Question de M. LELEUX Jean-Pierre (Alpes-Maritimes - UMP-R) publiée le 25/12/2014
M. Jean-Pierre Leleux attire l'attention de M. le Premier ministre sur le caractère incompréhensible de la décision du Conseil d'État relative à la gestation pour autrui (GPA). On ne peut prétendre interdire la GPA en France tout en fermant les yeux sur sa « délocalisation » à l'étranger. En rejetant, le 12 décembre 2014, les recours contre la circulaire dite « Taubira » qui enjoint aux greffiers de délivrer des certificats de nationalité française aux enfants nés par GPA à l'étranger, le Conseil d'État valide de facto les conséquences d'une pratique interdite en France, qui est en complète contradiction avec les principes fondamentaux de notre code civil : la non-instrumentalisation des femmes et la non-marchandisation des enfants. Il lui demande comment le rapporteur public du Conseil d'État peut qualifier la pratique de la GPA de « commerce sordide, cauchemardesque », tout en soutenant la légalité de cette circulaire. La circulaire du 25 janvier 2013 était inutile puisque la nationalité française de l'enfant peut s'acquérir naturellement avec le temps. En effet, en vertu de l'article 21-12 du code civil, un enfant recueilli en France depuis cinq ans peut réclamer la nationalité française, sans relation avec son mode de procréation. Il n'y avait donc aucune nécessité de publier cette circulaire contestée et contestable. Par contre, sa validation par la plus haute juridiction conforte les conventions de GPA illicites qui organisent l'abandon de l'enfant dès sa conception. Si une loi cesse d'être dissuasive, elle n'est plus protectrice. De plus, il y a un grave oubli manifeste : une convention de GPA ne peut pas être distinguée de ses effets, puisque la naissance de l'enfant constitue l'objet même et exclusif de cette convention. En validant ses effets, c'est donc la convention de la GPA en elle-même que l'on valide. L'interdiction légale française ne devient alors qu'une pure pétition de principe. Comme l'affirme l'association Alliance vita, la validation de cette circulaire est une brèche très grave qui fragilise notre droit, protecteur de l'intérêt des femmes et des enfants. C'est une manière insidieuse de banaliser la violation de la loi française qui dessert l'intérêt des enfants, pour qui cette interdiction de la GPA a été établie. Les commanditaires ayant recours en toute connaissance de cause à la GPA attentent gravement au droit de l'enfant, en niant les interactions entre l'enfant et celle qui le porte, en en faisant un objet de contrat, qu'il soit rémunéré ou non. C'est une véritable maltraitance originelle.
En conséquence, alors qu'il s'est élevé publiquement à plusieurs reprises contre la pratique « intolérable » de la GPA, il lui demande s'il entend intervenir concrètement, et comment, contre cette pratique, ou laisser valider des faits et actes qui sont en contradiction avec ses paroles, et de lui faire part de sa position concernant : le rejet par le Conseil d'État du recours de l'association Juristes pour l'enfance, (s'agissant de la délivrance des certificats de nationalité à des enfants nés de GPA à l'étranger, qui consacre une nouvelle avancée de la GPA en France), la circulaire du 25 janvier 2013, l'absence d'appel de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, et l'absence de poursuites des professionnels du « business » de la GPA en France.
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Réponse du Premier ministre publiée le 24/09/2015
En rejetant le recours formé contre la circulaire du 25 janvier 2013 (JUSC1301528C), le Conseil d'État dans sa décision du 12 décembre 2014, ne remet aucunement en cause le principe français de la prohibition de la gestation pour autrui actuellement consacré aux articles 16-7 et 16-9 du code civil, mais confirme uniquement la possibilité de délivrer un certificat attestant de leur nationalité française (CNF) aux enfants issus de convention de gestation pour le compte d'autrui, nés à l'étranger d'un Français, et qui disposent d'un acte d'état civil étranger « probant » justifiant d'un lien de filiation avec ce parent français. Cette décision s'inscrit dans la recherche d'un juste équilibre entre le principe d'ordre public de prohibition qui demeure, et auquel le Gouvernement français est particulièrement attaché, et la nécessaire protection qu'il convient de garantir à l'enfant au nom de son intérêt supérieur au sens de l'article 3 paragraphe 1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, et de son droit à mener une vie familiale normale au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle confirme ainsi, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme aux termes de ses décisions du 26 juin 2014 ayant condamné la France, la nécessité impérieuse de distinguer le sort des enfants de celui de leurs parents ayant eu recours à un contrat illicite et ainsi de leur garantir, sur le territoire national, le droit au respect de leur identité, dont la nationalité française constitue un aspect essentiel. En effet, si la Cour européenne des droits de l'homme a écarté le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la Convention sur le fondement de l'atteinte au respect de la vie familiale, en retenant que le refus de la transcription sur les registres français des actes de naissance n'empêchait pas les enfants de vivre avec leurs parents en France « dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles », elle a cependant considéré qu'il avait été porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée des enfants protégé également par l'article 8 précité, lequel exige, selon la Cour, « que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain, ce qui inclut sa filiation ». Dans le prolongement de cette décision, la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 juillet 2015, a reconnu que la gestation pour autrui ne justifiait pas à elle seule le refus de transcrire à l'état civil l'acte de naissance d'un enfant ayant un parent français. Le Gouvernement français doit désormais exécuter ces décisions et s'attachera à ce que la France puisse y procéder dans le respect de ses engagements internationaux mais aussi en veillant à maintenir le principe français de la prohibition d'ordre public des conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui prévu aux articles 16-7 et 16-9 du code civil. C'est pourquoi, une mission a été confiée à deux hautes personnalités afin de préciser, dans ce cadre, les différentes options dont dispose la France pour procéder à cette exécution. Elles doivent déposer leur rapport à la fin du mois de septembre 2015. En tout état de cause, le Gouvernement, et plus spécifiquement, la garde de sceaux, veille à ce que l'action publique soit particulièrement diligente s'agissant de la lutte contre toute forme de trafic d'enfants s'apparentant à l'exploitation d'autrui et s'agissant de la poursuite des intermédiaires proposant des activités interdites en France.
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