Question de M. LECONTE Jean-Yves (Français établis hors de France - SOC) publiée le 26/07/2012
M. Jean-Yves Leconte attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la reconnaissance de la nationalité française par filiation dès lors que les ascendants des intéressés nés sur le territoire algérien se sont mariés « religieusement devant le cadi ».
En effet, depuis 2003, de nombreuses décisions de rejets de délivrance de certificats de nationalité française sont uniquement motivées par le fait que le mariage de l'ascendant français (parents, grands-parents, arrières grands- parents voire arrière arrière grands-parents) a été célébré, entre 1880 et 1960, devant le cadi et non pas devant un officier d'état civil.
Le cadi est un dignitaire religieux, nommé par l'administration, qui était investi du pouvoir de célébrer les mariages entre des personnes de confession musulmane. La loi de 1882 lui imposait de veiller à l'inscription de ces unions sur les registres de l'état civil. Cette ambiguïté a sans doute induit en erreur un certain nombre de personnes qui pensaient, en toute bonne foi, être en conformité avec les lois. De tels mariages continuent à produire leurs effets à l'égard des époux et de leurs enfants.
Pourtant à partir de 2003, le bureau de la nationalité en a tiré la conclusion que ces personnes avaient ainsi choisi de se soumettre au droit coranique et non pas au statut de droit commun. Dès lors, les filiations successives qui découlent de ce mariage n'existeraient plus et par voie de conséquence la nationalité française pour leurs descendants. L'opportunité de ne pas reconnaître ces mariages est récente et on assiste à des situations ubuesques où, au sein d'une même famille, un membre s'est vu établir son certificat de nationalité française en raison de sa filiation avec un ascendant français de statut de droit commun alors que son frère ou sa sœur se voit rejeter sa propre demande, parce que cette même filiation est contestée, alors même que ce dernier est immatriculé au consulat de France en Algérie, possède sa carte nationale d'identité, son passeport français.
Cette interprétation du droit a été infirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 4 décembre 2008 considérant qu'il n'y avait pas d'incidence sur l'établissement du lien de filiation si le mariage avait été célébré devant le cadi et non pas devant le maire. Trois décisions du 6 juillet 2011 de la première chambre civile de la Cour de cassation ont confirmé cette jurisprudence en affirmant que la célébration des mariages respectifs d'un père et d'un fils devant un cadi, et non devant un officier d'état civil, ceux-ci fussent-ils nuls, est sans incidence sur la transmission de ce statut de droit commun à leurs enfants et qu'en l'absence de dispositions expresses, le mariage traditionnel d'une personne de statut civil de droit commun ne lui fait pas perdre le bénéfice de ce statut qu'elle transmet à ses enfants. Cela fait suite à une décision de cette même chambre du 8 juillet 2010 qui affirmait que la filiation était établie dès lors que la désignation de la mère en cette qualité dans l'acte de naissance est suffisante pour établir la filiation maternelle.
En outre, c'est seulement depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration que les mariages célébrés à Mayotte doivent être faits par un officier d'état civil et non plus devant le cadi. Toutefois, subsiste la reconnaissance de la filiation et de ses effets en matière de nationalité pour les personnes issus de mariages célébrés devant le cadi.
Il lui demande de bien vouloir abroger cette instruction de 2003 et, conformément à notre jurisprudence la plus récente, de revenir à une interprétation plus juste et adaptée quant à la reconnaissance des mariages célébrés sur le territoire algérien avant l'indépendance de ce pays dans ses effets sur la filiation et la nationalité.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 26/09/2012
Réponse apportée en séance publique le 25/09/2012
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la reconnaissance de la nationalité française par filiation dès lors que les ascendants des intéressés sont nés sur le territoire algérien et se sont mariés devant le cadi.
En effet, à partir de 2003, de nombreuses décisions de refus de délivrance de certificat de nationalité française ont été uniquement motivées par le fait que le mariage des ascendants français - parents, grands-parents, bisaïeuls, voire trisaïeuls - a été célébré, entre 1880 et 1960, devant le cadi et non devant un officier d'état civil.
Le cadi était un dignitaire religieux nommé par l'administration et investi du pouvoir de célébrer les mariages entre des personnes de confession musulmane. La loi de 1882 lui imposait de veiller à l'inscription de ces unions sur les registres de l'état civil. Cette ambiguïté a sans doute induit en erreur un certain nombre de personnes qui pensaient, en toute bonne foi, être en conformité avec les lois. De tels mariages continuent à produire leurs effets à l'égard des époux et de leurs enfants en matière de filiation, de succession, etc.
Pourtant, à partir de 2003, les services du bureau de la nationalité ont estimé que ces personnes avaient ainsi choisi de se soumettre au droit coranique et non au statut de droit commun. Dès lors, les filiations successives découlant de ce mariage n'existeraient plus, ce qui entraîne, par voie de conséquence, l'absence de reconnaissance de la nationalité française pour les descendants.
