Question de Mme JOUVE Mireille (Bouches-du-Rhône - NI) publiée le 06/03/2015
Question posée en séance publique le 05/03/2015
Mme Mireille Jouve. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
Monsieur le ministre, le groupe pharmaceutique Sanofi est venu récemment rappeler comment peut parfois fonctionner le capitalisme.
Le conseil d'administration du groupe a offert à son nouveau directeur général, Olivier Brandicourt, dont il ne s'agit pas ici de nier les compétences, une indemnité brute de 2 millions d'euros à son arrivée. Il s'est aussi engagé à lui verser la même somme en janvier 2016, s'il est toujours en poste.
Monsieur le ministre, vous avez soutenu, à l'Assemblée nationale, un amendement visant à lier les retraites chapeaux des dirigeants d'entreprise à la performance de celle-ci. Quid des indemnités d'arrivée ? Quelle performance a accomplie M. Brandicourt pour toucher 2 millions d'euros de prime de signature, sinon celle de venir ? Quelle performance aura-t-il accomplie en janvier 2016, quand il touchera 2 millions d'euros supplémentaires, sinon celle d'être resté ? Ajoutons que 6 millions d'euros en actions gratuites lui sont déjà promis s'il atteint certains objectifs sur trois ans.
Non, ce bonus ne relève décidément pas d'une prime au mérite ; son attribution procède seulement d'une tendance regrettable à favoriser, avant toute autre chose, l'appât du gain.
Cette tendance ne fait que se renforcer chez Sanofi, puisque la société, qui a réalisé 6 milliards d'euros de bénéfices en 2013, en a reversé la moitié à ses actionnaires.
Dans le même temps, le groupe n'a pas été aussi généreux avec ses salariés. Depuis 2009, Sanofi a supprimé près de 4 000 postes, notamment dans le secteur de la recherche, et un projet de suppression de 1 800 postes supplémentaires a été révélé mardi soir dans un magazine d'enquête diffusé par France 2.
Aujourd'hui, les syndicats s'interrogent sur la stratégie du groupe au regard de l'avenir de ce secteur, où l'innovation joue pourtant un rôle moteur. Ils n'ont pas tort, tant il est manifeste que les bénéfices servent davantage à rassurer les actionnaires à court terme qu'à financer les investissements du groupe à long terme.
Or Sanofi a touché 136 millions d'euros d'aides publiques de l'État, notamment pour la recherche, et même si le groupe ne réalise que 8 % de son chiffre d'affaires en France, les bénéfices en question sont financés par la sécurité sociale.
Certes, monsieur le ministre, Sanofi est un groupe mondialisé, sur lequel l'État n'a que peu d'emprise ; certes, les exportations de ce groupe s'élèvent à 5,8 milliards d'euros, ce qui profite à la balance commerciale. Toutefois, à l'heure où l'État réduit ses dotations aux collectivités territoriales, où le Gouvernement ne cesse de demander des efforts à nos concitoyens, où la crise prévaut partout, que doit-on dire aux 27 500 salariés de Sanofi ? Qu'il leur faut accepter l'attribution de ce bonus, parce qu'elle relève au fond du capitalisme ordinaire et que, sinon, Sanofi ira implanter son siège ailleurs ? Comment s'y résoudre ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du RDSE.)
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Réponse du Ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique publiée le 06/03/2015
Réponse apportée en séance publique le 05/03/2015
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Madame la sénatrice, la question que vous soulevez, en des termes équilibrés, est particulièrement complexe et présente de multiples aspects.
Vous avez raison de souligner le caractère choquant de certaines formes de rémunération, en particulier au regard des restructurations qu'a connues Sanofi.
L'État a constamment fait preuve de la plus extrême vigilance et exigence à l'égard de ces restructurations. Il a d'ailleurs fait pression sur la direction précédente pour qu'elle renonce à mettre en uvre certains choix stratégiques en termes de recherche et de développement ou d'implantation du siège. Nous avons, en la matière, pris toutes nos responsabilités chaque fois que nous avons été alertés.
Dans le même temps, Sanofi, champion français engagé dans la compétition mondiale, dont 90 % du chiffre d'affaires est aujourd'hui réalisé à l'international, se devait de recruter un dirigeant de la plus grande qualité, le précédent directeur général ayant été démis de ses fonctions. Le processus de sélection a permis de faire revenir un dirigeant français, qui travaillait auparavant pour un groupe étranger. Pour le recruter, Sanofi a dû compenser la perte d'avantages qu'il avait acquis au titre d'un système de retraite chapeau en vigueur dans un autre groupe.
L'industrie pharmaceutique, comme le secteur financier ou celui du sport professionnel, a connu de fortes dérives en matière de rémunération des dirigeants, laquelle est désormais complètement décorrélée de la réalité sociale et économique.
Face à cette situation, il faut en appeler à la responsabilité de chacune et de chacun, sans pour autant procéder à des rapprochements un peu simplistes entre la rémunération d'un dirigeant et les chiffres des licenciements ou les sommes versées par l'État au titre du crédit d'impôt recherche, par exemple.
M. Jean-Pierre Bosino. Cela n'a rien à voir, c'est évident ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. Emmanuel Macron, ministre. C'est à l'égard des choix faits par l'entreprise en termes d'implantations, de recherche et de développement que nous devons être exigeants.
Par ailleurs, nous appliquons un principe de responsabilité dans les entreprises publiques, dont la rémunération des dirigeants a été plafonnée par l'État. Nous avons aussi renforcé le code AFEP-MEDEF dans le sens d'une plus grande exigence en termes de rémunération des dirigeants et d'octroi de retraites chapeaux. Surtout, le projet de loi dont vous débattrez à partir du 7 avril, mesdames, messieurs les sénateurs, contient des dispositions visant à contraindre l'attribution de telles retraites. Dès lors que la loi aura été votée, il ne sera plus possible de faire jouer des mécanismes de retraite chapeau déconnectés de la performance de l'entreprise. C'est vers cette moralisation, cet esprit de responsabilité collective que nous devons aller, sans simplification excessive ! (Protestations sur les travées du groupe CRC. - Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)
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