Question de Mme GILLOT Dominique (Val-d'Oise - SOC) publiée le 02/08/2012

Mme Dominique Gillot attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la menace que représente le recours à la commande publique que l'administration pénitentiaire et ses services déconcentrés se préparent à mettre en place pour la mesure de placement à l'extérieur (PE). Cette mesure a fait ses preuves en termes d'insertion des sortants de prison. En s'engageant dans la voie de l'ouverture au secteur marchand des aménagements de peine et plus particulièrement du placement à l'extérieur, l'administration pénitentiaire prend le risque de déconstruire un outil pertinent en matière de prévention de la délinquance.

Historiquement, le placement à l'extérieur a été développé par les associations dans le cadre d'un partenariat avec l'administration pénitentiaire qui reconnaît elle-même encore aujourd'hui que la réussite du dispositif repose très largement sur le savoir-faire des associations qui en ont la charge, leur implantation locale et les réseaux qu'elles ont pu constituer.

Dans le département du Val-d'Oise, de 150 à 200 personnes sont accueillies chaque année par deux associations dans le cadre de cette mesure qui non seulement présente l'intérêt d'être moins onéreuse qu'une place en détention, mais qui intrinsèquement constitue un outil de prévention de la récidive grâce à l'accompagnement global proposé. En ce sens, cette mesure, en permettant d'éviter les « sorties sèches » des personnes condamnées s'inscrit dans les préoccupations formulées par les associations de victimes.

Depuis août 2008, l'administration pénitentiaire et ses services déconcentrés, invoquant un certain nombre de critères discutables, souhaite s'engager dans une réforme du mode de contractualisation de la mesure de PE, en dehors de toute concertation, et en favorisant le recours aux marchés publics pour attribuer dans le cadre d'une mise en concurrence une mesure conjuguant un caractère social et d'utilité publique.

Face à cette évolution les fédérations nationales concernées par la mesure de PE se sont unies et une action coordonnée par l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) a abouti à une rencontre, le 25 octobre 2011, auprès de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances (direction compétente pour donner des avis sur les modes de contractualisation). Au cours de cette rencontre un grand nombre de points techniques sont restés en suspens, et malgré cela, l'administration pénitentiaire poursuit sa démarche, comme en atteste une note de la direction de l'administration pénitentiaire du 13 mars 2012.

Si un certain nombre d'éléments techniques viennent alimenter ce débat, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, seules des orientations politiques fortes peuvent permettre de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons. Des choix doivent être opérés dans le respect de l'intérêt général et s'orienter vers la marchandisation de la mesure de placement à l'extérieur constituerait un risque majeur pour les justiciables et pour l'ensemble de la politique de prévention de la délinquance. Le PE est une mesure dont le caractère éminemment social ne doit pas permettre d'envisager une contractualisation par le biais d'un marché public qui nuirait très fortement aux éléments fondamentaux de la mesure (relation de partenariat forte, souplesse de la mesure, notion de parcours, hébergement...)

Au regard de ces éléments, elle lui demande d'adopter un moratoire sur le mode de contractualisation envisagé dans l'attente de l'instauration d'un groupe de travail qui aura pour mission de déterminer les modalités de contractualisation propres au placement à l'extérieur.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 27/12/2012

Par sa circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, la garde des sceaux, ministre de la justice, a montré l'attachement qu'elle portait au développement des aménagements de peines, et notamment à cette mesure d'accompagnement global que constitue le placement à l'extérieur. Cette mesure comprend en effet un hébergement, en général dans un foyer du type centre d'hébergement de réinsertion sociale (CHRS), parfois dans un établissement spécialement conçu qui n'accueille que des condamnés, et un encadrement socio-éducatif mis en œuvre par les travailleurs sociaux de l'association gestionnaire, en lien avec le SPIP. Elle a pour objet de favoriser l'insertion sociale, comprend une aide à la recherche d'emploi, propose parfois un emploi, et permet une incitation aux soins selon les cas, et ce, hors détention. C'est la raison pour laquelle la garde des sceaux a tenu à maintenir le budget alloué au financement des placements à l'extérieur en 2013. Actuellement, l'administration, au niveau local (direction interrégionale ou directeur départemental), conventionne avec des organismes, sur la base d'un nombre de places et d'un prix de journée, qui s'ajoute souvent à une dotation globale de fonctionnement quand il s'agit de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Ces prestations et leur coût ont été définis sur la base d'un travail sur les « cahiers des charges » effectués ces dernières années avec les deux grandes fédérations d'associations qui mettent en œuvre ces mesures : Citoyen et Justice, d'une part, et la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) d'autre part. En l'état du recensement, sur 151 organismes conventionnés, tous sont des associations, dont une est une émanation du groupe SODEXO et un seul n'est pas une association, la société GEPSA. Tous deux sont cocontractants de l'administration pénitentiaire dans les établissements pénitentiaires en gestion déléguée. Jusqu'à présent, le financement de ces mesures était donc réalisé de façon « classique », sur la base de conventions avec les associations. En décembre 2011, le ministère de l'économie et des finances a toutefois fait savoir à l'administration pénitentiaire que « les activités des associations socio-judiciaires dans le cadre du placement à l'extérieur de détenus » relevaient du code des marchés publics, estimant que ces associations sont des « opérateurs économiques publics ou privés », organismes obligatoirement soumis au code des marchés publics, sur la base d'une jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et du Conseil d'État relative à la définition de ces opérateurs, résultant de la directive du 31 mars 2004 « relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ». Les associations et fédérations d'associations - seuls opérateurs qui aujourd'hui mettent en œuvre les placements à l'extérieur - contestent cette interprétation de la jurisprudence, et juridiquement, estiment que cette activité ne relève pas obligatoirement du code des marchés public. Le précédent garde des sceaux avait néanmoins demandé à l'administration pénitentiaire de travailler à la mise en œuvre d'appels à projets conformément au code des marchés publics. Une seule expérimentation a été menée, dans l'Isère, qui a été interrompue du fait de difficultés extérieures à cette problématique. À la demande de la garde des sceaux, ministre de la justice, les services de l'administration pénitentiaire procèdent à une nouvelle étude des modes de financements possibles de cette mesure. Elle souhaite notamment que les avantages et les inconvénients de chacune des modalités de financement soient identifiés. En effet, la mesure de placement à l'extérieur a été historiquement portée par le secteur associatif qui a développé une expertise importante en la matière. En outre, l'intervention de ces associations sur l'ensemble du champ de la prise en charge tant de publics concernés par des procédures judiciaires que de publics relevant de dispositifs de droit commun concourt à la mise en œuvre de compétences professionnelles élargies. La mixité des publics dans nombre des établissements est aussi un facteur favorisant l'insertion par le retour au droit commun. Enfin, de façon générale, la présence d'associations concourant à la mission de service public de la justice sur le champ de l'exécution des peines est le gage du maintien d'une intervention citoyenne, parfois bénévole, que la ministre estime essentielle à notre société. La question de la récidive et de la réinsertion des condamnés qui se sont acquittés de leur dette ne doit pas être du ressort de la seule administration et de prestataires de services du secteur privé. Dans l'hypothèse où la procédure de marché public serait juridiquement incontournable, la garde des sceaux a demandé à ses services de travailler aux conditions de sa mise en œuvre, et notamment aux contenus des appels d'offres. En effet, les critères de sélection des offres étant élaborés par le pouvoir adjudicateur, la compétence des prestataires en matière de suivi et d'accompagnement des personnes devrait être particulièrement valorisée. Les associations pourraient alors faire valoir leur savoir-faire spécifique au sein de leurs offres.

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