Question de M. LENOIR Jean-Claude (Orne - UMP) publiée le 05/07/2012
M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les difficultés d'ordre juridique qui peuvent survenir dans les communes rurales à l'occasion de la création d'une zone de développement de l'éolien (ZDE).
L'article 10-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 prévoit que les ZDE sont proposées par la ou les communes dont le territoire est compris dans le périmètre proposé. Dans l'hypothèse où la proposition émane d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), l'accord des communes membres doit être obtenu dès lors que le périmètre proposé concerne leur territoire. Seul le conseil municipal des communes concernées est compétent pour donner cet accord. Or, au stade de l'approbation du périmètre du projet de ZDE, les élus ignorent si le territoire de leur commune sera retenu et a fortiori quelle partie de ce territoire sera effectivement retenue au terme de la procédure de création de la ZDE. Ils ignorent à plus forte raison sur quels terrains un projet de construction d'éolienne pourra être déposé ultérieurement. Plusieurs membres des conseils municipaux concernés peuvent donc être propriétaires de terrains sur lesquels un projet éolien est potentiellement susceptible d'être déposé le moment venu.
Cette situation soulève une question d'ordre juridique qui est de savoir si des précautions doivent être prises, au stade de l'approbation du périmètre du projet de ZDE, afin d'éviter qu'un élu propriétaire d'un terrain susceptible de faire par la suite l'objet d'un projet éolien puisse éventuellement se voir reprocher une prise illégale d'intérêt. Cette question se pose avec une acuité toute particulière dans les petites communes, où le nombre d'élus susceptibles d'être concernés par cette situation peut être important.
Il souhaiterait connaître le point de vue des pouvoirs publics sur ce sujet et les dispositions qui pourraient être prises en vue de clarifier la situation afin d'éviter que ce problème ne mette injustement certains élus en difficulté.
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Réponse du Ministère chargé des transports, de la mer et de la pêche publiée le 25/07/2012
Réponse apportée en séance publique le 24/07/2012
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre délégué, ma question prolonge le débat que vient d'ouvrir mon collègue François Patriat, mais sur un autre registre.
Comme vous le savez, la loi du 10 février 2000 définit la procédure permettant l'implantation d'éoliennes sur notre territoire, notamment avec la création de zones de développement de l'éolien. Cette création est décidée soit sur l'initiative de communes, soit sur l'initiative d'un établissement public de coopération intercommunale, ou EPCI : c'est ce dernier cas qui m'amène à vous interroger.
Que se passe-t-il concrètement ? Les conseils municipaux doivent se prononcer sur l'initiative prise par un EPCI en vue de la création d'une zone de développement de l'éolien. Je ne souhaite pas aborder la question de fond qui a été soulevée par mon collègue François Patriat, à savoir s'il faut encourager ou non le développement de cette énergie, même si j'ai mes convictions sur ce point. J'insiste sur le fait que, lorsqu'un conseil municipal est amené à donner son accord, l'implantation future des éoliennes n'est pas encore connue précisément.
Sur l'initiative d'associations manifestement hostiles au développement de l'éolien, des procédures pénales sont engagées et des plaintes pour prise illégale d'intérêt visent des conseillers municipaux, voire des maires, qui ont participé à un vote sur la création d'une zone de développement de l'éolien. Or, au moment où la question a été posée devant le conseil municipal, il était impossible de savoir à quel endroit précis une éolienne serait implantée. En l'occurrence, ces conseillers municipaux ont participé au vote en toute bonne foi. Dans une phase ultérieure, lorsqu'il s'est agi d'accorder un permis de construire, les élus propriétaires des terrains concernés se sont retirés de la salle du conseil et n'ont pas participé à la délibération, pour éviter précisément de s'exposer à tout soupçon de prise illégale d'intérêt.
Aujourd'hui, dans le département de l'Orne, un certain nombre d'élus vivent une situation embarrassante. Des maires ont été entendus encadrés par des gendarmes : on leur a demandé des explications parce qu'ils avaient participé à la séance au cours de laquelle la création d'une zone de développement de l'éolien avait recueilli l'accord de leur conseil municipal.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous m'indiquiez les mesures que le Gouvernement compte prendre pour modifier la législation et la réglementation actuelles, afin d'éviter que des élus de bonne foi ne se retrouvent dans une telle situation.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur Lenoir, je vous prie à nouveau de bien vouloir excuser l'absence de Mme Delphine Batho pour les raisons que je viens d'indiquer à votre collègue François Patriat.
