Question de M. LECONTE Jean-Yves (Français établis hors de France - SOC) publiée le 11/06/2015
M. Jean-Yves Leconte appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les dispositions réglementaires applicables à l'acquisition de la nationalité française en raison du mariage et, en particulier, sur le moment de l'appréciation de la nationalité du conjoint du déclarant.
L'alinéa 1 de l'article 21-2 du code civil dispose : « L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. »
Or, l'article de l'article 14-1 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, dresse la liste des pièces à fournir par le conjoint étranger et, en particulier, dans son 4° prévoit de produire : « Un certificat de nationalité française, les actes de l'état civil ou tous autres documents émanant des autorités françaises de nature à établir que son conjoint avait la nationalité française au jour du mariage et l'a conservée ». Ce décret déplace donc au jour du mariage l'exigence législative prévue au jour de la déclaration.
Cela a également été repris par une circulaire N° NOR IMIC0900097C du 29/12/2009, du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de l'époque, ayant pour objet « la mise en œuvre de la procédure d'acquisition de la nationalité française en raison du mariage par les préfectures et les consulats ». Cette circulaire précise que « le conjoint du déclarant doit être français à la date du mariage et avoir conservé cette nationalité sans interruption ». Elle ajoute qu'il en résulte que « ne permet pas l'acquisition de la nationalité française le cas où deux conjoints étaient étrangers au moment du mariage et où l'un d'eux a acquis postérieurement la nationalité française, y compris par déclaration souscrite au titre de l'article 57-1 du code de la nationalité française ou 21-3 du code civil (possession d'état de Français) ».
Leurs conjoints ne peuvent donc pas bénéficier de l'acquisition de la nationalité en raison du mariage, alors même qu'au moment où ils se sont mariés, ils ont épousé une personne considérée comme française par les autorités publiques et que tel a été le cas durant au minimum dix années.
Plusieurs Français établis hors de France sont mariés avec des conjoints de nationalité étrangère qui n'ont pas pu déposer auprès des postes consulaires une demande d'acquisition de la nationalité par mariage au motif qu'ayant bénéficié de la possession d'état de Français après la date du mariage, le conjoint du déclarant ne remplissait pas la condition requise. Il lui demande si ceux-ci doivent être contraints de recourir à une solution absurde consistant à divorcer après dix, vingt ou trente ans de mariage pour se remarier ensuite.
Cela crée d'autant une différence de traitement selon que nos compatriotes résident sur notre territoire ou à l'étranger. Les conjoints de Français qui se voient opposer un tel refus en préfecture, opteront alors pour le dépôt d'une demande de naturalisation dès qu'ils en rempliront la condition « de stage » exigeant cinq années de présence continue sur le territoire français. Or, évidemment, les conjoints de Français établis à l'étranger ne remplissent pas cette condition et sont privés, sauf cas exceptionnels prévus par le code civil, de la possibilité de solliciter une naturalisation.
Il lui demande donc s'il envisage de revenir sur ces dispositions réglementaires prises par l'ancienne majorité gouvernementale qui posent de sérieuses difficultés.
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Réponse du Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes publiée le 22/07/2015
Réponse apportée en séance publique le 21/07/2015
ministre de l'intérieur.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur les dispositions réglementaires applicables à l'acquisition de la nationalité française en raison du mariage, en particulier sur le moment de l'appréciation de la nationalité du conjoint du déclarant.
L'alinéa 1 de l'article 21-2 du code civil dispose que « l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. »
Or l'article 14-1 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, qui dresse la liste des pièces à fournir par le conjoint étranger, prévoit, aux termes du 4°, que celui-ci produit, en particulier, « un certificat de nationalité française, les actes de l'état civil ou tous autres documents émanant des autorités françaises de nature à établir que son conjoint avait la nationalité française au jour du mariage et l'a conservée ». Ce décret déplace donc au jour du mariage l'exigence législative, prévue au jour de la déclaration.
