Question de Mme GARRIAUD-MAYLAM Joëlle (Français établis hors de France - UMP) publiée le 21/02/2014
Question posée en séance publique le 20/02/2014
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le temps s'accélère en Ukraine. La violence s'étend à tout le territoire et la répression policière, déjà féroce, pourrait être reprise en main par les forces armées. Le président Obama lui-même s'en est inquiété ce matin.
Il y a une semaine, j'étais sur la place Maïdan, impressionnée par la dignité des manifestants, par leur rejet de la corruption qui gangrène leur pays, par leur détermination à refuser des lois liberticides, par leur courage face aux intimidations. La « révolution orange » de 2004 n'avait, elle, fait aucune victime ; les effusions de sang des dernières heures en sont d'autant plus intolérables.
J'ai rencontré la plupart des leaders de l'opposition : tous manifestaient leur déception devant la passivité de l'Union européenne, leur crainte de voir la situation dégénérer, leur demande de sanctions personnelles et ciblées contre les oligarques corrompus, par exemple le gel de leurs avoirs bancaires à l'étranger et le refus de leur délivrer des visas, ainsi qu'à leurs familles.
La menace d'engrenage était évidente, mais une sortie de crise pacifique semblait encore possible, à condition de retourner aux garanties constitutionnelles de 2004 et d'organiser de nouvelles élections.
Je me réjouis que la France ait aujourd'hui accepté de soutenir l'idée de ces sanctions personnelles et ciblées. Mais pourquoi donc avoir attendu que les morts jonchent la place Maïdan pour réagir ?
Ces sanctions indispensables ne doivent pas être une simple mesure de rétorsion face à l'horreur de la répression : méfions-nous des politiques étrangères punitives fondées sur des réactions émotionnelles à portée plus symbolique qu'effective.
La vengeance ne ressuscite pas les morts. Les sanctions à l'encontre de quelques dizaines de dirigeants ne sauraient être un moyen de nous donner bonne conscience ni nous dispenser d'un travail moins visible et plus long de médiation politique. Je m'interroge, par exemple, sur la pertinence du refus par la diplomatie européenne du « trilogue » Kiev-Bruxelles-Moscou proposé par Vladimir Poutine. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) En Ukraine, comme en Syrie, la sortie de crise passe aussi par Moscou.
À l'heure où se tient un Conseil européen sur l'Ukraine, j'insiste sur la nécessité de faire preuve de détermination pour défendre l'état de droit en Ukraine, comme l'avait fait Nicolas Sarkozy en 2008 pour la Géorgie.
Rester les spectateurs passifs de l'émergence d'une guerre civile aux frontières de l'Europe serait humainement insupportable. Ce serait nous rendre complices d'une possible balkanisation de l'Ukraine, extrêmement dangereuse pour la sécurité de l'ensemble de la région.
Pourriez-vous donc nous préciser, monsieur le Premier ministre, la position de la France sur les moyens d'améliorer le dialogue franco-russe et russo-européen sur cette question et de progresser au plus vite vers un retour de la démocratie en Ukraine, ce pays ami de la France, qui nous est cher, mais que nous avons peut-être trop longtemps ignoré ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
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Réponse du Premier ministre publiée le 21/02/2014
Réponse apportée en séance publique le 20/02/2014
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Madame la sénatrice, vous venez de poser une question grave. La situation en Ukraine, particulièrement à Kiev, conduit à des violences totalement inadmissibles, et le bilan, malheureusement, ne cesse de s'alourdir. Cette situation est épouvantable, comme en témoignent les images diffusées en direct à la télévision.
La situation en Ukraine interpelle la France, qui n'a pas attendu pour condamner ces violences avec la plus extrême fermeté. Surtout, la France appelle au retour au calme et au dialogue, comme vous le souhaitez, madame la sénatrice. Le retour au dialogue est en effet la seule solution possible, la seule façon d'aboutir à un règlement politique.
Le Président de la République et moi-même avons d'ailleurs abordé cette question hier, dès le début de l'entretien que nous avons eu, juste avant le conseil des ministres franco-allemand, avec la chancelière Angela Merkel. Partageant les mêmes préoccupations et les mêmes angoisses face au péril, nous avons très vite adopté la même position, sans hésitation, espérant également entraîner l'Union européenne. Un Conseil des ministres des affaires étrangères doit avoir lieu aujourd'hui.
Nous avons également décidé que le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, se rendrait immédiatement à Kiev, accompagné de ses homologues Frank-Walter Steinmeier, pour la République fédérale d'Allemagne, et Radoslaw Sikorski, pour la Pologne, troisième partenaire du triangle de Weimar.
Un message de fermeté a été transmis aux autorités ukrainiennes. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté. L'Ukraine doit savoir que l'Union européenne ne laissera pas ces actes sans conséquences.
Les trois ministres ont eu des contacts avec tout le monde. Ils en ont eu avec l'opposition, comme vous en avez eu vous-même. À l'heure où je vous parle, ils rencontrent les autorités ukrainiennes.
Au cours de la réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères d'aujourd'hui, les conséquences des discussions qui ont eu lieu hier à Kiev devront être tirées.
On peut évidemment se gargariser avec des formules. Vous ne l'avez pas fait, madame la sénatrice, tant vous avez conscience des risques, comme tous ceux qui sont présents dans cette assemblée.
Nous voulons convaincre les uns et les autres qu'il faut mettre fin à cette spirale de la violence. La résolution de la crise que traverse l'Ukraine passe par la fin des violences, le retour au dialogue et l'engagement de tous les partenaires de l'Ukraine. Vous avez évoqué la Russie, madame la sénatrice. L'Union européenne doit bien sûr parler avec la Russie. Il faut d'ailleurs une politique russe de l'Union européenne, car une telle politique n'est pas, à ce jour, suffisamment définie.
Nous devons également être garants de la souveraineté de l'Ukraine et respectueux des choix du peuple ukrainien, qui aspire à la liberté et à la démocratie.
Tel est le cadre de notre action.
Il est nécessaire et urgent d'agir. La France y travaille, mais pas seule. Elle le fait avec ses partenaires européens. Le Conseil franco-allemand qui s'est tenu hier a constitué une étape importante, car la France et l'Allemagne ont la responsabilité particulière d'entraîner les autres. Mme Ashton est évidemment également associée à tous ces travaux.
Je souhaite, comme vous tous ici, que l'Ukraine sorte de cette spirale de la violence. La France ne ménagera pas sa peine pour que cet objectif soit atteint. (Applaudissements.)
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