Ce brutal refus de reconnaissance de tels mariages conduit à des situations ubuesques : au sein d'une même famille, une personne a pu se voir établir un certificat de nationalité française en raison de sa filiation avec un ascendant Français de statut de droit commun, tandis que la demande formée ultérieurement par son frère ou sa sur est rejetée alors qu'il est immatriculé au consulat de France en Algérie et détient une carte nationale d'identité et un passeport français.
Cette interprétation du droit faite par le bureau de la nationalité en 2003 a été infirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 4 décembre 2008 selon lequel il n'y avait pas d'incidence sur l'établissement du lien de filiation si le mariage avait été célébré devant le cadi, et non devant le maire.
Trois décisions en date du 6 juillet 2011 de la première chambre civile de la Cour de cassation ont confirmé cette jurisprudence. Aux termes de la première de ces décisions, la célébration des mariages respectifs d'un père et d'un fils devant un cadi, et non devant un officier d'état civil, ceux-ci fussent-ils nuls, est sans incidence sur la transmission du statut de droit commun et donc de la nationalité française aux enfants. Aux termes des deux autres décisions, en l'absence de dispositions expresses, le mariage traditionnel d'une personne de statut civil de droit commun ne lui fait pas perdre le bénéfice de ce statut, qu'elle transmet à ses enfants. Ces décisions font suite à une autre de cette même chambre, en date du 8 juillet 2010, selon laquelle la filiation est établie dès lors que la désignation de la mère en cette qualité dans l'acte de naissance est suffisante pour établir la filiation maternelle.
En outre, c'est seulement depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration que les mariages à Mayotte doivent être célébrés par un officier d'état civil et non plus devant le cadi. Toutefois, subsiste la reconnaissance de la filiation et de ses effets en matière de nationalité pour les personnes issues de mariages célébrés devant le cadi.
J'aimerais savoir, madame la ministre, si, conformément à notre jurisprudence et comme l'avait laissé entendre le précédent gouvernement sans jamais nous en donner confirmation, cette instruction de 2003 a bien été abrogée afin de revenir à une interprétation plus juste et adaptée quant à la reconnaissance des mariages célébrés sur le territoire algérien avant l'indépendance du pays, dans ses effets sur la filiation et la nationalité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous avez excellemment exposé cette importante question des conditions de conservation et de transmission du statut civil de droit commun aux descendants d'une personne admise en Algérie à la qualité de citoyen français par décret ou par jugement.
La question est importante dans la mesure où, lors de l'indépendance de l'Algérie, seules les personnes détenant ce statut civil de droit commun ont conservé de plein droit la nationalité française. En revanche, les personnes qui relevaient du statut civil de droit local perdaient cette nationalité, sauf à souscrire une déclaration de reconnaissance de nationalité française.
La coexistence de ces deux statuts, celle des institutions républicaines avec des structures traditionnelles sont au cur du problème.
Nous ne pouvons accepter que, aujourd'hui, deux ou trois générations plus tard, des personnes subissent les conséquences d'une relative imprécision administrative, et surtout d'une inconstance bureaucratique amenant à traiter différemment des situations absolument identiques.
J'ai donc fait procéder à des vérifications. Comme vous l'indiquez, monsieur le sénateur, depuis 2003, le bureau de la nationalité du ministère de la justice exigeait que lui soit présenté un acte de mariage célébré devant l'officier d'état civil et considérait à tort qu'un mariage célébré devant le cadi interrompait la chaîne de filiation. En décembre 2008, un arrêt de la cour d'appel de Paris a clairement infirmé cette interprétation. Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation en juillet 2011 : elle a jugé que le mariage cadial ne faisait pas perdre le statut civil de droit commun et n'empêchait pas sa transmission aux descendants.
J'ai donc pris toutes dispositions pour que cette jurisprudence soit portée à la connaissance de l'ensemble des juridictions. J'ai demandé, par ailleurs, que l'on me présente l'état des contentieux. Je ne manquerai pas de vous en tenir informé, dans le respect bien entendu de l'anonymat des personnes concernées. En ma qualité de garde des sceaux, je veillerai scrupuleusement au respect du droit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse très précise. Notre tradition républicaine sera dorénavant respectée et je me félicite de votre volonté de revoir les contentieux en cours.
Je profite de la présence à vos côtés de Mme Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, pour demander que le personnel des consulats généraux, en particulier en Algérie, se mobilise afin d'identifier les personnes qui, à partir de 2003, n'ont pu obtenir la reconnaissance de leur nationalité française et avaient renoncé à introduire un recours. Ainsi, les erreurs commises pourront être réparées.
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