Question de M. BAS Philippe (Manche - UMP) publiée le 18/10/2012
M. Philippe Bas appelle l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la hauteur du gué en béton qu'il est prévu de construire au Mont-Saint-Michel.
Le rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel est un projet d'envergure nationale qui s'inscrit dans une double ambition : le développement durable et la mise en valeur d'un patrimoine universel. Ce projet se traduira par le remplacement de la route-digue par une passerelle surmontant les flots à marée haute. La solution actuellement retenue pour l'arrivée et la sortie du Mont à la porte de l'Avancée consiste à construire un terre-plein d'une hauteur de 7,30 mètres, soit près de 80 centimètres au-dessus du niveau actuel. Ce terre-plein obstruerait la vue des visiteurs à la sortie du Mont. Il supposerait des aménagements coûteux.
Les impératifs de « sécurité maximum » avancés pour le justifier doivent aujourd'hui être réexaminés à la lumière des évolutions techniques les plus récentes. Le projet du gué se heurte d'ailleurs à l'opposition de nombreux acteurs et partenaires du projet, notamment des architectes et les associations de défense du Mont-Saint-Michel. Sa réalisation entraînerait une dénaturation irréversible du site. Une profonde tranchée devrait être creusée dans le rocher, qui se prolongerait à l'intérieur même du Mont. Cette cote de 7,30 mètres limiterait aussi très fortement le caractère insulaire du site, qui ne serait effectif que de 40 à 60 heures par an, de surcroît à des heures de faible fréquentation, le matin et le soir, essentiellement fin mars et fin septembre. Une construction de cette hauteur équivaudrait à maintenir une digue totalement insubmersible qui, en surplomb de l'accès au Mont, empêcherait d'admirer la Baie à l'est quand on est à l'ouest et réciproquement. Cela serait incohérent avec l'objectif de rétablissement du caractère maritime du deuxième monument le plus visité de notre pays. Ce site étant exceptionnel, il convient d'être particulièrement exigeant pour son environnement, comme on a su l'être en empêchant l'installation d'éoliennes dans la Baie.
De même, sur le plan de la sécurité, cette cote de 7,30 mètres a été déterminée par des études conduites en 2002 prenant en considération les caractéristiques des véhicules d'intervention de l'époque. Or, depuis cette date, les moyens de sécurité sur le site ont été substantiellement améliorés, notamment par la création d'une piste de décollage et d'atterrissage d'hélicoptères et plus récemment par l'apport d'engins amphibies. De plus, même à la cote de 7,30 mètres, le terre-plein prévu ne permet pas aux services de sécurité d'atteindre la porte de l'Avancée en cas de tempête par très grande marée.
Au vu de ces arguments, il lui demande envisage de réaliser une étude alternative pour rechercher une solution qui permettrait de concilier sécurité et esthétique.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 22/05/2013
Réponse apportée en séance publique le 21/05/2013
M. Philippe Bas. Ma question concerne le Mont-Saint-Michel, où un projet très important est envisagé depuis maintenant de nombreuses années, qui consiste à rétablir le caractère maritime du site.
Pour ce faire, la digue-route qui a été construite au xixe siècle sera supprimée et remplacée par une passerelle qui ne fera pas obstacle au passage des flots. Ainsi, le Mont-Saint-Michel retrouvera effectivement son caractère insulaire.
Ce beau projet, qui concerne un élément du patrimoine universel que notre pays a en dépôt, est malheureusement quelque peu terni par la construction d'un gué à la sortie du Mont-Saint-Michel, qui atteindra une hauteur de 7,30 mètres. Naturellement, quand on arrivera sur le site, on ne verra que le Mont-Saint-Michel. Mais quand on en ressortira, on aura face à soi une sorte de barrière de béton constituée par ce gué, qui défigurera donc les abords de l'abbaye.
Pourquoi le construire ? On invoque des impératifs majeurs de sécurité et d'évacuation des visiteurs si, à marée haute, l'un d'entre eux a besoin de secours urgents. Cette raison justifierait, du point de vue de l'administration, dont je reconnais qu'il a été constant jusqu'à présent, de pouvoir évacuer des visiteurs à sec, par ce gué, sur lequel pourront se poser des hélicoptères.
Les associations de défense du site, de nombreux architectes et la population familière du Mont, héritière de celle qui a accompagné la vie de l'abbaye au long des siècles, considèrent que ces arguments de sécurité méritent aujourd'hui d'être réexaminés.
