monsieur le secrétaire d'État, si, demain, notre pays signe cet accord, alors que des critères essentiels ne sont pas remplis, nous montrerions que nous sommes prêts à renier nos valeurs sous le prétexte de l'urgence, de la panique, ou, pis encore, du chantage. La France ne peut laisser faire cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

- page 7489

Page mise à jour le