Question de M. LENOIR Jean-Claude (Orne - UMP) publiée le 01/11/2012

M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur les lourdes conséquences que risque d'avoir la révision des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d'origine agricole.

Les nouveaux critères pris en compte auront pour effet d'étendre ces zones vulnérables à des territoires qui n'y figuraient pas jusqu'à maintenant pour la bonne raison que les teneurs en nitrate y sont inférieures aux 50 voire 40 mg/l servant jusqu'à présent de référence. Cette révision aura de lourdes conséquences pour les agriculteurs installés dans ces territoires et qui seront soumis à l'obligation de se mettre aux normes. Conséquences d'autant plus lourdes que cette obligation touchera des exploitations qui ne sont pas les mieux armées pour faire face à de tels investissements. Or, contrairement aux mises aux normes réalisées dans le cadre des précédents programmes, aucun financement n'est à ce jour prévu pour accompagner ce cinquième programme. Si rien n'est fait pour aider les agriculteurs concernés à supporter la charge de ces investissements improductifs, beaucoup d'entre eux n'en auront pas les moyens. L'élevage bovin s'en trouvera fortement impacté dans les territoires qui basculeront en zone vulnérable. Une telle situation aurait inéluctablement pour conséquence d'accélérer la tendance au retournement des prairies qu'on observe déjà depuis un certain temps au profit des surfaces en céréales.

C'est la raison pour laquelle il souhaiterait savoir, d'une part, s'il est prévu de réaliser une étude permettant de mesurer l'impact de la révision des zones vulnérables sur les pratiques agricoles et sur la viabilité économique des exploitations concernées. Il souhaiterait savoir, d'autre part, si un dispositif d'aide est envisagé pour assurer l'accompagnement financier des exploitations qui se trouveront soumises à l'obligation de se mettre aux normes du fait de l'extension des zones vulnérables.

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Réponse du Ministère chargé de la francophonie publiée le 30/01/2013

Réponse apportée en séance publique le 29/01/2013

M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur les problèmes posés par l'extension des zones vulnérables au titre de la pollution par les nitrates.

La France, soumise à de fortes pressions de la Commission européenne, procède à la cinquième révision de la carte des zones vulnérables mises en place en application de la directive européenne « nitrates » adoptée en 1991.

Ces zones vont ainsi connaître une extension spectaculaire. Un certain nombre de territoires ruraux, notamment des terres d'élevage, seront particulièrement touchés.

Un critère a été introduit dans le dispositif retenu par le Gouvernement : l'eutrophisation des eaux côtières. De ce fait, des territoires assez éloignés de la côte - mon département, l'Orne, se trouve ainsi à une centaine de kilomètres de la mer - seront concernés. Alors que, jusqu'à présent, les territoires relevant des zones vulnérables étaient ceux où l'on mesurait un taux de nitrates supérieur à 40 ou à 50 milligrammes par litre, il suffira désormais que ce taux dépasse 18 milligrammes par litre, voire 12 milligrammes par litre.

De surcroît, les contraintes imposées aux agriculteurs vont être aggravées, notamment pour ce qui concerne les périodes d'épandage autorisé et le stockage des effluents d'origine animale. Cette évolution aura un coût élevé pour les éleveurs, qui ont déjà dû supporter des contraintes ayant pesé très lourd dans le bilan de leur exploitation.

À tire d'exemple, pour un troupeau de quarante vaches laitières et moins de 90 UGB - unité de gros bétail -, le coût de la mise aux normes s'établira, d'après mes estimations, entre 70 000 et 85 000 euros ; pour un troupeau de quarante vaches allaitantes, ce coût variera entre 35 000 et 55 000 euros.

Or ces contraintes nouvelles pèseront avant tout sur les petites exploitations, les plus importantes ayant déjà eu l'occasion et le temps de financer la mise aux normes. Les petits éleveurs seront donc les premières victimes du dispositif.

J'ai écrit au ministre de l'agriculture, après avoir déposé cette question orale qui remonte au mois d'octobre. Il m'a répondu en janvier en m'indiquant que les investissements nécessaires pour la mise aux normes des exploitations dans les zones vulnérables pourraient faire l'objet de financements. J'aimerais beaucoup savoir de quels financements il s'agit. Quel est le degré de mobilisation du Gouvernement sur cette question ? Si elle devait ne pas être réglée, les conséquences en seraient extrêmement graves pour un grand nombre de territoires consacrés à l'élevage.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée de la francophonie. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord d'excuser M. Le Foll, ministre de l'agriculture, qui est retenu à l'Assemblée nationale.

Vous interrogez le Gouvernement sur l'application de la directive « nitrates ».

Il convient de rappeler que les États membres de l'Union européenne se sont engagés dès 1991, au titre de cette directive, à établir des programmes d'actions afin de « réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles » et de « prévenir toute nouvelle pollution de ce type », en particulier dans les zones dites « vulnérables ».

La directive fixe les mesures qui doivent être incluses dans les programmes. Les récentes évolutions réglementaires relatives à l'application de la directive et la révision des zones vulnérables s'inscrivent dans le cadre de deux procédures contentieuses intentées par la Commission européenne contre la France auprès de la Cour de justice de l'Union européenne pour mauvaise application de la directive, d'une part, et pour délimitation insuffisante des zones vulnérables dans quatre bassins - Adour-Garonne, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée -, d'autre part.

S'agissant de la délimitation des zones vulnérables, la révision engagée en 2012 s'est achevée par la prise des arrêtés modificatifs fin décembre et début janvier, à la suite d'une concertation avec tous les acteurs concernés.