Cela a été repris par une circulaire du 29 décembre 2009 ayant pour objet la « mise en uvre de la procédure d'acquisition de la nationalité française en raison du mariage par les préfectures et les consulats » : cette circulaire précise que « le conjoint du déclarant doit être français à la date du mariage et avoir conservé cette nationalité sans interruption ».
Elle ajoute qu'il en résulte que « ne permet pas l'acquisition de la nationalité française le cas où deux conjoints étaient étrangers au moment du mariage et où l'un d'eux a acquis ultérieurement la nationalité française, y compris par déclaration souscrite au titre de l'article 57-1 du code de la nationalité française ou de l'article 21-3 du code civil [possession d'état de Français] ».
Les conjoints ne peuvent donc pas bénéficier de l'acquisition de la nationalité en raison du mariage dans une telle hypothèse, alors même qu'ils ont épousé une personne considérée comme française par les autorités publiques à la date du mariage et que tel a été le cas durant au minimum dix années.
Plusieurs Français établis hors de France sont mariés avec des personnes de nationalité étrangère qui n'ont pas pu déposer auprès des postes consulaires une demande d'acquisition de la nationalité par mariage au motif que leur conjoint, ayant bénéficié de la possession d'état de Français après la date du mariage, ne remplissait pas la condition requise par les dispositifs réglementaires. Ces Français doivent-ils être contraints de recourir à une solution absurde, consistant à divorcer après dix, vingt ou trente ans de mariage pour se remarier ensuite ?
Au reste, cette situation crée une différence de traitement selon que nos compatriotes résident sur notre territoire ou à l'étranger : les conjoints de Français qui voient opposer un refus à leur demande d'acquisition de la nationalité en préfecture opteront alors pour le dépôt d'une demande de naturalisation dès qu'ils en rempliront la condition« de stage », laquelle exige cinq années de présence continue sur le territoire français, quand les conjoints de Français établis à l'étranger, ne remplissant évidemment pas cette condition, sont privés, sauf cas exceptionnels prévus par le code civil, de cette possibilité de solliciter une naturalisation.
Aussi, madame la secrétaire d'État, je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de revenir sur les dispositions réglementaires qui posent de sérieuses difficultés à nos compatriotes et à leurs conjoints lorsqu'ils sont établis hors de France.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur Jean-Yves Leconte, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. le ministre de l'intérieur.
Il résulte des termes de l'article 21-2 du code civil que la faculté pour un étranger ou un apatride d'acquérir la nationalité française par déclaration à raison de son mariage avec un Français, en application de cet article, est notamment soumise au respect de la double condition suivante : le conjoint doit être français au jour du mariage et avoir conservé cette nationalité à la date de souscription de la déclaration. Ces deux exigences étaient déjà énoncées par l'article 37-1 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973.
Pour permettre à l'administration de s'assurer du respect de cette double condition, l'article 14-1 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française prévoit que le déclarant doit notamment joindre à sa déclaration « un certificat de nationalité française, les actes de l'état civil ou tous autres documents émanant des autorités françaises de nature à établir que son conjoint avait la nationalité française au jour du mariage et l'a conservée ».
Cette disposition réglementaire très ancienne ne« déplace » pas du jour de la déclaration au jour du mariage la condition de possession par le conjoint de la nationalité française : elle se borne à préciser les modalités selon lesquelles cette possession doit être justifiée par le déclarant.
Vous indiquez que cette interprétation des dispositions de l'article 21-2 empêche l'étranger dont le conjoint jouit de la possession d'état de Français au jour du mariage, sans être français juridiquement, de bénéficier du droit à acquérir la nationalité française à raison de son mariage. Selon vous, la possession d'état de Français au jour du mariage devrait être assimilée à la possession de la nationalité française pour l'application de l'article 21-2.
Je ne partage pas cette position.
