Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRC) publiée le 07/12/2012
Question posée en séance publique le 06/12/2012
M. Pierre Laurent. Monsieur le Premier ministre, depuis hier, vous vous acharnez à défendre l'accord passé entre votre gouvernement et Mittal au nom d'un argument : vous sauvez l'emploi.
Plusieurs sénateurs UMP. Très bien !
M. Pierre Laurent. À droite, vous êtes disqualifiés sur ce sujet, alors laissez-moi parler ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
Cependant, vous ne parvenez pas à convaincre. En effet, comment garantir l'emploi si l'avenir industriel du site de Florange, lui, n'est pas garanti ? Déjà, l'arrêt des hauts fourneaux de Florange prive la région de son poumon économique et menace de destruction des centaines d'emplois directs, indirects et intérimaires. Mais surtout, alors que, hier encore à l'Assemblée nationale, vous déclariez avoir obtenu la reprise du projet ULCOS, Mittal vient de donner le coup de grâce à Florange en retirant la candidature du site pour l'appel d'offres européen.
M. Mittal n'a jamais renoncé à son plan de dépeçage de l'industrie sidérurgique, notamment de sa filière chaude en Europe. Le groupe ArcelorMittal profite des aides publiques mais il organise la perte de rentabilité des sites pour les fragiliser, afin de justifier leur fermeture. Il y a donc deux visions radicalement différentes en présence : d'un côté, celle de Mittal, qui organise le déclin de l'industrie en cherchant à préserver ses intérêts financiers ; de l'autre, celle des syndicalistes et de nombreux élus du territoire lorrain ainsi que des auteurs du rapport Faure commandé par votre gouvernement, qui préconisent des investissements importants sur le site, dans le cadre d'une « option nationale » pour la sidérurgie. Pourquoi avez-vous enterré si vite ce rapport officiel ?
Monsieur le Premier ministre, entre ces deux visions, vous devez choisir !
Laisser la main à Mittal, c'est tourner le dos aux salariés, au projet ULCOS, à l'intérêt de la France. Si vous choisissez l'intérêt national, comme nous vous le demandons, vous devez rouvrir le dossier. Les prétendus engagements de Mittal, qu'il a déjà trahis en quelques heures, ne peuvent en aucun cas mettre un point final au dossier de Florange.
J'ai donc trois questions à vous poser : quelle garantie pouvez-vous donner quant à un engagement rapide et financé du projet ULCOS ? Le Gouvernement s'engage-t-il à rouvrir sans délai le dossier de l'avenir industriel du site de Florange et plus largement des sites d'ArcelorMittal en France, y compris en examinant la voie de la nationalisation ? Enfin, puisque vous avez annoncé la mise en place d'un comité de suivi, êtes-vous prêt à ouvrir sa composition à une représentation pluraliste des élus locaux et des parlementaires, afin d'élargir sa mission à la recherche des solutions industrielles d'avenir qui font toujours défaut aujourd'hui ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
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Réponse du Premier ministre publiée le 07/12/2012
Réponse apportée en séance publique le 06/12/2012
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur Laurent, j'ai écouté votre question avec beaucoup d'attention. J'ai notamment été très attentif à votre conclusion, qui interpelle le Gouvernement sur sa volonté d'offrir des perspectives d'avenir à la Lorraine. Je comprends cette question, et croyez bien que, en tant que chef du Gouvernement, j'y suis particulièrement attentif.
Hier soir, j'ai rencontré l'intersyndicale de Florange, avec les responsables des fédérations de la métallurgie qui l'accompagnaient. Cette rencontre a été marquée par une grande franchise et un grand respect mutuel. Chacun a exprimé son point de vue, comme nous le souhaitions les uns et les autres. J'ai expliqué les raisons du choix du Gouvernement.
Ce midi, j'ai rencontré les élus du conseil régional de Lorraine et du conseil général de Moselle, ainsi que des maires, des présidents d'intercommunalité et quelques parlementaires de sensibilités différentes, en tout cas ceux qui avaient accepté de venir. Là aussi, nous nous sommes parlé franchement.
La position du Gouvernement est conforme à l'objectif que lui a fixé le Président de la République : pas de plan social, pas de suppression d'emplois, pas de licenciement à Florange. Cet objectif a été atteint. Ce résultat est le fruit des négociations que le Gouvernement a engagées la semaine dernière avec Mittal. Ces négociations difficiles avaient été précédées d'une rencontre entre M. Mittal et le Président de la République.
Un autre objectif était d'obtenir l'engagement que des investissements de 180 millions d'euros seraient réalisés sur la partie « froid » et la partie « emballage » du site. Cet engagement a été accepté. Bien entendu, il s'agit maintenant de veiller à ce qu'il soit tenu.
J'en viens au projet ULCOS.
Vous avez dit que le groupe Mittal lui avait porté le coup de grâce. Non, il ne lui a pas porté le coup de grâce. Il n'a fait que répéter ce qui avait été dit clairement lors de la négociation. Vous avez fait allusion au rapport qui avait été commandé par le Gouvernement à M. Pascal Faure. Ce rapport soulignait que, au stade actuel de son élaboration, le projet ULCOS ne permettait pas de développer un processus industriel, à cause de difficultés techniques. C'est donc d'un commun accord que nous avons constaté que, si nous conservions le projet en l'état, cela reviendrait à mettre en péril l'avenir du projet ULCOS.
Le projet ULCOS, je le rappelle, est un projet industriel innovant, qui a pour objectif de produire de l'acier sans rejeter dans l'atmosphère autant de CO2 que les autres processus. Ces rejets de CO2 sont en effet un vrai problème dans un pays comme le nôtre, qui est confronté au grand défi de la transition énergétique. Le projet ULCOS a pour objectif de capter le CO2. Je sais que certains préféreraient qu'il n'y ait plus de CO2 du tout, mais, quant à moi, je suis partisan d'un avenir industriel pour la France.
