Question de M. BAILLY Gérard (Jura - UMP) publiée le 22/05/2014

M. Gérard Bailly appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, sur l'accord de libre-échange que la Commission européenne négocie actuellement avec les États-Unis (Transatlantic Trade and Investment Partnership en anglais, soit TTIP), dans une très grande discrétion, et qui pourrait acter l'ouverture du marché européen, à droits de douane nuls, à de nombreuses productions. Il évoque, en particulier, la viande bovine américaine qui pourrait être importée par centaines de milliers de tonnes, produites selon des normes opposées à celles imposées à nos professionnels sur le plan sanitaire, environnemental et du bien-être animal. Ces négociations interviennent après l'accord obtenu, en octobre 2013, avec le Canada qui prévoit l'ouverture du marché européen à 65 000 tonnes de viande bovine canadienne à droits nuls et sans aucune réciprocité en termes de contraintes de production.

Ces négociations font peser sur la filière bovine française et européenne une double menace :

- sur le plan économique : de telles importations, à droits nuls, seraient particulièrement destructrices pour la filière. Parce que les systèmes de production du Canada, des États-Unis ou des États du Mercosur ne sont pas soumis aux contraintes sanitaires et sociétales imposées aux producteurs français et européens, leurs viandes peuvent être, de ce fait, extrêmement compétitives. C'est donc dans une situation de concurrence déloyale sans précédent que nos entreprises pourraient être plongées, avec pour conséquence la destruction des troupeaux de races à viande, la fermeture d'exploitations et d'entreprises d'abattage-découpe, la suppression de milliers d'emplois contribuant directement à l'animation des territoires ruraux ;

- sur le plan sociétal : alors que les professionnels du secteur, soutenus par les pouvoirs publics, mettent tout en œuvre pour restaurer la confiance des consommateurs en renforçant la transparence au sein des filières, la commercialisation, sur notre marché, de viandes produites à partir d'animaux largement traités aux antibiotiques, engraissés en parcs d'engraissement ( ou « feedlots ») pouvant contenir jusqu'à 30 000 bovins (alors que nos exploitations en comportent entre 60 et 200), de carcasses décontaminées à l'acide lactique ne peut être justifiée. Il lui demande comment continuer à se battre pour toujours plus de traçabilité en France et en Europe, quand nos frontières s'ouvrent sans contraintes à des produits issus d'un pays où cette notion n'a aucun sens. À la suite de l'affaire dite du « Horsegate », il rappelle que les consommateurs français sont, à 82 %, opposés à l'introduction en France de viandes produites à partir d'animaux nourris au maïs ou soja génétiquement modifié (OGM) avec utilisation d'antibiotiques ou autres activateurs de croissance.

Il demande, en conséquence, au Gouvernement s'il entend s'opposer avec la plus grande fermeté à la position de la Commission européenne qui, considérant que la filière de la viande bovine n'est pas une filière d'avenir, a décidé de miser sur l'importation en échange, naturellement, de concessions obtenues par l'Europe sur des intérêts commerciaux plus offensifs. Il rappelle que ce sacrifice de la viande bovine française est d'autant moins stratégique que ce secteur est devenu l'un des rares à n'être délocalisable ni en travailleurs ni en capitaux et qu'il est indispensable à la viabilité d'importants territoires ruraux. Il est surpris que les pouvoirs publics puissent avoir la volonté de détruire le savoir-faire et « l'exception française » au profit des grands groupes à capitaux étrangers.

Il lui demande, enfin, où en sont les négociations et quelle position la France entend défendre.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales et de la santé, chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion publiée le 04/06/2014

Réponse apportée en séance publique le 03/06/2014

M. Gérard Bailly. Je souhaitais attirer l'attention de Mme la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur sur l'accord de libre-échange que la Commission européenne négocie actuellement avec les États-Unis, dans une très grande discrétion, et qui pourrait acter l'ouverture du marché européen à droits de douane nuls à de nombreuses productions.

Sur ce sujet grave et vaste, je ne retiendrai que la question qui concerne la viande bovine américaine, laquelle pourrait être importée en plusieurs centaines de milliers de tonnes et produite selon des normes opposées à celles qui sont imposées à nos professionnels sur le plan sanitaire, sur le plan environnemental et sur le plan du bien-être animal.