Je reconnais bien dans votre question l'expertise qui est la vôtre en matière d'énergie, ainsi que votre engagement dans la vie de votre département. Je saisis cette occasion pour saluer celles et ceux qui s'impliquent dans la vie quotidienne des territoires en assumant des responsabilités et en exerçant des mandats locaux, tâche dont la difficulté est grande, particulièrement dans les petites communes rurales. Vous m'interrogez sur la spécificité de la réglementation entourant l'implantation d'éoliennes sur nos territoires, dans votre département comme ailleurs en France.
Comme vous le mentionnez très justement, l'article 10-1 de la loi du 10 février 2000 prévoit que la création des zones de développement de l'éolien, ou ZDE, est proposée par la ou les communes dont le territoire est compris dans le périmètre déterminé. La délibération des conseils municipaux concernés doit notamment être fournie dans le dossier de demande de création.
L'implantation en ZDE constitue aujourd'hui une condition nécessaire pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat. La création préalable d'une ZDE est donc un élément clé pour la viabilité d'un projet éolien terrestre, bien que cette création ne préjuge en rien - vous l'avez souligné dans votre question, monsieur le sénateur - de l'implantation effective future d'éoliennes.
Vous avez également raison en affirmant que des membres de conseils municipaux, notamment en zone rurale, peuvent être propriétaires de terrains potentiellement inclus dans le périmètre de la ZDE demandée. La question de la légalité des délibérations auxquelles aurait pris part un élu local intéressé est alors légitime.
Cela étant, les règles relatives à la participation d'un élu intéressé à l'une des délibérations concourant à la création de la ZDE ne présentent pas de spécificité au regard du droit commun, même si de nombreux recours que l'on peut parfois qualifier d'abusifs - M. Patriat l'a souligné - sont intentés contre ces décisions de création. Il faut donc recourir aux deux conditions traditionnellement retenues par la jurisprudence et par les textes pour déterminer dans quelle mesure la participation d'un élu à une séance du conseil municipal est susceptible d'entacher d'illégalité la délibération : ces conditions sont l'intérêt personnel de l'élu, d'une part, et son influence sur le sens de la délibération, d'autre part.
Je ne vois pas de raison de ne pas appliquer ces règles générales aux délibérations préliminaires à la création d'un parc éolien. Pour répondre à votre question, il convient dès lors de procéder à une analyse au cas par cas.
Concernant la première condition, à savoir l'intérêt personnel de l'élu, la seule circonstance que des conseillers municipaux soient propriétaires de parcelles situées à l'intérieur d'une ZDE ne suffit pas a priori à les considérer comme personnellement intéressés. En effet, au stade de la création de la ZDE, leur intérêt particulier n'est, en général, pas distinct de l'intérêt général des autres habitants de la commune susceptible d'accueillir un parc éolien.
Pour autant, il arrive souvent que, derrière un projet de ZDE, se cache en fait un projet unique de parc éolien avec un opérateur déjà identifié. Dans un tel cas, si les conseillers propriétaires des terrains sont les seuls intéressés, l'analyse peut être différente. Mais telle n'est pas la situation que vous avez évoquée dans votre question, monsieur le sénateur.
Dans l'hypothèse où la condition d'intérêt serait remplie, la participation du conseiller municipal intéressé entacherait d'illégalité la délibération uniquement si sa présence lors de la séance ou des travaux préparatoires a pu avoir une influence sur le vote. La présidence d'un maire intéressé peut, à ce titre, être considérée comme entraînant une présomption d'influence. Mais la seule présence au cours du vote d'un conseiller municipal intéressé ne peut suffire à établir l'illégalité de la délibération se prononçant sur la création de la ZDE. Là encore, chaque cas d'espèce doit être apprécié sereinement et souverainement par la justice : les comptes rendus des débats peuvent notamment éclairer d'un jour particulier tel ou tel dossier.
Plus généralement, la question que vous soulevez est révélatrice de la complexité du cadre législatif et réglementaire qui entoure le développement de l'éolien en France.