Il convient de relativiser l'impact de ce nouveau classement en zones vulnérables : au total, 1 440 communes entrent dans le zonage, tandis que 617 en sortent, ce qui correspond à une augmentation globale de 4,3 % du nombre des communes classées.

Le critère d'eutrophisation marine qui soulève l'opposition de la profession agricole fait entrer dans le zonage 204 communes seulement, soit 1 % de l'ensemble des communes classées.

Ce nouveau zonage devrait répondre aux exigences de la Commission européenne, et éviter ainsi des classements supplémentaires et disproportionnés.

S'agissant du contenu du cinquième programme d'actions, les premiers renforcements engagés par le programme d'actions national entré en vigueur en septembre dernier ont fait l'objet d'une concertation approfondie avec les représentants de la profession agricole.

Il convient, dans cet exercice, de concilier les exigences imposées par la directive avec le respect des principes agronomiques qui doivent continuer de régir la mise en œuvre de cette directive en France.

Les programmes d'actions régionaux seront élaborés en région au premier semestre 2013. Nous sommes dans la phase de concertation ; aucune nouvelle mesure n'a encore été prise à ce stade. L'heure est à la mobilisation responsable de tous les acteurs concernés.

S'agissant du stockage des effluents d'élevage, il est prévu de préciser et de compléter les mesures du programme d'actions national dans un nouvel arrêté. La concertation sur ce projet de texte a été ouverte à la fin du mois de septembre. L'objectif du Gouvernement est de défendre une approche qui soit le plus adaptée possible aux besoins agronomiques de chaque système d'exploitation.

Le ministre de l'agriculture s'attache, en outre, à défendre les possibilités de stockage au champ de certains effluents n'ayant pas d'incidence négative sur l'environnement. Le Gouvernement a donc maintenu cette mesure dans le cadre de la réforme réglementaire, ce qui permet à une grande partie des élevages bovins de ne pas avoir à faire d'investissements supplémentaires pour le stockage des effluents d'élevage.

Par ailleurs, vous m'interrogez sur l'aide aux investissements. Je peux vous rassurer sur ce point, dans la mesure où les investissements nécessaires pour la mise aux normes des exploitations dans les nouvelles zones vulnérables, ainsi que pour l'installation des jeunes agriculteurs pendant un délai de trente-six mois, pourront faire l'objet de financements. Le ministère de l'écologie devrait pouvoir établir le soutien que pourraient apporter les agences de l'eau en parallèle.

Le ministre de l'agriculture tenait à rappeler qu'il attache une importance particulière à l'accompagnement de ces mises aux normes. Le Gouvernement est mobilisé pour défendre les élevages à l'herbe et utiliser toutes les possibilités pour prendre en compte les spécificités et les bénéfices environnementaux de ce type d'élevages.

En conclusion, monsieur le sénateur, il est indispensable de bien comprendre que la concertation engagée par le Gouvernement devra conduire à des dispositions acceptables par la Commission européenne dans le cadre d'un contentieux à haut risque financier et dont pourraient résulter des mesures en contradiction avec l'esprit de proportionnalité dans lequel nous travaillons jusqu'à présent. Ces dispositions devront également être pragmatiques d'un point de vue agronomique pour être acceptées par la profession agricole, dans un contexte économique très difficile.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous avez apportées au nom du ministre de l'agriculture.

Pour autant, mon inquiétude n'a pas diminué. Les agriculteurs sont des acteurs parfaitement responsables : ils savent qu'ils doivent s'engager dans des actions visant à diminuer les pollutions, notamment d'origine animale. Cet engagement est constant depuis déjà de nombreuses années.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises dans votre réponse une concertation : ce n'est pas forcément le mot qui vient à l'esprit de ceux qui ont pris part à des réunions où les représentants des services de l'État étaient beaucoup plus nombreux que ceux de la profession agricole. Cette concertation n'a pas laissé de souvenirs très marquants à ces derniers, qui attendaient des réponses aux questions qu'ils posaient.

Les vraies questions sont les suivantes.

Premièrement, est-il justifié que des territoires où les taux de nitrates sont de l'ordre de 12 à 18 milligrammes par litre, alors que le taux de référence était jusqu'à présent de 40 à 50 milligrammes par litre, puissent relever des zones dites vulnérables ?

Deuxièmement, quel est le financement prévu ? Le ministre de l'agriculture m'avait écrit pour tenter de me rassurer ; j'ai retrouvé les formules qu'il avait employées dans votre réponse. Dans le budget du ministère de l'agriculture n'apparaît aucune ligne spécifiquement dévolue au financement des mises aux normes : des crédits seront-ils prélevés sur une autre ligne ? N'allons-nous pas, finalement, être confrontés à une insuffisance de crédits ? La question est majeure.

En conclusion, je tiens à dire que j'ai été particulièrement frappé du découragement qui saisit aujourd'hui les éleveurs. On constate une tendance très forte au retournement des prairies, c'est-à-dire à la transformation des terres destinées à l'élevage en terres céréalières. Ce découragement atteint notamment les jeunes agriculteurs, qui hésitent désormais à s'engager dans l'élevage ou, s'ils se sont déjà installés, préfèrent vendre leur cheptel en vue de se consacrer à la culture de céréales, voire à d'autres activités. Il y va véritablement, madame la ministre, de l'avenir de l'élevage français, lequel mérite d'être défendu compte tenu de la qualité de ses produits. Je ne doute pas que vous transmettrez ces observations au ministre de l'agriculture.

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