Question de Mme BENBASSA Esther (Val-de-Marne - ECOLO) publiée le 28/02/2014
Question posée en séance publique le 27/02/2014
Concerne le thème : La laïcité
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en 2004-2005, Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, rédigeait une déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle, dans laquelle il énonçait trois principes fondamentaux : la liberté de conscience comme liberté publique, l'autonomie de l'État et des institutions publiques à l'égard de toute religion et conviction, l'égalité dans l'exercice des droits. Il définissait la laïcité comme « l'harmonisation » de ces trois principes.
Il écrivait : « Après avoir raconté la séparation des Églises et de l'État d'une manière uniquement conflictuelle, le discours social dominant effectue un virage à cent quatre-vingts degrés lors du centenaire de la loi en 2005. On insiste maintenant sur son irénisme ». De la promulgation d'une loi visant à soustraire l'État à toute ingérence du pouvoir des Églises et à permettre un vivre ensemble respectueux de la religion de l'autre, on est passé au culte d'un concept susceptible de régler tous les problèmes de la République et de rassembler tous les déçus de ses valeurs.
Une forme d'« intégrisme » laïc s'est trouvée ainsi relayée par une certaine vulgate républicaine, qui cherche à enfermer la France dans un schéma binaire opposant ses partisans érigés en bons Français et les autres, au premier desquels les musulmans, stigmatisés comme a priori rétifs à cette nouvelle religion qu'est devenue la laïcité pour d'aucuns. La machine à exclure est en marche ! Or la laïcité devrait être l'inclusion.
Au-delà de la neutralité, impérative, des services publics, on en est venu à exiger cette neutralité dans l'espace public lui-même, voire lors de l'exercice de certaines missions de service public pourtant assurées par le secteur privé, ou simplement des « nounous » de nos enfants.
Monsieur le ministre, serait-il vraiment sage que l'État en arrive à dicter les principes d'une laïcité abstraite à l'entreprise privée elle-même, alors que cette dernière semble parfois gérer beaucoup mieux la question religieuse, et ce sans fracas ni vaine polémique ?
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Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 28/02/2014
Réponse apportée en séance publique le 27/02/2014
M. Michel Sapin, ministre. Je suis d'accord avec vous, madame la sénatrice, il ne peut y avoir de culte de la laïcité. D'ailleurs, ces deux mots sont antinomiques.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est un oxymore !
M. Michel Sapin, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, vous qui êtes un spécialiste de ces questions et des mots d'une manière générale ! (Sourires.)
De même, je ne peux pas comprendre que l'on associe laïcité et intégrisme, car ces deux mots s'opposent totalement.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Michel Sapin, ministre. La laïcité, je le répète, c'est l'apaisement, le respect de l'autre dans la sphère publique, à laquelle s'impose la neutralité, comme dans la sphère privée.
Pour ce qui concerne l'entreprise privée, j'ai déjà apporté des éléments de réponse sur cette question. Le code du travail prévoit la possibilité de restreindre la liberté religieuse ou l'affichage de son sentiment et de sa croyance religieux pour des raisons suffisamment ciblées. Cette restriction ne peut être ni générale, ni catégorique, mais elle est cependant possible.
Cela a été mentionné, mais je voudrais y insister, des avis ont déjà été rendus.
Je voudrais rappeler l'existence du guide de la gestion du fait religieux dans l'entreprise privée, code de bonne conduite édité à l'automne dernier par l'Observatoire de la laïcité. C'est un excellent document d'information destiné à permettre aux chefs d'entreprise, aux personnes chargées de la gestion du personnel comme des conflits qui peuvent survenir de s'inspirer d'un certain nombre de bonnes pratiques.
Comme toujours, on remarque les cas qui posent problème, comme l'affaire Baby Loup, et qui méritent certes un vrai débat. Mais dans nombre d'entreprises les problèmes que nous évoquons ont trouvé une solution respectueuse de chacun grâce à la discussion et au dialogue. C'est ce à quoi j'incite chacun.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Comme vous avez pu le constater à la suite de mon intervention précédente, je suis favorable à une laïcité harmonieuse et non à une laïcité qui friserait la religiosité.
Monsieur le ministre, j'ai lu le guide dont vous avez parlé, puisque je m'en suis inspirée. Il serait aussi opportun de considérer réellement que la laïcité peut être gérée dans l'entreprise privée.
Permettez-moi d'élargir quelque peu mon propos ; je souhaite que les discriminations soient gérées avec autant d'habileté dans le secteur privé. Il serait temps de réfléchir à ce sujet. J'ai d'ailleurs présenté une proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, mais, malheureusement, ce texte n'a pas reçu votre agrément...
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