Question de M. DESESSARD Jean (Paris - ECOLO) publiée le 06/11/2014

M. Jean Desessard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la situation des salariés du 57 boulevard de Strasbourg. Depuis plusieurs mois, en plein cœur de Paris, ces dix-huit travailleuses et travailleurs sans papiers se battent contre l'exploitation dont ils sont victimes. Recrutés peu après leur arrivée en France par ce qu'il convient d'appeler un réseau mafieux, ces salariés - en majorité des femmes - ont subi l'inacceptable.
Un déplacement sur place, il y a quelques jours, a permis de découvrir leur situation : des journées de travail de plus de douze heures, dans des locaux insalubres, mal aérés, en présence de produits chimiques, payés entre 200 et 400 euros par mois, avec une séparation selon la nationalité pour éviter toute rébellion. Ces salariés se sont mobilisés, avec courage, pour s'extraire de leur condition, et ont pris contact avec la CGT qui leur a, depuis lors, apporté un soutien indéfectible. Les salariés du « 57 » ont porté plainte individuellement contre ce système basé sur le recrutement et l'exploitation de personnes vulnérables par le travail dissimulé. La loi prévoit, dans le cadre de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la délivrance d'un titre de séjour dès le dépôt d'une plainte contre la traite des êtres humains, afin de protéger les victimes. Ce délit a été constaté par l'inspection du travail à quatre reprises depuis le mois de mai 2014, avec des procès-verbaux mentionnant des « conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ». Or, cette demande légitime n'a pas été entendue par la préfecture de police qui refuse de délivrer les titres de séjour. Ces travailleurs qui ont choisi de résister et de faire valoir leurs droits pourraient être expulsés, alors que leur employeur - qui a, entre temps, fui les lieux - n'est pas inquiété. Cette situation ne peut plus durer. La dignité humaine exige le respect de la loi.
Il lui demande quelles mesures il compte prendre pour demander à ses services de respecter l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et délivrer à ces travailleuses et travailleurs courageux un titre de séjour pour mener leur combat à terme.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé des droits des femmes publiée le 19/11/2014

Réponse apportée en séance publique le 18/11/2014

M. Jean Desessard. Madame la présidente, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, qui est absent ce matin. J'en profite pour dire que je lui ai envoyé quelques courriers qui sont restés sans réponse ; mais enfin, je ne m'attarderai pas sur ce point... Madame la secrétaire d'État, je vous remercie d'être présente ce matin pour m'apporter une réponse, que j'espère positive.

Ma question sera brève, car elle est simple et son exposé clair et limpide.

Depuis plusieurs mois, dix-huit travailleuses et travailleurs sans papiers se battent contre l'exploitation dont ils sont victimes en plein cœur de Paris : je veux parler des salariés du salon de beauté situé au 57, boulevard de Strasbourg. Recrutés peu après leur arrivée en France par ce qu'il convient d'appeler « un réseau mafieux », ces dix-huit personnes, en majorité des femmes, ont subi l'inacceptable.

Je me suis rendu sur place voilà une dizaine de jours et j'ai été bouleversé par leur récit : effectuant des journées de travail de plus de douze heures, dans des locaux insalubres, mal aérés, en présence de produits chimiques, ces personnes sont payées entre 200 et 400 euros par mois et séparées selon leur nationalité pour éviter toute rébellion.

Ces salariés se sont mobilisés avec courage pour s'extraire de leur condition et ont pris contact avec la Confédération générale du travail qui leur a, depuis, apporté un soutien indéfectible. Mesdames, messieurs les sénateurs de l'UMP, qui critiquez souvent la CGT, je veux aujourd'hui rendre hommage à cette organisation pour ce combat : la CGT Paris a mené cette action de façon admirable et désintéressée, dans des conditions très difficiles.

Les salariés du 57, boulevard de Strasbourg ont porté plainte individuellement contre ce système fondé sur le recrutement et l'exploitation de personnes vulnérables par le travail dissimulé. La loi prévoit, dans le cadre de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA, la délivrance d'un titre de séjour dès le dépôt d'une plainte contre la traite des êtres humains afin de protéger les victimes. Ce délit a été constaté par l'inspection du travail à quatre reprises depuis le mois de mai avec des procès-verbaux mentionnant des « conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ».

Or cette demande légitime n'a pas été entendue par la préfecture de police, qui refuse de délivrer les titres de séjour. Ces travailleurs qui ont choisi de résister et de faire valoir leurs droits pourraient être expulsés, alors que leur employeur, qui a entre-temps fui les lieux, n'est pas inquiété. Cette situation ne peut plus durer.