Ces négociations interviennent après l'accord obtenu, en octobre dernier, avec le Canada, qui prévoit l'ouverture du marché européen à 65 000 tonnes de viande bovine canadienne à droits nuls et sans aucune réciprocité en termes de contraintes de production.

Ces négociations font peser sur la filière bovine française et européenne une double menace.

D'abord, sur le plan économique, de telles importations à droits nuls seraient particulièrement destructrices pour notre filière « viande bovine ». Parce que les systèmes de production du Canada, des États-Unis et des pays du Mercosur ne sont pas soumis aux contraintes sanitaires, sociétales et sociales imposées aux producteurs français et européens, leurs viandes peuvent être, de ce fait, extrêmement compétitives en prix.

C'est donc dans une situation de concurrence déloyale sans précédent que nos entreprises pourraient être plongées avec, à la clé, la destruction de nos troupeaux de races à viande, la fermeture d'exploitations et d'entreprises d'abattage ou de découpe, la suppression de milliers d'emplois contribuant directement à l'animation de nos territoires ruraux.

Ensuite, sur le plan sociétal, alors que les professionnels du secteur, soutenus par les pouvoirs publics, mettent tout enœuvre pour restaurer la confiance des consommateurs, renforçant la transparence au sein des filières, on ne saurait justifier la commercialisation sur notre marché de viandes produites à partir d'animaux largement traités aux antibiotiques, engraissés dans des parcs qui peuvent contenir jusqu'à 30 000 bovins- les exploitations françaises ne comptent guère que 60, 100, 200, voire 300 bovins au maximum -, sans parler de la possibilité de carcasses décontaminées à l'acide lactique !

Comment continuer à se battre pour toujours plus de traçabilité en France et en Europe, quand nos frontières s'ouvrent sans contraintes à des produits issus d'un pays où cette notion n'a aucun sens ?

Après l'affaire de la viande de cheval, je rappelle que les consommateurs français sont à 82 % opposés à l'introduction en France de viandes produites à partir d'animaux nourris au maïs ou soja OGM avec utilisation d'antibiotiques ou autres activateurs de croissance.

Je demande donc à Mme la secrétaire d'État de bien vouloir être notre interprète auprès du Gouvernement pour qu'il s'oppose très fermement à la position de la Commission européenne. Cette dernière, pour laquelle la filière « viande bovine » n'est pas une filière d'avenir, a décidé de miser sur l'importation, en échange, naturellement, de concessions obtenues par l'Europe sur des intérêts commerciaux plus offensifs !

Ce sacrifice de la viande bovine française est d'autant moins stratégique que ce secteur, essentiel pour la viabilité d'importants territoires ruraux, est devenu l'un des rares à n'être délocalisables ni en travailleurs ni en capitaux. Il serait d'autant plus surprenant que les pouvoirs publics aient la volonté de détruire notre savoir-faire et l'exception française au profit des grands groupes à capitaux étrangers !

Pourrions-nous savoir - cela peut intéresser tous mes collègues sénateurs et toute la filière d'élevage - où en sont ces négociations, madame la secrétaire d'État ? Je sais que le dernier acte s'est déroulé très récemment, du 19 au 23 mai, en Virginie, à Arlington. Pourrions-nous savoir ce que la France entend défendre dans cette affaire et quelle est la stratégie du gouvernement français.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur Bailly, je voudrais excuser Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Mais c'est tout le Gouvernement qui est préoccupé par la filière bovine et qui entend vos inquiétudes. À titre personnel, en tant que médecin, je porte une grande attention à la santé liée à l'alimentation. En tant qu'élue d'un département rural, j'ai, bien entendu, accordé une importance toute particulière à votre question.

Je souhaite vous répondre, point par point et très précisément. Cette réponse, nous l'avons élaborée conjointement, Fleur Pellerin et moi-même.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement a donc bien pris note de vos préoccupations concernant les négociations du partenariat transatlantique.

Ces négociations ont été officiellement lancées en juillet 2013, après que les États membres de l'Union européenne ont adopté le mandat de négociation de la Commission.

Depuis lors, les équipes de négociation européennes et américaines se sont rencontrées à cinq reprises, et un premier échange d'offres tarifaires a déjà eu lieu. Dès l'ouverture des discussions, la France a plaidé pour davantage de transparence et s'est prononcée en faveur de la publication du mandat.

