Question de M. MARC François (Finistère - Socialiste et républicain) publiée le 30/10/2015
Question posée en séance publique le 29/10/2015
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le vote intervenu ce mardi au Sénat sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a créé une véritable onde de choc dans nos territoires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
On sait que, depuis 1992, vingt-cinq pays européens ont ratifié cette charte, mais pas la France !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Et alors ?
M. Hubert Falco. La Méditerranée ne s'est pas retirée !
M. François Marc. Dans ce contexte, par son vote d'obstruction, la droite sénatoriale a causé une énorme déception chez tous les promoteurs de nos cultures et langues régionales, au Pays basque, en Corse, en Occitanie, en Alsace, aux Antilles, en Bretagne et dans de nombreux autres territoires qui, dans leur riche diversité, ont tant apporté à la République une et indivisible.
Nombre de nos concitoyens ne comprennent pas d'où viennent les craintes à l'égard de ce que le Conseil constitutionnel reconnaît déjà comme faisant partie du patrimoine culturel de la nation.
M. François Grosdidier. Nous n'avons jamais dit le contraire !
M. François Marc. Ayons à l'esprit, mes chers collègues, que le Programme des Nations unies pour l'environnement a récemment émis une alerte sur le risque d'extinction de 90 % des langues parlées dans le monde au cours du XXIe siècle.
M. le président. Il vous reste trente secondes, mon cher collègue !
M. François Marc. Chacun doit en convenir, la disparition de notre riche patrimoine linguistique serait une catastrophe qu'il nous faut à tout prix éviter. Nous devons dès lors démontrer notre détermination à agir par des signaux forts, et la promotion des langues régionales dans leur diversité doit pouvoir être soutenue par une République forte, enrichie de toutes nos différences.
M. le président. Veuillez conclure !
M. François Marc. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire quelle analyse vous faites du vote intervenu au Sénat le 27 octobre dernier ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Quelles initiatives comptez-vous prendre pour faire de nos langues régionales un atout culturel qu'il faut encourager ? (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
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Réponse du Premier ministre publiée le 30/10/2015
Réponse apportée en séance publique le 29/10/2015
Monsieur le sénateur, oui les langues sont une richesse pour le monde - nous avons tous en tête le rapport des Nations unies - et pour la France. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit avec ironie.)
Notre pays est riche de son histoire, riche de la diversité de ses territoires - que vous représentez, mesdames, messieurs les sénateurs -, riche de ses traditions en métropole, dans les outre-mer, sur tous les continents. Il est riche aussi de son unité ; il n'y a là aucun paradoxe. Vous l'avez dit très justement, monsieur Marc : la République est une et indivisible et elle est aussi diverse. C'est toute sa chance et toute sa force ; il ne faut pas en avoir peur.
Alors oui, je le répète - je l'ai déjà dit hier à l'Assemblée nationale -, je regrette profondément le choix de la majorité sénatoriale de rejeter le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ou, plus exactement, de refuser même d'en débattre.
Au moment où notre pays a besoin d'écrire une histoire qui reconnaisse précisément toutes les histoires,...
Mme Frédérique Espagnac. Absolument !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... de partager un destin commun,...
M. François Grosdidier. Et un ciment qui est la langue !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... un idéal ambitieux qui fasse place à tous nos concitoyens, je le dis à la majorité sénatoriale - tout en respectant évidemment le vote et les choix de chacun -, je déplore ce choix.
Je l'affirme très sincèrement : je crois que ce choix est une erreur. C'est une erreur politique, car, pour masquer vos propres divisions sur cette question-là - ce sont des choses qui arrivent - (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),...
M. François Grosdidier. Vous oubliez les radicaux de gauche !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... vous avez utilisé un artifice de procédure ; vous n'êtes pas les premiers, et vous ne serez pas les derniers à le faire. C'est aussi une erreur, parce que, ce faisant, vous, majorité sénatoriale, avez refusé - avec parfois quelque contradiction par rapport à ce que l'on peut entendre à quelques semaines du rendez-vous des élections régionales - d'entendre les territoires que vous représentez.
Pourtant, cette erreur est un contresens, car la Charte n'introduit pas - comme cela a été prétendu, d'ailleurs - le communautarisme dans notre République ; elle ne vise qu'à protéger, à promouvoir les langues régionales ou minoritaires comme partie intégrante - vous l'avez très bien dit, monsieur Marc - de notre patrimoine culturel et historique.
M. François Grosdidier. C'est déjà dans la Constitution !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette Charte ne remet pas en cause notre langue nationale, le français ; vous savez combien je suis attaché, comme chacun d'entre vous, à cette langue, qui a permis à la France de porter haut dans le monde ses principes et ses valeurs universelles, et vous savez combien nous devons défendre le français dans le monde.
Toutefois, porter les valeurs de la France, défendre la République et son unité, ce n'est pas rejeter les langues régionales.
M. François Grosdidier. Nous ne les rejetons pas !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce n'est pas non plus adresser le message de défiance que vous avez choisi d'envoyer à tous ceux qui parlent occitan, catalan, breton, basque ou créole.
Monsieur le sénateur, une République forte, c'est une République qui a confiance en elle-même ! Une République forte, c'est une République une et indivisible, non une République enfermée dans la conception étroite et rabougrie de son unité, non une République au cur sec qui chasse de son patrimoine national tous les imaginaires sans lesquels la langue française, notre culture, ne serait pas aussi belle !
M. François Grosdidier. Caricature !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mona Ozouf, que vous connaissez bien, dit que l'on peut être à la fois Breton, Français et républicain ; c'est cela la plus belle définition de ce que nous sommes : nous portons une conception ouverte, non pas fermée ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, et sur quelques travées du groupe CRC.)
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