Question de Mme CAMPION Claire-Lise (Essonne - SOC-EELVr) publiée le 29/12/2011
Mme Claire-Lise Campion attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale sur l'accueil des mineurs étrangers isolés.
Cette question relève largement de la compétence de l'État. Mais, faute de dispositif d'accueil que l'État devrait mettre en place en amont des établissements de protection de l'enfance, ce sont des structures de droit commun de l'aide sociale à l'enfance des départements qui sont conduites à prendre en charge ces mineurs. Cette prise en charge devient insupportable matériellement et financièrement pour ces collectivités. En l'espace d'une année, le nombre de MEI a progressé de plus de 50 % pour son département. Les pavillons d'accueil d'urgence ne peuvent plus faire face et ne peuvent plus assurer des conditions d'accueil de qualité.
L'une des quarante propositions faites dans le rapport de 2010 de Mme Isabelle Debré repose sur la création au sein du fonds de financement de la protection de l'enfance d'un fonds d'intervention destiné aux départements particulièrement confrontés à l'accueil de mineurs isolés étrangers. Il est proposé également de mettre en place des plateformes opérationnelles territoriales pour coordonner les actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. Enfin le rapport insiste sur la nécessité d'harmoniser et de rendre plus lisibles les pratiques en créant et diffusant des référentiels, en formant les intervenants et en coordonnant les actions entre les différents partenaires.
Soutenant ces propositions, et face à l'urgence de la situation, elle lui demande si elle entend prendre des mesures qui vont dans ce sens.
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Transmise au Ministère de la justice et des libertés
Réponse du Secrétariat d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation publiée le 22/02/2012
Réponse apportée en séance publique le 21/02/2012
Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la question n° 1547, transmise à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer l'attention de M. le garde des sceaux sur l'accueil des mineurs étrangers isolés.
Sur cette question, qui relève largement de la compétence de l'État, les solutions sont connues. Elles ont été avancées en mai 2010 dans le rapport de notre collègue Isabelle Debré. Mais, sur ce sujet, le Gouvernement a fait le choix d'organiser la répartition des mineurs étrangers isolés sur une vingtaine de départements allant de l'Aisne et des Ardennes jusqu'en Haute-Marne et dans l'Yonne, et ce sans concertation, sans même se préoccuper des capacités et des conditions d'accueil des foyers de ces départements.
Certes, cette répartition sur le territoire correspond bien à l'une des propositions contenues dans le rapport précité. Mais elle impliquait également l'adhésion des départements et s'accompagnait de propositions de financement que le Gouvernement a bien évidemment omis de mettre en uvre.
La difficulté a donc été déplacée sans qu'on se soucie ni des conséquences pour les départements ni même des conséquences vis-à-vis des mineurs eux-mêmes. Se contenter de faire déposer par taxi ces derniers aux portes d'un foyer de l'enfance avec, pour seul bagage, la sécheresse d'une ordonnance de placement d'un juge n'est pas un comportement digne de l'idée que je me fais d'un État défenseur des droits de l'homme !
Ces prises en charge imposées aux départements, qui s'ajoutent aux mineurs étrangers isolés déjà accueillis sur le territoire de ces derniers, deviennent insupportables tant matériellement que financièrement pour les collectivités concernées.
En l'espace d'une année, le nombre de mineurs étrangers isolés a progressé de plus de 50 % pour le seul département de l'Essonne dont je suis l'élue. Les pavillons d'accueil d'urgence ne peuvent plus faire face et assurer leurs missions dans de bonnes conditions.
L'une des quarante propositions contenues dans le rapport rendu en 2010 par Isabelle Debré repose sur la création, au sein du fonds de financement de la protection de l'enfance, d'un fonds d'intervention destiné aux départements particulièrement confrontés à l'accueil de mineurs étrangers isolés.
Par ailleurs, l'article L. 228-5 du code d'action sociale et des familles dispose qu'« une convention signée entre le représentant de l'État dans le département et le président du conseil général fixe les conditions dans lesquelles les mineurs accueillis sur le territoire national à la suite d'une décision gouvernementale prise pour tenir compte de situations exceptionnelles sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance. Les dépenses en résultant pour le département sont intégralement remboursées par l'État. »
Au regard des décisions prises par l'État, j'ai donc deux questions à poser à M. le garde des sceaux : quelles consignes ont-elles été données aux préfets pour mettre en uvre dans les départements concernés la convention prévue dans cet article L. 228-5 ? Quels crédits ont-ils été prévus à cet effet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Madame Campion, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. Maurice Leroy, qui ne peut être présent ce matin au Sénat.
Permettez-moi de regretter le ton polémique de votre question sur un sujet qui devrait nous rassembler !
Vous avez cité l'excellent rapport d'Isabelle Debré, dont il a bien évidemment été tenu compte dans l'action du Gouvernement, comme vous l'avez d'ailleurs laissé entendre.
Je ne veux pas entrer dans la polémique que vous essayez aujourd'hui de nourrir, même si je brûle de vous rappeler que nous avons en la matière, vous et nous, une conception extrêmement différente de l'action publique ! J'ai en effet entendu un candidat dont vous êtes proche, François Hollande, parler de « camps » au sujet des roms.
