Question de Mme BLONDIN Maryvonne (Finistère - Socialiste et républicain) publiée le 08/10/2015
Mme Maryvonne Blondin attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur la situation des enfants intersexes en France.
La question de l'intersexuation s'avère aujourd'hui encore largement méconnue : les personnes intersexes ne disposent pas, à la naissance, de caractères sexuels déterminés (pleinement masculins ou féminins). Il naît environ 2 % d'enfants intersexes par an, en France : les parents, souvent désemparés, doivent alors se déterminer sur le sexe qu'ils veulent attribuer à leur enfant, avec le conseil des médecins. Ces pratiques chirurgicales constituent une véritable violence à l'égard de ces enfants. Douloureuses, souvent très nombreuses, elles entraînent, bien souvent, des difficultés postopératoires et des troubles d'identité. L'organisation des Nations unies (ONU) reconnaît d'ailleurs ces pratiques médicales comme de véritables mutilations.
Elle lui demande donc quelles mesures peuvent être prises pour mieux appréhender cette situation, pour protéger les enfants intersexes et garantir leur droit à l'intégrité physique.
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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie publiée le 10/02/2016
Réponse apportée en séance publique le 09/02/2016
Mme Maryvonne Blondin. Madame la secrétaire d'État, actuellement, en France, il naît environ 2 % d'enfants par an qui ne disposent pas, à la naissance, de caractères sexuels bien précis. Les parents, mal informés, doivent se déterminer sur l'assignation du sexe qu'ils veulent donner à leur enfant pour l'inscrire à l'état civil selon la classification binaire du genre, et ce dans un délai de trois ans.
Les actes de chirurgie corrective qui en découlent sont qualifiés de véritables mutilations et tortures par les institutions des Nations unies et par le Conseil de l'Europe, dans son rapport de 2013 sur les droits des enfants à l'intégrité physique. Au-delà de la violence physique, ces personnes sont niées dans ce qu'elles sont intrinsèquement. Les discriminations dont elles sont victimes entraînent bien souvent leur précarisation.
Les personnes intersexes réclament aujourd'hui le droit à leur intégrité physique et au respect de leur choix. Des associations se sont constituées dans de nombreux pays afin de faire entendre leurs revendications et leur volonté de faire changer la législation des États qui pratiquent les opérations destinées à la détermination sexuée des nourrissons.
Certains pays ont d'ores et déjà établi qu'aucune opération ne peut être pratiquée tant que l'enfant n'est pas en âge de dire s'il souhaite devenir un homme ou une femme, ou rester intersexe. Nous n'en sommes pas encore là en France. Aucune étude n'a été réalisée, ce qui rend encore plus invisibles les personnes intersexes. En revanche, la prise en compte de cette question progresse dans notre société.
En juin dernier, dans le cadre du festival du cinéma des minorités, l'Organisation internationale des Intersexes a mis en place une résidence à Douarnenez accueillant les témoignages des personnes intersexes du monde entier, ainsi que des juristes, des médecins, des sociologues et le représentant du Commissaire européen aux droits de l'homme.
Je me réjouis aussi que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes organise une table ronde sur cette thématique le 12 mai prochain.
Par ailleurs, la décision du tribunal de grande instance de Tours, en octobre dernier, de modifier l'acte de naissance d'une personne intersexuée âgée de plus de soixante ans, désignée jusque-là comme étant de « sexe masculin », en acceptant d'enregistrer la mention « sexe neutre », constitue une avancée indéniable.
Aussi, madame la secrétaire d'État, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour mieux protéger ces enfants et garantir leurs droits fondamentaux ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur les enfants intersexes à la naissance, c'est-à-dire les nouveau-nés qui ont une anomalie congénitale entraînant une difficulté de détermination du sexe.
Ces situations sont fort heureusement rares : l'incidence à la naissance est mal connue, mais serait de l'ordre d'une naissance sur 5 000, soit probablement environ 160 naissances par an. Pour autant, la marginalité de la situation n'altère en rien l'importance du sujet.
Mme Maryvonne Blondin. Non, en effet !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a interrogé à ce sujet la France au cours des auditions des 13 et 14 janvier dernier. Le Comité a soulevé des questions relatives à la temporalité des interventions et au consentement de l'enfant lui-même, qui nécessiterait de décaler les interventions dans l'intérêt de l'enfant.
Avant toute décision thérapeutique, ces enfants nécessitent une prise en charge multidisciplinaire dans des centres experts spécialisés où seront réalisés les examens endocrinologiques, génétiques et d'imagerie indispensables pour définir la maladie responsable et les possibilités thérapeutiques, médicales autant que chirurgicales.
En France, il existe un centre de référence, le centre des maladies rares du développement sexuel, qui comprend un site à Lyon et un site au Kremlin-Bicêtre ; il travaille en lien avec les autres centres de référence des maladies endocriniennes rares. Le recours à un centre de référence est essentiel pour la démarche diagnostique, le traitement médical et les indications chirurgicales, précoces ou différées, le suivi, ainsi que pour la recherche clinique.
Les indications chirurgicales peuvent être difficiles. C'est pourquoi elles font l'objet de discussions et de travaux internationaux, qui, reconnaissons-le, ne sont pas parfaitement consensuels. Ces indications chirurgicales sont le plus souvent spécifiques à chaque cas et demandent donc une information personnalisée très complète et régulière des parents.
Le caractère irréversible de certaines interventions de reconstruction impose de tenir compte des données médicales, en particulier pronostiques, et du libre choix des parents et de l'enfant quand celui-ci est en mesure d'exprimer sa volonté.
Quelles que soient les modalités thérapeutiques, un suivi prolongé est nécessaire pour évaluer les conséquences physiques, sexuelles et psychiques des traitements réalisés.
Dans ces situations médicales complexes, aux conséquences multiples tout au long de la vie, la qualité de l'expertise, de la prise en charge et du dialogue continu est le meilleur garant du respect des droits de l'enfant. Elle doit permettre d'éviter toute décision hâtive et tout acte qui pourrait être vécu plus tard comme une mutilation inacceptable.
Enfin, cette question de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre est une problématique partagée en Europe. Elle fait l'objet de travaux en cours au sein du plan d'action sur les droits des enfants 2016-2021 et de l'unité « SOGI » du Conseil de l'Europe, en charge des questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre.
Au regard de la complexité d'un sujet qui se rapporte tant aux questions d'éthique qu'aux droits de la personne humaine, à la lutte contre les discriminations et à la santé, le Comité consultatif national d'éthique sera saisi avant que puisse être arrêtée une position du Gouvernement en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Vous avez décrit toutes les difficultés d'un sujet sur lequel ma question visait à sensibiliser un peu plus encore notre société, madame la secrétaire d'État, et je vous en remercie.
Je veux tout de même souligner la force des témoignages qui ont été recueillis dans le cadre du travail réalisé par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, travail auquel j'ai participé auprès de Mme Rupprecht. En Allemagne, les interventions chirurgicales ont ainsi été différées jusqu'à l'âge de quinze ans, le temps que l'enfant puisse véritablement donner son avis.
Or, en France, s'impose un délai de trois ans pour remplir la fameuse case : « femme » ou « homme ». Nous en sommes là ! J'aimerais donc que ce sujet soit vraiment pris en compte et que le Défenseur des droits, qui y a été sensibilisé, puisse s'en saisir.
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