Madame la secrétaire d'État, la dignité humaine exige au moins le respect de la loi. Quelles mesures M. le ministre de l'intérieur compte-t-il prendre afin que ses services respectent l'article L. 316-1 du CESEDA et délivrent à ces travailleuses et travailleurs courageux un titre de séjour afin de mener leur combat à terme ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du ministre de l'intérieur, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence, sur la situation au regard du droit au séjour des personnels d'un établissement situé sur le boulevard de Strasbourg, à Paris, qui ont porté plainte pour des faits de travail dissimulé et de traite des êtres humains.

Ce dossier fait l'objet d'un suivi très attentif de la part de la préfecture de police et du directeur général des étrangers en France.

Dès le printemps a été engagé un examen individualisé de la situation de chacune de ces personnes. Plusieurs d'entre elles sont d'ailleurs entrées dans un processus de régularisation qui pourrait aboutir favorablement dès lors qu'elles seront en mesure de produire des promesses d'embauche.

La préfecture de police poursuit l'instruction de l'ensemble de ces dossiers dans le cadre fixé par la circulaire du 28 novembre 2012 qui, comme vous le savez, a énoncé des critères précis de régularisation pour assurer à chaque ressortissant étranger en situation irrégulière un traitement équitable de sa demande, quel que soit le lieu où il se trouve sur le territoire.

Toutes les diligences sont prises pour favoriser, dans le respect des textes, la prise en compte des situations humaines que vous évoquez et pour que les personnes présentant une promesse d'embauche et des perspectives satisfaisantes d'intégration professionnelle et sociale puissent sortir de la clandestinité.

Par ailleurs, vous évoquez l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile...

M. Jean Desessard. Oui !

Mme Pascale Boistard,secrétaire d'État. ... qui permet à l'autorité préfectorale de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à un ressortissant étranger portant plainte contre un réseau de traite des êtres humains.

M. Jean Desessard. Oui !

Mme Pascale Boistard,secrétaire d'État. Les conditions de mise en œuvre de cette disposition ne pourront être réunies qu'à partir du moment où le procureur de la République aura engagé des poursuites sur ce fondement.

M. Jean Desessard. Eh bien ?

Mme Pascale Boistard,secrétaire d'État. De manière plus générale, les services du ministère de l'intérieur sont convenus d'un plan d'action résolu pour mettre un terme aux situations de travail illégal et d'exploitation qui se font jour sur ce boulevard et qui ne peuvent pas être tolérées.

Des contrôles renforcés ont été diligentés pour identifier les cas de travail non déclaré. Au 30 septembre 2014, ce sont vingt et une opérations qui avaient été réalisées contre huit sur toute l'année précédente. Ces investigations vont se poursuivre dans les prochaines semaines.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. J'ai des raisons de me réjouir de votre réponse, madame la secrétaire d'État : il est vrai que des actions sont engagées ; il est vrai également que, alors que ces travailleuses et travailleurs du 57, boulevard de Strasbourg ont fait l'objet d'une procédure d'expulsion par le propriétaire des murs du salon et que le tribunal de grande instance de Paris a jugé qu'il n'était pas compétent sur le plan procédural pour accéder à cette demande, la police s'intéresse désormais à toute cette rue ! En effet, quelque cent-cinquante boutiques de ce type sont dans les mêmes conditions ! J'ai donc bien compris, madame la secrétaire d'État, que M. le ministre de l'intérieur voulait agir.

Néanmoins, je suis déçu ! Vous dites que l'article L. 316-1 du CESEDA n'a toujours pas été utilisé parce que le procureur n'a pas encore engagé des poursuites. Pourtant, c'est la loi ! Ces travailleurs ont porté plainte pour dénoncer des conditions inacceptables de travail, dont j'ai pu me rendre compte par moi-même, qu'il s'agisse du local de travail ou de l'exploitation de ces personnes sans papiers depuis des années ! D'ailleurs, si vous vous rendez dans les boutiques d'à côté, c'est quasiment la même chose !

Si le simple citoyen, le sénateur de base que je suis arrive à constater tout cela, les services de la police et le procureur devraient pouvoir faire quelque chose !

Madame la secrétaire d'État, c'est dès le dépôt de la plainte pour travail illégal dans des conditions inacceptables qu'il faut lutter contre le travail au noir, le travail dissimulé, l'exploitation ! Il ne faut pas attendre ! Vous avez l'air de dire que le procureur n'est pas prêt, qu'il n'a pas réuni les conditions...J'espère que, à la suite de cette question orale sans débat, la procédure va être accélérée en vue de mettre fin à des conditions de travail inacceptables !

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