Question de M. CARLE Jean-Claude (Haute-Savoie - UMP) publiée le 04/12/2014

M. Jean-Claude Carle appelle l'attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur les éventuels risques de dérive dichotomique d'une profession médicale.
Sous l'incitation des fabricants industriels, des chirurgiens-dentistes commencent à investir dans des machines de conception et fabrication assistée par ordinateur (CFAO) leur permettant de fabriquer pour eux-mêmes, dans leurs cabinets, les prothèses dentaires qu'ils prescrivent, en lieu et place des prothésistes dentaires.
Or, le chirurgien-dentiste ne peut opposer le titre de prothésiste dentaire, ne disposant pas d'un diplôme nécessaire à l'exercice de cette profession.
De plus, l'acquisition d'un tel matériel de CFAO, dont les premiers prix commencent à 120 000 euros, semble susceptible de représenter une incitation à effectuer des actes abusifs afin de rentabiliser cet investissement. Il est en effet difficile de croire qu'un tel investissement, équivalant à lui seul au coût global d'un cabinet dentaire classique (matériels et agencements) puisse n'être utilisé que pour moins d'une dizaine de cas par mois. En outre, aucune des études réalisées ne permet d'affirmer que la CFAO en cabinet dentaire puisse faire baisser le prix des prothèses dentaires payées par les patients.
Il lui demande s'il sera possible de se préserver de tout acte de commerce, si l'on autorise le chirurgien-dentiste à fabriquer pour lui-même un dispositif médical sur mesure qu'il se prescrit, et à le facturer à son propre patient.
Par ailleurs, il semble qu'il y ait une certaine contradiction entre l'obligation de résultat du prothésiste dentaire et la seule obligation de moyens imposée aux chirurgiens-dentistes par la jurisprudence.
Enfin, l'acquisition de telles machines ne manquera pas d'entraîner à terme la disparition d'emplois et la fermeture de nombreux laboratoires de prothèses dentaires, déjà touchés par plus de 30 % d'importations de prothèses dentaires en provenance de l'extérieur de l'Union européenne, dont les seuls bénéficiaires sont déjà les cabinets dentaires
Certains professionnels, notamment l'association « Perspectives dentaires », s'étonnent de cette situation et insistent sur la nécessité d'un strict respect du code de déontologie des chirurgiens-dentistes et le rappel de ses limites. Cette association propose ainsi l'interdiction pour les cabinets dentaires de pratiquer la fabrication de prothèses.
Il lui demande donc de lui indiquer la position du Gouvernement à ce sujet, et de lui faire part des mesures qu'il serait susceptible d'adopter afin de prendre en compte ces éléments.

- page 2670


Réponse du Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes publiée le 06/08/2015

Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes ne comporte aucune interdiction relative à la fabrication de prothèses dentaires. Le chirurgien-dentiste a donc le droit de fabriquer ses prothèses dentaires, mais deux obligations s'imposent à lui pour la fabrication de celles-ci. La première est relative à la sécurité des produits. Les prothèses dentaires sont des dispositifs médicaux soumis à des normes de traçabilité. Aussi, lorsque le chirurgien-dentiste recourt à un procédé de CFAO et/ou qu'il possède son propre laboratoire de prothèse, il est considéré comme fabricant au titre de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux. Dès lors, il doit satisfaire à toutes les obligations liées à cette qualité et se déclarer en tant que fabricant de dispositifs médicaux auprès de l'agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM). Le chirurgien-dentiste doit alors établir une déclaration de conformité. Par son statut de fabricant, le praticien qui recourt à un procédé de CFAO et/ou qui possède son propre laboratoire de prothèse doit, pour chaque prothèse fabriquée, établir lui-même une déclaration de conformité de la prothèse dentaire. À l'issue de l'acte prothétique, le chirurgien-dentiste remet au patient la déclaration de conformité du dispositif médical. Cette déclaration doit également être ajoutée au dossier médical et tenue à la disposition du patient et du directeur général de l'ANSM par le praticien, pendant au moins cinq ans. Tout praticien recourant à un dispositif de CFAO et/ou qui possède son propre laboratoire de prothèse encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende s'il n'établit pas une déclaration de conformité de son dispositif médical. La seconde obligation du chirurgien-dentiste est relative à la transparence des devis, il doit garantir la lisibilité des coûts facturés au titre de la fabrication de la prothèse dentaire. L'avenant n° 2 à la convention des chirurgiens-dentistes met en place un devis type. La convention précise que : « avant l'élaboration d'un traitement pouvant faire l'objet d'une entente directe sur les honoraires, le chirurgien-dentiste doit remettre à l'assuré un devis descriptif écrit, établi conformément à l'article L. 1111-3 du code de la santé publique ». Le devis remis au patient doit comporter le prix de vente du dispositif médical sur mesure (qui comprend l'achat du dispositif médical au fournisseur, majoré d'une partie des charges de structure du cabinet dentaire), le montant des prestations de soins, et enfin les charges de structure du cabinet, autres que celles déjà affectées au prix de vente du dispositif. Ces règles sont adaptées aux prothèses fabriquées par CFAO. Le coût du dispositif médical sur mesure est alors calculé en incluant le coût d'achat des matériaux relatifs à la fabrication, les salaires et charges sociales des personnes affectées à la fabrication, et une partie des charges générales du professionnel. Enfin, il convient de noter que le chirurgien-dentiste qui fabrique des prothèses dentaires est soumis à une obligation de moyen et de résultat : sa responsabilité peut être engagée par le patient, y compris au titre de la conception prothétique qu'il a prescrite. Une jurisprudence établie par la Cour de cassation en 1985 précise que le chirurgien-dentiste, en tant que fournisseur d'une prothèse dentaire, doit délivrer un appareil apte à rendre le service que le patient peut légitimement en attendre, c'est-à-dire un appareil sans défaut (Civ. 1re, 19oct. 1985). Elle est expressément qualifiée de résultat par la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 novembre 2004) : « le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation incluant la conception et la confection de cet appareillage, étant de résultat. » Cette obligation inclut la conception et la confection de l'appareillage (Civ.1ère, 9 décembre 2010).

- page 1866

Page mise à jour le