Notre action est au contraire au service de l'humain. Et je vais vous montrer comment le Gouvernement gère au quotidien, sous l'autorité du garde des sceaux, cette situation difficile. Cette dernière est en effet difficile pour tout le monde, pour les associations, pour les collectivités locales, pour l'État, comme pour les personnes.
Les textes législatifs donnent aujourd'hui clairement compétence aux départements - vous l'avez sans doute oublié, madame le sénateur... - pour assurer la prise en charge des mineurs isolés étrangers, ces jeunes relevant bien du droit commun de la protection de l'enfance au sens de l'article L.112-3 du code de l'action sociale et des familles.
Toutefois, la charge financière qui en découle pèse de façon très inégale sur les départements. C'est ce qui a conduit à une situation de blocage en Seine-Saint-Denis à l'automne dernier. Face à la décision, contra legem, du président du conseil général de suspendre l'accueil de tout nouveau mineur isolé étranger arrivant dans le département - est-ce une décision que l'on peut qualifier d' « humaine » ? La question peut être posée ! -, le ministère de la justice et des libertés a eu le souci de faire assumer à chacun ses responsabilités. En effet, un élu doté de compétences de par la loi doit assumer ses responsabilités ; c'est la moindre des choses ! Le garde des sceaux a donc mis en place une solution exceptionnelle d'urgence consistant, pour le parquet, à répartir entre les services d'aide sociale à l'enfance d'une vingtaine de départements les mineurs se présentant en Seine-Saint-Denis.
L'État a par ailleurs financé à hauteur de 200 000 euros - contrairement à ce que vous avez dit, des fonds ont donc été débloqués - le pôle d'évaluation géré dans ce département par la Croix-Rouge et finance toujours le transport des mineurs placés par le parquet du tribunal de grande instance de Bobigny en dehors du département.
De tels pôles d'évaluation ont vocation à s'assurer que les jeunes qui se présentent sont bien des mineurs, plus spécifiquement des mineurs isolés en danger et susceptibles, de ce fait, de bénéficier d'une prise en charge. L'expérience montre en effet qu'une proportion importante des jeunes qui se présentent - de 40 à 60 % selon les départements - ne sont pas mineurs ou ne sont pas en situation d'isolement sur le territoire français. C'est donc là une première démarche, évidemment nécessaire, et qu'il faut sans doute étendre.
Sur l'ensemble de ces questions difficiles, un groupe de travail interministériel a été mis en place en décembre dernier. Piloté par le ministère de la justice et des libertés, il associe les ministères des solidarités et de la cohésion sociale, de l'intérieur, des affaires étrangères et européennes et du budget, ainsi que des représentants de l'Assemblée des départements de France, librement désignés par cette dernière. Plusieurs réunions de ce groupe de travail ont d'ores et déjà permis des discussions constructives, et leurs conclusions seront naturellement portées à la connaissance de la Haute Assemblée dès l'achèvement des travaux.
Madame le sénateur, il y a deux façons d'aborder un dossier aussi sensible sur le plan humain : une façon constructive, en prenant ses responsabilités, et une façon dogmatique, froide, en rejetant la responsabilité sur les autres et en cherchant les polémiques. J'ai choisi d'adopter la première façon, et je regrette que vous ayez opté pour la seconde !
Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous autorise pas à m'accuser de vouloir polémiquer sur pareille question !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Vous venez de le faire !
Mme Claire-Lise Campion. C'est une question douloureuse, c'est une question grave que les départements assument alors qu'elle ne relève pas de leurs compétences, bien que vous affirmiez le contraire ! Ils sont bien obligés de le faire et de ne pas vous laisser à vous seul le volet humain de cette situation ! Je pratique ainsi dans mon département chaque jour avec les services de l'aide sociale à l'enfance de l'Essonne !
En ce qui concerne l'excellence du rapport d'Isabelle Debré, je l'ai soulignée moi-même au début de ma question ; et je regrette que la totalité des préconisations qu'il contient ne soient pas prises en compte de façon plus efficace et réelle par le Gouvernement !
La mise en place de groupes de travail sur la question des filières ou sur la question de l'évaluation des mineurs à leur arrivée sur le territoire national n'est pas du tout du ressort des départements.
Quant à la construction d'un éventuel référentiel des coûts propres à l'accueil et à la prise en charge de ces mineurs étrangers isolés, cela ne correspond absolument pas aux besoins alors que les départements accueillent aujourd'hui plus de 4 000 mineurs étrangers isolés !
Le fonds national de la protection de l'enfance pourrait, conformément à l'une des préconisations de notre collègue Isabelle Debré, être utilisé à cette fin. Or les sommes qui lui ont été allouées sont bien modestes ! Il devait être doté de 150 millions d'euros sur trois ans afin de compenser, pour les départements, les charges induites par la loi. À ce jour, il n'est provisionné que de 40 millions d'euros, aucun crédit n'étant prévu dans la loi de finances pour 2012.
Comprenez donc, monsieur le secrétaire d'État, l'inquiétude réelle des élus face à cette question difficile !
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