Question de Mme DEMESSINE Michelle (Nord - Communiste républicain et citoyen) publiée le 03/12/2015
Mme Michelle Demessine appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la responsabilité des entreprises dans l'exposition de leurs salariés à l'amiante.
En effet, dans un arrêt du 9 novembre 2015, le Conseil d'État a admis le principe qu'un employeur puisse se retourner contre l'État pour réclamer un remboursement partiel des indemnités versées aux victimes de l'amiante, au titre de la faute inexcusable. Il a ainsi condamné l'État à verser une somme à la société des constructions mécaniques de Normandie (CMN).
Cet arrêt confirme la faute de l'employeur mais considère que ce dernier peut se retourner contre l'administration, en vue de lui faire supporter, pour partie, la charge de la réparation, au motif qu'elle a négligé de prendre les mesures qui auraient pu l'empêcher de commettre le fait dommageable.
Une telle exonération partielle de la responsabilité des employeurs soulève, à juste titre, l'indignation des associations et des syndicats de victimes de l'amiante.
Elle ouvre la porte à d'autres entreprises qui voudront mettre le prix de leurs fautes à la charge du contribuable.
De plus, en atténuant les conséquences financières d'une faute inexcusable, cet arrêt incite les entreprises à relâcher leur vigilance quant à l'exposition de leurs salariés à l'amiante.
Elle souhaiterait donc savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour éviter un recul conséquent de la responsabilité des entreprises face au fléau de l'amiante.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Secrétariat d'État, auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification publiée le 16/03/2016
Réponse apportée en séance publique le 15/03/2016
Mme Michelle Demessine. Je tiens à interpeller le Gouvernement sur un sujet qui m'est particulièrement cher : le combat contre les conséquences de l'utilisation de l'amiante.
Il me paraît bon de le rappeler, ce fléau a causé, et cause encore des maladies mortelles, notamment chez les salariés des grandes industries métallurgiques ou sidérurgiques qui ont été particulièrement touchés. Il suffit de se rendre régulièrement dans les assemblées générales de victimes de l'amiante, comme je le fais, pour réaliser l'ampleur du désastre.
Face à ce scandale sanitaire, les industriels qui ont exposé leurs salariés à l'amiante continuent à user de tous les arguments juridiques pour nier leurs responsabilités. C'est tout le sens de l'arrêt du Conseil d'État du 9 novembre 2015, qui a malheureusement donné gain de cause à la société des Constructions mécaniques de Normandie en condamnant l'État à lui verser 350 000 euros.
Par cet arrêt, la plus haute juridiction administrative a admis qu'un employeur condamné au titre de la faute inexcusable se retourne contre l'État pour réclamer un remboursement partiel des indemnités versées à ses salariés victimes de l'amiante !
Pour les victimes de l'amiante, leurs familles, les associations et les syndicats qui les soutiennent, cet arrêt résonne comme un coup de tonnerre. Elles n'acceptent tout simplement pas que les industriels mettent le prix de leurs fautes à la charge du contribuable. En outre, cet arrêt risque de faire « tache d'huile », puisque les groupes Latty et Eternit ont obtenu des jugements similaires et favorables devant les tribunaux administratifs de Nantes et de Versailles.
Pour entrer rapidement dans le détail de l'arrêt, l'État est condamné pour la période d'avant 1977, date du décret imposant une série de mesures à prendre lors de travaux au contact de l'amiante. Cependant, les règles en vigueur avant 1977 étaient déjà suffisamment précises pour constituer une obligation particulière de sécurité en matière d'amiante. Tout le monde connaissait déjà la dangerosité de ce matériau.
Ainsi, ne va-t-on pas vers une déresponsabilisation des employeurs dans la mise en danger de la santé de leurs salariés ? Si ce revirement jurisprudentiel était confirmé, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour éviter un recul important et dramatique de la responsabilité des entreprises face au fléau de l'amiante ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la sénatrice, je vous prie d'excuser l'absence de M. le garde des sceaux, qui est retenu par d'autres obligations.
J'en profite pour saluer votre combat constant pour la défense des salariés victimes de l'amiante. Je sais que de nombreuses régions françaises sont concernées, mais votre région, le Nord de la France, a été particulièrement frappée. Permettez-moi d'associer à ce bref hommage mon amie et ancienne collègue Marie-Christine Blandin. Nous avons pu ensemble intervenir sur ces thématiques, qui intéressent à la fois la justice, la solidarité, la santé et l'écologie. Il s'agit donc de luttes que nous menons ensemble !
Vous interpellez le Gouvernement sur la manière dont la jurisprudence traite de la responsabilité des entreprises dans l'exposition de leurs salariés à l'amiante.
Il convient tout d'abord de rappeler un principe : les victimes doivent être indemnisées pour le préjudice qu'elles ont subi, et chacun doit payer à hauteur de sa responsabilité. C'est sur ce principe que se fonde la jurisprudence du Conseil d'État en matière d'exposition à l'amiante.
La responsabilité de l'État pour carence dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante a été reconnue pour la première fois le 3 mars 2004 par le Conseil d'État.
L'arrêt du 9 novembre 2015, que vous évoquez à juste titre, vise uniquement à préciser les conditions du partage de responsabilité entre l'État et l'employeur qui a été condamné par le juge judiciaire à réparer le préjudice résultant d'une exposition aux poussières d'amiante.
Ainsi, et c'est important, pour le Conseil d'État, la circonstance que l'employeur ait été condamné pour « faute inexcusable » ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'État puisse être engagée à raison de la faute commise, à condition qu'il en soit résulté un préjudice « direct et certain », selon les termes précis de l'arrêt.
Pour autant, il ne s'agit pas du tout de déresponsabiliser les employeurs.
D'abord, l'État, qui doit lui aussi être exemplaire, ne voit sa responsabilité engagée que sur les seules fautes liées aux obligations qui lui incombent directement. À ce titre, un recours de l'employeur contre l'État doit prouver la causalité directe entre la faute de l'État et les pathologies des victimes.
Ensuite, en cas de faute « particulièrement grave et délibérée », l'employeur demeure seul redevable de l'indemnisation de la victime et ne peut pas se retourner contre l'État.
Enfin, l'employeur poursuivi par une victime doit l'indemniser intégralement avant d'exercer un recours contre l'État.
Comme vous le voyez, la jurisprudence ne décharge aucunement les employeurs reconnus fautifs pour avoir mis leurs salariés en danger ; ils doivent assumer leurs responsabilités et indemniser les victimes de l'amiante.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse juridiquement très argumentée.
Je persiste cependant à vouloir attirer l'attention du Gouvernement sur les dérives que l'on peut craindre du fait de l'extension d'une telle jurisprudence à l'ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Nous devons rester particulièrement vigilants dans la période de déréglementation à tout va que nous vivons. Je souhaite que la parole de l'État reste forte dans ce domaine.
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