À ce titre, elle s'attache à informer les parties prenantes, ainsi que la société civile, de l'avancée des négociations. La Commission organise également des événements pour les représentants de la société civile. Je continuerai à plaider auprès de nos partenaires communautaires pour plus de transparence et à multiplier les actions d'information des professionnels et de la société civile en France.

Le Gouvernement vous rejoint sur le fait que les conditions d'élevage sont très différentes de part et d'autre de l'Atlantique, notamment en matière de réglementation sanitaire, de bien-être animal, mais également en termes de standards sociaux et environnementaux.

D'une part, nous comprenons que ces multiples contraintes engendrent un surcoût pour les opérateurs européens et imputent d'autant leur compétitivité. La France a toujours soutenu sa filière de production de viande bovine, qui crée de la valeur, des emplois, et contribue au maintien du tissu rural, auquel nous sommes tous attachés. Récemment, elle a réaffirmé sa position à l'occasion de la réforme de la politique agricole commune en soutenant notamment un rééquilibrage des aides en faveur de l'élevage.

C'est pourquoi, à la demande de la France, et grâce au soutien d'autres États membres, telles l'Irlande ou la Pologne, la viande bovine a été classée comme produit sensible dans l'offre européenne.

Si une exclusion totale des négociations ne semble pas envisageable, ce produit devrait faire l'objet d'un traitement spécifique, probablement sous la forme d'un contingent tarifaire à droit nul ou réduit. Les autorités françaises plaideront en faveur d'un contingent minimal et seront particulièrement attentives à ce que les concessions faites dans le cadre de l'accord avec le Canada ne servent pas de précédent non seulement pour la suite des négociations transatlantiques, mais aussi pour d'autres accords à venir, comme le Mercosur. Elles attachent également une grande importance à ce que l'ensemble de ces concessions ne concoure pas à déstabiliser la filière de production française.

D'autre part, vous craignez de voir arriver sur le marché européen de la viande bovine issue d'animaux élevés dans des conditions différentes de celles qu'impose la législation européenne.

À ce sujet, je tiens à vous rappeler que la préservation des acquis des consommateurs européens figure dans le mandat de négociation de la Commission européenne. Les États membres et la Commission le disent clairement : les actes législatifs européens de base, comme ceux qui concernent l'interdiction de la viande aux hormones ou, plus généralement, ceux qui visent à protéger la vie et la santé humaines, l'environnement et les intérêts des consommateurs, ne font pas partie des négociations.

Le contingent qui a été octroyé dans le cadre de l'accord avec le Canada n'est d'ailleurs ouvert qu'aux exportations de viande bovine issue d'animaux élevés dans des conditions qui satisferont l'ensemble de ces exigences.

Vous pouvez donc être entièrement rassuré sur ce point, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Je remercie Mme la secrétaire d'État pour sa réponse qui contient un certain nombre de points positifs. Elle évoque ainsi un traitement a minima,pour éviter des tonnages trop importants, une prise en compte spécifique de la filière de production de viande et le fait que l'accord avec le Canada ne constitue pas un précédent.

Oui, tout cela est positif. Je souhaite toutefois que cette réponse orale puisse être déterminante dans toutes les discussions. Il n'est pas souhaitable que l'agriculture, en particulier la filière viande, serve de variable d'ajustement des services et de l'industrie, une situation que nous avons connue durant les décennies précédentes.

Ces accords prévoient une exception culturelle. Pourquoi ne pas également envisager une exception« agriculturelle » ? Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous craignons qu'un afflux trop important de viande sur notre marché ne détruise cette filière bovine dont j'ai évoqué l'importance dans ma question.

Des collègues du Massif central sont présents, qui connaissent très bien l'importance de la filière bovine pour le devenir de ces territoires, la lutte contre la désertification et la protection de l'environnement. Je vous rappelle que, dans ce pays, treize millions d'hectares sont entretenus par les ruminants : il serait très préjudiciable, ne serait-ce que pour l'environnement, que cette filière souffre.

Madame la secrétaire d'État, vous avez fait référence à votre profession, pour laquelle je nourris une grande estime. Dans le domaine de la santé, on demande aux éleveurs français beaucoup d'efforts et il ne serait pas compréhensible que l'on puisse importer des animaux dont la production ne répond pas aux mêmes exigences. Tel était l'objet de ma question.

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