Question de M. MAZARS Stéphane (Aveyron - RDSE) publiée le 06/12/2013
Question posée en séance publique le 05/12/2013
Concerne le thème : L'accès à la justice et la justice de proximité
M. Stéphane Mazars. Le droit pour tout justiciable à un recours effectif à la justice induit un accès réel au juge. Ainsi, si la réforme de la carte judiciaire initiée par Mme Dati était nécessaire, elle demeure néanmoins fortement critiquable sur la forme et dans ses résultats. Vous en connaissez les raisons, madame la garde des sceaux : calendrier précipité, absence de réelle concertation, ignorance des réalités administratives et géographiques, et, partant, oubli de la nécessaire proximité entre le citoyen et son juge. La refonte qui en a résulté a privilégié les critères quantitatifs au détriment de la réalité des territoires.
Nous avons pris note de votre volonté de remettre les choses à plat. Les pistes évoquées à la suite du rapport Daël, telles que la réouverture de certains TGI et la création de chambres détachées, constituent des réponses sérieuses et pragmatiques que nous saluons. Attention, cependant, à ne pas laisser une nouvelle fois de côté certains territoires pour lesquels la seule création d'un guichet unique de greffe risque d'apparaître comme un pis-aller largement insuffisant.
L'objectif de proximité et d'accessibilité a également été ignoré lors de la mise en place des pôles de l'instruction. L'application de cette réforme, initiée par la loi du 5 mars 2007, a déjà subi de multiples reports, et votre projet de loi relatif à la collégialité de l'instruction prévoit de la reporter à nouveau au 1er septembre 2014. Or cette réforme ne va pas sans susciter l'inquiétude des justiciables et des auxiliaires de justice dans les territoires déjà fragilisés, car elle renonce au maintien d'un juge d'instruction isolé dans les juridictions infra-pôle même si, lorsque l'activité juridictionnelle le justifiera, des pôles de juridiction pourront être créés.
Vous comprendrez que, si nous espérons beaucoup de ce remaillage des territoires, nous ne souhaitons pas, encore une fois, que le chiffre soit l'unique critère pris en compte pour décider de ces nouvelles implantations.
La question du maillage ne peut être étudiée indépendamment de celle de l'aide juridictionnelle : pour les justiciables, une justice de proximité s'entend non seulement comme l'accès physique au juge, mais aussi comme l'accès réel à la défense de leurs droits. L'absence de proximité de la justice, nous le savons, fragilise le secteur aidé en remettant en cause, de fait, des principes aussi fondamentaux que celui du libre choix de son avocat, lequel ne peut être à la fois proche de son client et éloigné du lieu où la justice est rendue.
Au vu de ces éléments, comment comptez-vous garantir une justice de qualité pour tous et en tout lieu ?
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 06/12/2013
Réponse apportée en séance publique le 05/12/2013
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mazars, vous évoquez deux sujets différents dans votre question : d'une part, la territorialité et la proximité ; d'autre part, la collégialité de l'instruction.
Nous ne travaillons pas à la Chancellerie exclusivement en fonction des chiffres. Nous ne pouvons pas non plus les ignorer ni les évacuer. Nous voulons une activité judiciaire cohérente et performante et, pour cela, nous devons tenir compte des volumes d'affaires civiles et pénales de chaque ressort. Il ne s'agit pas pour autant du seul critère : nous nous appuyons sur tout un maillage d'indicateurs.
S'agissant des territoires, nous tenons compte, par exemple, de paramètres correctifs tels que la distance. Vous le savez, je me suis rendue à Rodez il y a quelques mois...
M. Jean-Jacques Hyest. Ah !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ailleurs aussi, monsieur Hyest ! (Sourires.) Je fais de multiples déplacements.
M. Jean-Claude Lenoir. Les voyages forment la jeunesse !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C'est la meilleure solution pour comprendre et connaître les réalités territoriales dans lesquelles vous êtes immergés. Si je me contentais de vous écouter sans venir voir sur place, si je ne faisais pas en sorte que vous puissiez me guider sur le terrain,...
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien ! Il faut travailler ensemble !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... je n'aurais qu'une vision partielle de la réalité et je ne pourrais apporter que des réponses imparfaites. Or j'ai l'ambition d'apporter de bonnes réponses !
Cela étant, le volume d'affaires traitées n'est pas le seul critère à retenir. Compte tenu de la distance séparant Millau de Rodez, il y a lieu de s'interroger sur la question de l'efficacité de la proximité pour les justiciables.
La collégialité de l'instruction, quant à elle, fait l'objet d'un projet de loi, que j'ai présenté en conseil des ministres dès le mois de mai. Le texte a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, mais il n'a pu être encore inscrit à l'ordre du jour. Il vise à aménager les conditions de la collégialité de l'instruction de façon à ne pas alourdir inutilement cette dernière par la collégialité systématique prévue par la loi de mars 2007.
Si le texte avait dû être mis en uvre dès janvier 2014, nous aurions été prêts. J'ai en effet pour principe - vous ne l'ignorez pas depuis ces dix-huit derniers mois, mesdames, messieurs les sénateurs - que, une fois adoptées, les lois doivent être appliquées.
M. Jean-Claude Lenoir. C'est du bon sens !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voulais éviter un nouveau report. Le calendrier gouvernemental en témoigne : le texte a été adopté en conseil des ministres en mai 2013.
Or l'année arrivant à son terme, et l'examen du projet de loi n'étant toujours pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, l'application systématique de la collégialité, telle que conçue dans la loi de 2007, allait trouver à s'appliquer en janvier 2014. Dans ces conditions, j'ai demandé qu'un amendement soit adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 de façon à reporter d'un an l'application de la loi de 2007. Ce délai nous laisse du temps pour la discussion et l'adoption - je l'espère - de ce projet de loi pour lequel j'ai procédé aux plus larges consultations. En tout état de cause, nous veillerons à mettre en place une collégialité.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars, pour la réplique.
M. Stéphane Mazars. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Sachez que ce fut un plaisir de vous guider lors de votre venue dans mon département de l'Aveyron. J'espère que les élus aveyronnais auront également su vous guider dans votre volonté de réparer les dégâts. Ce département a en effet été le plus touché par les réformes successives de la justice. Songez que Rodez dépend désormais d'un pôle de l'instruction situé à Montpellier et que plus aucun TGI ne rend la justice dans le sud aveyronnais ! Cette situation pose de réels problèmes aux justiciables quand on connaît les contraintes en termes de temps de déplacement et de conditions climatiques qu'ils rencontrent.
Je voudrais insister sur un principe essentiel que nous souhaitons tous protéger : la possibilité pour tout un chacun de choisir un avocat. Or choisir un avocat dans le secteur aidé, c'est choisir un avocat dans le cadre de l'aide juridictionnelle, qu'il ne faut pas confondre avec la commission d'office. Si la distance séparant l'endroit où réside le justiciable du lieu où l'on rend la justice est trop importante, le principe du libre choix de l'avocat est remis en cause.
C'est sur la base de ces grands principes que nous devrons, demain, travailler.
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