Question de M. BIZET Jean (Manche - UMP) publiée le 24/10/2014

Question posée en séance publique le 23/10/2014

Concerne le thème : Les accords de libre-échange

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question porte sur le système d'arbitrage investisseurs-État, sujet qu'a évoqué brièvement tout à l'heure notre collègue Bariza Khiari.

Avant même l'adoption du mandat de négociation sur le traité transatlantique, le Sénat avait fait part de son inquiétude sur ce point précis. Un tel système soulève en effet de nombreuses questions, en matière d'indépendance des arbitres, d'accessibilité de la justice, et in fine de droit des États à faire respecter les normes.

J'observe que, actuellement, les États-Unis sont les premiers investisseurs directs dans l'Union européenne, et réciproquement, sans aucun traité bilatéral.


Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !


M. Jean Bizet. Il est donc permis de s'interroger : en quoi ce système d'arbitrage investisseurs-État est-il si nécessaire ?


Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !


M. Jean Bizet. Je relève aussi que les États-Unis ont déjà conclu des accords de libre-échange sans un tel mécanisme d'arbitrage avec l'Australie, Singapour et Israël. C'est aussi ce que font valoir nos partenaires allemands, par la bouche du ministre fédéral de l'économie, Sigmar Gabriel, et du ministre de la justice, Heiko Maas.

Pourtant, le mandat de négociation finalement adopté par le Conseil prévoit explicitement l'inclusion d'un tel mécanisme. Il assortit malgré tout son activation de conditions strictes. C'est ce qui a permis hier au président Juncker d'être très ferme devant le Parlement européen. Il a affirmé que l'accord final ne comporterait « aucun élément de nature à limiter l'accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d'avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États. » Il concluait : « L'État de droit et le principe de l'égalité devant la loi doivent s'appliquer aussi dans ce contexte. »

Monsieur le secrétaire d'État, je ne peux que me féliciter de ces paroles, mais je reste inquiet. Croyez-vous possible de conclure un accord ambitieux avec les États-Unis qui ne prévoit pas d'arbitrage entre investisseurs et États ?

J'ajouterai, d'une façon beaucoup plus générale, que les traités commerciaux ne prévoient que l'information du Parlement européen sur la négociation d'un accord commercial par l'Union. Pourtant, le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP, parce qu'il sera un accord mixte, devrait être ratifié non seulement par le Parlement européen, mais aussi par les parlements nationaux. Il serait donc légitime de tenir ces derniers pleinement informés à toutes les étapes de la procédure. Quels engagements pourriez-vous prendre aujourd'hui à cet égard envers le Sénat ? (Applaudissements.)

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement publiée le 24/10/2014

Réponse apportée en séance publique le 23/10/2014

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est importante, je dirai même stratégique, et porte sur deux points, dont le premier est la transparence.

Vous le savez, le Gouvernement a demandé à la nouvelle Commission européenne de travailler dans la plus grande transparence par rapport aux États lui ayant donné mandat. Ceux-ci, du moins la France, ont bien l'intention de faire en sorte que leur soient communiqués, étape après étape, les divers éléments d'information. Au final, évidemment, le Parlement national aura son mot à dire sur la validation ou non du traité en cause.

J'en viens maintenant au mécanisme de règlement des différends.

Comme vous le savez également, la France a déjà conclu plus de cent accords bilatéraux de protection des investissements avec des pays tiers comportant un mécanisme d'arbitrage international afin de préserver les intérêts de nos entreprises qui investissent à l'étranger. Chaque fois, ces accords ont évidemment été soumis au Parlement, qui n'a trouvé en la matière aucun risque de perte de souveraineté. Encore fallait-il que les choses soient dûment calibrées et précisées.

Ces accords peuvent être un enjeu de compétitivité et de développement de nos entreprises à l'international.

S'agissant plus particulièrement du traité avec les États-Unis, ce sujet fait débat depuis le début, et vous ne l'ignorez pas, la France n'était pas demandeuse en la matière. Le mandat de négociation prévoit que les États membres peuvent décider d'inclure ou non le mécanisme précité dans le TTIP au regard des critères de transparence, d'impartialité et de respect des droits des États à réguler.

Par conséquent, au cours de la négociation et jusqu'au terme de celle-ci, nous gardons la totale souveraineté de nos décisions sur ce point, notamment en ce qui concerne le contrôle des investissements.

J'ai noté avec satisfaction, comme vous, les propos tenus hier par le nouveau président de la Commission européenne, M. Juncker. Il a posé des conditions très strictes à l'introduction d'un tel mécanisme dans l'accord avec les États-Unis. Je souhaite que, au Conseil, les débats sur le maintien ou non de l'ISDS - investor-state dispute settlement - dans le TTIP s'engagent sur cette base, qui comporte à la fois un mandat d'exigence pour notre négociateur et un enjeu de souveraineté pour notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.

M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d'État, je prends note des informations que vous avez bien voulu nous livrer.

D'abord, en ce qui concerne l'information du Parlement et le débat qui pourrait avoir lieu en son sein, je me permets de vous le rappeler, j'apprécie la façon dont ce type de discussions peut s'engager avec les parlements nationaux dans les pays d'Europe du Nord. Une telle pratique permettra in fine, sans doute dans un certain nombre d'années, de cristalliser quelque peu les négociations. Je souhaite que les parlements nationaux puissent définir un mandat qui sera ensuite exécuté par le commissaire européen chargé du commerce extérieur, à l'heure actuelle Mme Cecilia Malmström. Nous faillirions à notre mission si nous n'adoptions pas une telle architecture.

Ensuite, s'agissant de l'ISDS, vous avez souligné, en réponse à la question posée par Joël Guerriau, que le multilatéralisme ne se portait malheureusement pas bien au sein de l'OMC. En revanche, l'organisation et le fonctionnement de l'organe de règlement des différends ont jusqu'à présent toujours donné satisfaction. Nous pourrions peut-être nous en inspirer, au lieu de créer un système supplémentaire par le biais des ISDS.

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