Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 06/06/2013
M. Jacques Mézard attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur le dispositif d'affichage environnemental, expérimenté, dans le cadre de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement dite Grenelle 2, entre juillet 2011 et juillet 2012, et dont le rapport d'évaluation sera prochainement remis au Parlement en vue d'une éventuelle généralisation.
Il apparaît que la méthodologie utilisée dans le cadre de cet affichage, l'analyse du cycle de vie, qui est issue du monde industriel et complètement inadaptée au secteur agricole, aboutit à des résultats qui relèvent du non-sens écologique : les produits les plus pénalisés sont ceux issus des systèmes d'élevage les plus extensifs, voire biologiques. En se focalisant, notamment, sur les émissions de méthane « tout au long de la vie » des ruminants et ne tenant absolument pas compte des externalités positives d'une activité telle que l'élevage à travers l'entretien des prairies, véritables « puits à carbone » et réserves de biodiversité notamment , les viandes rouges issues de ces filières d'élevage herbagers se retrouvent « dernières de la classe » en matière d'impact environnemental. De même, l'affichage environnemental défavorise le « local », les impacts du transport étant négligeables par rapport à ceux de l'amont et de la production. Le constat est donc double.
En premier lieu, l'affichage environnemental, parce qu'il repose sur des méthodes non consolidées et des bases de données non fiables, sera à l'origine d'une véritable désinformation du consommateur. Une question est de savoir comment celui-ci percevra le fait qu'une viande étiquetée « bio » soit si mal « notée » sur le plan de son impact environnemental.
En second lieu, l'affichage environnemental n'aboutira pas à une amélioration des pratiques en matière de préservation de l'environnement, puisque que les méthodes sont encore trop peu fiables et simplistes pour servir d'outils d'amélioration dans les exploitations. Pour preuve : elles conduiraient, actuellement, à abandonner l'herbe dans l'alimentation des ruminants pour qu'ils émettent moins de méthane.
Ce sont donc les objectifs mêmes de la mise en place d'un affichage environnemental qui se trouvent « annulés » par ces limites méthodologiques.
Il lui demande donc comment elle compte réagir face à ce paradoxe écologique et s'il n'est pas nécessaire de laisser le temps de la réflexion et de l'étude, pour aboutir à une information juste et utile pour le consommateur, plutôt que de se précipiter dans une mesure qui ne relève que du « marketing » et peut conduire à de l'écoblanchiment ou, selon l'expression anglaise, à du « green washing ».
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Réponse du Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie publiée le 02/10/2013
Réponse apportée en séance publique le 01/10/2013
M. Jacques Mézard. Ma question concerne le dispositif d'affichage environnemental expérimenté entre juillet 2011 et juillet 2012 dans le cadre de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle 2 », et qui devait faire l'objet d'un rapport d'évaluation, le Parlement pouvant être saisi en vue d'une éventuelle généralisation du dispositif.
Il apparaît que la méthodologie utilisée dans le cadre de cet affichage - l'analyse du cycle de vie - provient du monde industriel. Elle nous semble par conséquent totalement inadaptée au secteur agricole, d'autant qu'elle aboutit à des résultats qui relèvent du non-sens écologique : les produits les plus pénalisés sont ceux qui sont issus des systèmes d'élevage les plus extensifs, voire biologiques.
En se focalisant sur les émissions de méthane « tout au long de la vie » des ruminants et en ne tenant absolument pas compte des externalités positives, comme l'entretien des prairies, les viandes rouges issues de ces filières d'élevages herbagers se retrouvent « dernières de la classe » en matière d'impact environnemental. De même, l'affichage environnemental défavorise le « local », les impacts du transport étant négligeables par rapport à ceux de l'amont et de la production.
Le constat négatif est donc double.
En premier lieu, parce qu'il repose sur des méthodes non consolidées et des bases de données non fiables, l'affichage environnemental sera à l'origine d'une véritable désinformation du consommateur. Comment celui-ci percevra-t-il le fait qu'une viande étiquetée bio soit si mal « notée » sur le plan environnemental ?
En second lieu, l'affichage environnemental n'aboutira pas à une amélioration des pratiques en matière de préservation de l'environnement, puisque les méthodes sont encore trop peu fiables et simplistes pour servir d'outils d'amélioration dans les exploitations. Actuellement, elles conduiraient à abandonner l'herbe dans l'alimentation des ruminants pour qu'ils émettent moins de méthane, ce qui serait une aberration.
Ce sont donc les objectifs mêmes de la mise en place d'un affichage environnemental qui se trouvent « annulés » par ces limites méthodologiques.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître vos intentions face à ce paradoxe écologique - ce n'est pas le seul, nous en connaissons beaucoup. N'est-il pas nécessaire de laisser le temps de la réflexion et de l'étude, pour aboutir à une information juste et utile pour le consommateur, plutôt que de se précipiter dans une mesure qui ne relèverait que du marketing et de « l'éco-blanchiment » ?