Ma question n'a pas pour objet de demander que l'on renonce immédiatement à la construction de ce gué, quand bien même il défigurerait pendant des décennies les abords du site. Il s'agit de faire part au Gouvernement de notre souhait qu'une étude soit conduite pour essayer de mettre en place des solutions de remplacement qui répondraient autant que ce gué aux exigences de sécurité des visiteurs, mais qui n'auraient pas l'inconvénient de défigurer le site.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser l'absence de ma collègue Aurélie Filippetti, qui regrette profondément de ne pas pouvoir répondre personnellement à cette question essentielle, sur laquelle elle a tenu à se pencher dans les plus brefs délais. En effet, elle a répondu le 25 octobre dernier à votre courrier du 18 octobre 2012. Elle a donc fait diligence et pris des dispositions pour que l'objet de votre question soit étudié avec la plus grande rigueur. Elle m'a chargée de vous transmettre les éléments suivants.
Depuis plus de dix ans, l'État met avec constance en avant un objectif de sécurité des visiteurs et des personnes qui travaillent ou habitent sur le Mont.
Comme vous l'avez indiqué, témoignant ainsi de la connaissance précise que vous avez du site, le projet de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel prévoit la suppression des parkings situés au pied du rocher et de la digue-route reliant celui-ci au continent de manière permanente, ouvrage qui serait remplacé par un pont-passerelle prolongé par une jetée. Il est prévu un terre-plein d'accès qui accueillera les visiteurs arrivant du continent par des navettes ou à pied.
Le ministère de la culture et de la communication vous indiquait dans son courrier qu'il envisageait de solliciter un nouvel arbitrage quant à la hauteur du gué, afin de déterminer s'il était possible de limiter l'impact visuel du terre-plein.
Le 5 décembre 2012, s'est tenue une réunion interministérielle à l'issue de laquelle la cote de 7,30 mètres a été confirmée par le Premier ministre. Cette hauteur constitue en effet un compromis entre les considérations de sécurité et la dimension esthétique.
Selon les expertises effectuées en matière de sécurité, tout nouvel abaissement de la cote aurait pour effet d'augmenter la durée d'insularité du Mont, insularité qui serait également plus fréquente et, de surcroît, se produirait lors de périodes de grande fréquentation touristique.
Les moyens de secours que vous évoquez sont performants en période normale, mais il faut tenir compte des situations dégradées. Ainsi, ni les véhicules amphibies ni un hélicoptère ne pourraient, toujours selon ces expertises, procéder à une évacuation de masse en période d'insularité. La prise en compte de ce risque a donc justifié le maintien de la cote de 7,30 mètres.
Mme la ministre de la culture me prie de vous faire savoir qu'elle n'est nullement insensible à l'aspect esthétique des abords du Mont. Personnellement, j'y suis aussi particulièrement attachée, tout comme l'est, je n'en doute pas, M. le ministre de l'éducation nationale. (M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale, acquiesce.)
Nous aurions aimé pouvoir vous satisfaire en abaissant la hauteur de la digue. Vous la souhaiteriez, me semble-t-il, à 6,70 mètres.
M. Philippe Bas. Plus bas encore ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quoi qu'il en soit, je suis sûre que vous partagez nos préoccupations en matière de sécurité.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Votre réponse, madame la ministre, ne me surprend pas. En vérité, nous aurions souhaité, comme nous l'avons demandé à de nombreuses reprises, que les expertises ne soient pas toujours conduites par les mêmes, c'est-à-dire par l'administration, qui n'a aucune raison de se déjuger depuis maintenant plus de dix ans qu'un arbitrage dans le sens que vous avez indiqué a été rendu.
En posant de nouveau cette question, j'étais animé par le souci de convaincre le Gouvernement de donner un caractère plus objectif à sa réponse, que nous percevons un peu comme une réponse d'autorité, en voulant bien confier à une commission indépendante le soin de réexaminer la question en cause.
Bien entendu, aucun d'entre nous ne souhaite prendre le moindre risque en matière de sécurité. Pour autant, les conséquences d'ordre esthétique de l'édification du terre-plein prévu sont tellement graves que la construction de ce gué nous paraît mériter, à tout le moins, un examen complémentaire avant le lancement des travaux, qui est maintenant imminent.
Madame la garde des sceaux, je suis sûr que vous relaierez ma préoccupation auprès de Mme la ministre de la culture, dont c'est la mission de préserver ce joyau du patrimoine universel.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J'y veillerai, monsieur le sénateur.
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