La possession d'état de Français se caractérise par un ensemble de faits, dont l'appréciation est purement objective. Ces faits de possession d'état doivent traduire l'apparence du lien juridique unissant l'individu à l'État français et faire présumer la réunion de toutes les conditions légales nécessaires à l'existence de ce lien. C'est pourquoi l'article 21-13 du code civil offre la possibilité aux personnes qui ont joui, de façon constante, de la possession d'état de Français pendant une période de dix années d'acquérir la nationalité française par déclaration. Le but de cette disposition est de permettre à des personnes qui ne sont pas juridiquement françaises de régulariser leur situation après découverte de leur extranéité.
Ainsi, seuls certains éléments pertinents peuvent être retenus comme constitutifs de la possession d'état de Français, c'est-à-dire relatifs au lien juridique de nationalité, tels que les droits civiques et électoraux, les obligations militaires, les éventuelles immatriculations consulaires. En revanche, des circonstances traduisant un lien culturel, sociologique ou affectif ne sont pas pertinentes au regard de l'appréciation de la possession d'état de Français. Dès lors, cette notion de fait - et non de droit - qu'est la possession d'état de Français doit être constatée juridiquement.
Comme pour toutes les déclarations, l'acquisition de la nationalité française au titre de l'article 21-13 du code civil prend effet à compter de la date de souscription de la déclaration. Or l'article 21-2 du code civil exige que l'époux français soit juridiquement français en droit, et non, comme vous le mentionnez à juste titre, qu'il soit« considéré » comme français.
Monsieur le sénateur, s'il n'est pas envisagé de modifier les dispositions existantes, je peux en revanche vous rejoindre sur le fait que les demandes de naturalisation par décret présentées dans les conditions de droit commun par des personnes se trouvant dans cette situation doivent pouvoir faire l'objet d'un examen bienveillant. Soyez assuré que, dans ce cadre, le mariage avec un ressortissant français constitue, à l'évidence, un élément d'appréciation favorable.
Je dois également vous indiquer que la situation que vous visez est très rare : selon les données recueillies par mes services, moins d'une dizaine de cas sont identifiés chaque année.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.
Toutefois, l'argument selon lequel cette exigence était déjà contenue dans feu le code de la nationalité française, créé par la loi du 9 janvier 1973, me semble quelque peu décalé. Vous me parlez d'un temps où l'homosexualité et l'IVG étaient pénalisées ! Depuis, un certain nombre de lois ont évolué, en particulier celles qui concernent la nationalité.
Au reste, aujourd'hui, cette exigence n'est plus législative, mais réglementaire. C'est tout le problème !
Permettez-moi également de vous dire que, si vos services n'identifient que moins d'une dizaine de cas par an, trois m'ont été soumis cette année par des Français établis hors de France.
Au-delà du débat au fond, les conséquences pratiques des dispositions contestées ne concernent que les Français établis à l'étranger, qui ne peuvent pas remplir les conditions requises pour déposer une demande de naturalisation.
En outre, si les postes consulaires refusent de prendre les dossiers de demande d'acquisition de la nationalité française par mariage avec des conjoints qui ont bénéficié de la« possession d'État », il devient très difficile de les comptabiliser...
Quid des demandes des trois couples de Français établis hors de France, mariés respectivement depuis quarante-cinq, quarante et trente-huit ans, qui m'ont sollicité cette année ? Si aucune modification de la réglementation n'intervient, ils seront contraints de divorcer après tant d'années, de se remarier et d'attendre cinq ans avant de pouvoir déposer une déclaration de nationalité française !
Cette option absurde ne sera pas sans conséquences pécuniaires, ni patrimoniales, ni psychologiques.
Elle n'est pas non plus conforme à l'idée que je me fais de notre logique juridique. Alors que les blocages que nous constatons sont de nature réglementaire, et non législative, j'espère que le Gouvernement saura évoluer sur ce point !
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