En tant qu'énergie renouvelable parmi les moins coûteuses, la filière éolienne doit constituer le socle qui nous permettra d'atteindre les objectifs ambitieux de développement des énergies renouvelables et de réussir la transition énergétique.
Compte tenu du retard pris par rapport aux objectifs fixés par le « paquet énergie-climat » et le Grenelle de l'environnement - je vous rappelle que nous n'avons pour l'instant accompli que le tiers de l'effort à consentir d'ici à 2020 -, il est urgent de réexaminer la réglementation et les problèmes d'acceptabilité locale liés au développement de l'éolien, en étudiant notamment les pistes suggérées par François Patriat. Nous le ferons lors du débat sur la transition énergétique qui sera lancé à l'automne prochain, au terme de la conférence environnementale. Nous vous remercions par avance de bien vouloir vous associer à ce débat sur la nécessaire simplification qui nous permettra d'atteindre nos objectifs.
L'éolien doit se développer dans les meilleures conditions de sécurité juridique, qu'il s'agisse du développement des projets ou de la situation des élus qui, dans ce domaine comme dans tous les autres, prennent leurs responsabilités et répondent aux attentes de nos concitoyens ainsi qu'aux orientations politiques fixées par le Gouvernement : il est donc important que nous puissions sécuriser leur intervention dans la vie publique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, j'ai été particulièrement sensible aux propos que vous venez de tenir. Ceux-ci ne me surprennent pas : nous nous sommes connus dans une autre assemblée et j'apprécie votre courtoisie. Vous avez eu des mots particulièrement chaleureux pour l'action des élus locaux sur nos territoires ruraux. Ces élus sont tout à fait exemplaires et je suis sûr qu'ils apprécieront l'échange auquel nous participons l'un et l'autre.
Comme vous le soulignez, dans un territoire rural, on s'aperçoit que la plupart des élus siégeant dans un conseil municipal peuvent être concernés par un projet de zone de développement de l'éolien. J'ai remarqué, pour l'avoir recensé, que, dans la majeure partie des communes, les deux tiers des conseillers municipaux sont propriétaires de parcelles susceptibles d'être concernées par l'implantation d'une zone de développement de l'éolien. Certains ne participent pas à la séance du conseil municipal consacrée à la décision d'implanter une telle zone, mais il se pose alors un problème de quorum. On nous répond que l'affaire peut-être renvoyée à la fois suivante, mais ces façons d'agir ne sont guère rationnelles.
Vous avez évoqué des questions réglementaires et législatives liées au développement de l'éolien. Saisissant l'occasion qui m'est donnée par cette question orale et sachant que vous transmettrez mes observations à votre collègue Mme Delphine Batho, je me permets de souligner qu'il est nécessaire d'entreprendre une réforme des conditions dans lesquelles l'éolien est implanté.
Aujourd'hui, il existe un schéma régional éolien - celui de la Bourgogne a été évoqué tout à l'heure - qui est déjà un dispositif assez lourd, auquel il convient d'ajouter les zones de développement de l'éolien. Enfin, il faut compter avec les IPCE, les installations classées pour la protection de l'environnement. L'ensemble de ce système est extrêmement lourd.
Pour ma part, j'ai le sentiment que tout ce qui concerne la zone de développement de l'éolien est superfétatoire. En disant cela, je ne cherche nullement à favoriser le développement de l'éolien ou, au contraire, à le freiner. Je dis simplement que notre arsenal juridique comprend déjà des outils permettant de vérifier que l'implantation des éoliennes peut être assurée sans préjudice pour les populations. Sans influencer d'une façon ou d'une autre le développement de la filière éolienne, un vaste chantier est ouvert.
Je terminerai en ayant une pensée pour les élus, pour les maires qui sont entendus, encadrés par des gendarmes, ceux-ci n'étant d'ailleurs pas en cause. Les problèmes posés sur nos territoires sont évidemment très lourds. J'exprime ici très vivement le souhait, monsieur le ministre, que le cas de ces élus, de ces maires soit étudié avec beaucoup d'attention. Vous avez dit qu'ils le seraient au cas par cas. J'insiste pour que l'incertitude juridique qui pèse sur eux, le pénal étant aujourd'hui au centre du débat, puisse être levée.
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