M. Jean-Michel Baylet. Très bien, monsieur Mézard !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question qui porte sur un sujet que la commission du développement durable de la Haute assemblée, présidée par mon ami Raymond Vall, a traité à l'occasion d'une table ronde qui s'est tenue au mois de juin dernier.
L'affichage environnemental doit permettre aux consommateurs de choisir en connaissance de cause les produits qu'ils achètent, en intégrant entre autres critères l'impact des produits sur l'environnement. Il s'agit d'un outil précieux pour la transition écologique, car il vise à donner davantage de poids et de pouvoir aux citoyens pour orienter les modes de production, sans alourdir les normes qui pèsent sur les producteurs.
Ainsi, dans la continuité des travaux engagés par votre assemblée, je souhaite que nous poursuivions avec détermination dans cette direction.
Bien sûr, la mise en uvre d'un tel instrument mérite de la concertation. Nous devons prendre en compte les spécificités de chaque secteur, et particulièrement du secteur agricole. Venant moi-même d'un territoire - le Gers - particulièrement rural qui compte un important cheptel de Blondes d'Aquitaine, je suis sensible au fait que l'on ne méconnaisse pas la réalité du travail de nos éleveurs.
Je n'ignore pas les critiques adressées à la méthode actuelle de calcul des impacts environnementaux ou les inquiétudes qu'elle suscite dans le secteur agricole. Soyez assuré que nous prenons en considération ces inquiétudes et qu'un important travail d'analyse est mené pour tenir compte des spécificités du secteur agroalimentaire et des labels existants.
Mes services mènent actuellement plusieurs actions pour dissiper ces inquiétudes.
Ainsi, un rapport du commissariat général du développement durable tirera prochainement les enseignements d'une première expérimentation nationale, laquelle a rassemblé cent soixante-huit entreprises volontaires des secteurs de l'agroalimentaire, du textile, de l'ameublement, de la beauté, de l'hygiène et de l'hôtellerie. Cette expérimentation portait sur un affichage multicritères intégrant les émissions de CO2.
Je peux d'ores et déjà vous annoncer que cette phase d'essai a confirmé l'intérêt et la faisabilité de l'affichage environnemental. L'expérimentation a également mis en évidence l'ampleur du travail restant à accomplir avec tous les acteurs et notamment - vous avez raison d'y insister - les producteurs du secteur agricole. C'est pourquoi une nouvelle méthode de calcul des empreintes carbone des produits agroalimentaires est en cours d'élaboration. Cette nouvelle méthode sera plus favorable à l'élevage extensif et prendra mieux en compte le stockage de carbone dans les prairies et la qualité herbagère. On ne parle pas assez du rôle des prairies dans le stockage du carbone.
M. Jean-Michel Baylet. C'est vrai !
M. Philippe Martin, ministre. Les instituts techniques agricoles et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, travaillent sur cette nouvelle méthode avec des chercheurs.
Une étude a également été pilotée pendant un an par mon ministère afin de construire un indicateur « biodiversité » pour les produits agricoles et d'élevage. Cet indicateur est fondé sur les infrastructures agro-écologiques ; il est donc favorable à l'élevage biologique.
En conclusion, je tiens à souligner que la Commission européenne, inspirée par les initiatives françaises, qui sont pour le moment uniques en Europe, vient de décider de lancer sa propre expérimentation, qui aura lieu de 2014 à 2016. Avec 11 % des projets déposés, la France est le premier État membre pour le nombre de candidats à l'expérimentation européenne.
Avec tous les acteurs, ainsi qu'avec vous-même, monsieur le sénateur, je veillerai à la bonne avancée du dossier dans sa globalité et à la mise en place de modalités pertinentes pour chaque secteur, et notamment pour le secteur agricole.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je ne doutais pas que la Blonde d'Aquitaine du Gers...
M. Jean-Michel Baylet. La Blonde d'Aquitaine se trouve surtout dans le Tarn-et-Garonne !
M. Jacques Mézard. ... pouvait sauver la production bovine de nos départements. (Sourires.)
Je me félicite qu'une nouvelle méthode de calcul des empreintes carbone soit en cours d'élaboration. Vous savez comme moi, et comme nous tous, que, si nous ne prenons pas de dispositions spécifiques pour l'élevage, l'affichage environnemental aura des effets contraires à ce que nous souhaitons tous : nous pénaliserons durement la production agricole et en particulier l'élevage. Il est donc indispensable que la nouvelle méthode de calcul tienne vraiment compte des spécificités de l'élevage et des qualités de nos prairies.
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