M. Jean-Michel Baylet. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je souhaite que notre pays dispose d'une industrie capable, lorsqu'elle produit du CO2, de ne pas le rejeter dans l'atmosphère. Le projet ULCOS est un projet innovant, un projet d'avenir, dont la réussite nécessite beaucoup d'investissements, en particulier en matière de recherche et développement.
Ce que Mittal a déclaré à la Commission européenne, c'est que le projet ULCOS serait repris. Le Gouvernement est associé à ce projet : 150 millions d'euros ont déjà été réservés au titre des investissements d'avenir. Ces fonds sont gérés par le Commissariat général à l'investissement, dirigé par Louis Gallois, qui est placé auprès du Premier ministre. Par conséquent, croyez bien que j'ai tout à fait l'intention de m'assurer que ces 150 millions d'euros seront utilisés.
J'ai d'ailleurs demandé à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, qui est également présente au banc du Gouvernement, de réunir immédiatement tous les laboratoires de recherche intéressés - ils sont nombreux - pour remettre à plat le volet recherche. C'est ce qui est en train d'être fait. Nous allons agir dans cette direction.
Comme toutes les autres régions françaises, la Lorraine a droit à un avenir.
M. Jean-François Husson. Ah oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mais il y a une différence avec ce qui avait été fait avant. (Oh ! sur les travées de l'UMP.) Les engagements pris par Mittal lors de la négociation de la semaine dernière ne sont assortis d'aucune condition. Pour nous, c'était un préalable. En revanche, lorsque le gouvernement précédent avait prétendu que des engagements avaient été pris par le même groupe, ces engagements étaient conditionnés à l'amélioration de la conjoncture sur le marché de l'acier. Tel n'est pas le cas aujourd'hui ! Je le répète, les engagements pris par Mittal ne sont assortis d'aucune condition.
Monsieur Laurent, vous pourriez me demander si ces engagements seront tenus. C'est une question légitime.
M. Pierre Laurent. Surtout lorsqu'il s'agit de Mittal !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C'est la raison pour laquelle j'ai désigné le sous-préfet de Thionville, M. Marzorati... (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, l'affaire est suffisamment sérieuse et grave pour que vous évitiez les réactions simplistes. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ayez un peu de modestie et de respect devant une région qui souffre et qui s'inquiète. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
J'ai donc demandé à M. Marzorati, qui sera totalement disponible dans quelques jours, puisque ses fonctions à Thionville sont sur le point de se terminer, de se consacrer entièrement à la direction d'un comité de suivi qui disposera des moyens de l'État, avec en particulier un expert chargé du projet ULCOS et un autre chargé de suivre les investissements, et qui associera tous les partenaires.
Vous avez parlé des élus, monsieur Laurent ; eux aussi - élus locaux et parlementaires - me l'ont demandé. Dans de nombreux territoires, lorsqu'un problème grave, un problème d'avenir industriel, se pose, les préfets organisent des tables rondes. Eh bien, cette fois, c'est une table ronde permanente que nous souhaitons organiser avec les partenaires sociaux,...
M. François Grosdidier. Des résultats !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. ... et j'espère que cette table ronde sera rapidement mise en uvre. Je recevrai d'ailleurs M. Marzorati ce soir afin de lui donner sa feuille de route.
Par ailleurs, au-delà du nécessaire respect par Mittal de ses engagements, j'ai indiqué au président du conseil régional de Lorraine que le Gouvernement était prêt à négocier avec lui, ainsi qu'avec l'ensemble des élus des territoires concernés, un contrat d'objectifs ambitieux visant à prendre à bras-le-corps tous les autres dossiers, industriels, environnementaux et sociaux.
Mme Natacha Bouchart. Cela fait sept minutes qu'il parle, monsieur le président !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. La Lorraine, qui, comme le Nord-Pas-de-Calais et d'autres régions françaises, a particulièrement souffert des différentes phases de restructuration industrielle - crise minière et crise sidérurgique, notamment -, a droit, plus que d'autres peut-être, au soutien de l'État. Mais je n'ai pas le droit - c'est ma conception de la politique - de faire croire qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour que les recettes magiques apparaissent.
Monsieur Laurent, vous avez évoqué la perspective d'une nationalisation. Aucun sujet n'est tabou pour moi. L'État a pris, et prendra encore, des participations publiques dans des entreprises. Il aurait pu prendre des participations publiques dans ce dossier, et il en prendra dans beaucoup d'autres.
Mme Natacha Bouchart. Cela fait huit minutes maintenant !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mais je ne voudrais pas que l'on croie que le fait de prononcer le mot « nationalisation » règle tous les problèmes. En la matière, j'ai trop de souvenirs, qui remontent à la période où je n'étais pas encore parlementaire, des souvenirs que partagent également les populations concernées. Lorsque l'industrie sidérurgique a été nationalisée, cela s'est traduit par une restructuration, qui s'est accompagnée de 30 000 suppressions d'emploi.
M. François Grosdidier. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Moi, je me bats pour l'emploi, je me bats pour la compétitivité, je me bats pour l'avenir industriel, mais mon devoir est de dire la vérité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Dire la vérité, c'est respecter les gens. Si le Gouvernement a conclu cet accord avec Mittal, c'est parce que, en conscience, il a considéré que c'était la meilleure solution.
Pas de plan social, préservation de l'emploi, investissement industriel, préparation de l'avenir et - je le confirme aujourd'hui - soutien à la région Lorraine par un système de contractualisation, voilà la position du Gouvernement, une position de franchise, de respect et, je le crois, de courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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