Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - CRC) publiée le 24/11/2011
Mme Laurence Cohen interroge M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé sur la réforme en cours de la formation des orthophonistes.
Les orthophonistes sont formés depuis la création officielle de la profession, en 1964, à l'université au sein des facultés de médecine. La formation initiale se déroule depuis 1986 en quatre ans. Depuis deux ans, au sein des deux ministères de tutelle - de la santé et de l'enseignement supérieur -, une réforme de leurs études est en cours pour faire reconnaître un niveau d'études basée sur cinq ans, en Master 2, pour être davantage en adéquation avec les avancées scientifiques.
Les annonces récentes de reconnaître leur formation initiale en master 1 et de créer un métier d'orthophoniste praticien accessible par la poursuite des études en Master 2, ont engendré une véritable opposition et inquiétude chez les professionnels et les futurs professionnels. Premièrement, ces praticiens font valoir, de façon légitime, que le niveau Master 1 ne correspond à aucun grade universitaire, ce qui est donc dévalorisant et pénalisant. Deuxièmement, la création de deux niveaux va démanteler l'unicité de leur profession en créant une orthophonie à deux vitesses.
Ces hommes et ces femmes prennent en charge au quotidien des pathologies extrêmement variées et complexes tels que la dyslexie, la dysphasie, la dysorthographie, la dyscalculie, l'autisme, la surdité, le bégaiement, bref les troubles du langage oral et écrit ainsi que du raisonnement logico-mathématique.
Dans un contexte de tension démographique et de difficultés d'accès aux soins, l'hyperspécialisation de quelques professionnels ne pourra répondre à la demande croissante de la population, de plus en plus concernée par les troubles de la voix, de la parole, du langage et de la communication. La richesse de cette profession réside notamment dans la possibilité de prise en charge du langage dans tous ses états, et ce quel que soit l'âge du patient. Cette réforme de la formation initiale ne respecte pas la méthodologie et la définition du métier validé dans le référentiel de compétences.
Au regard de ces éléments, elle souhaite savoir comment il entend répondre à présent aux désaccords et inquiétudes exprimés par toute la profession, et quelles garanties il compte apporter pour préserver l'unicité de cette profession.
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Réponse du Secrétariat d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation publiée le 21/12/2011
Réponse apportée en séance publique le 20/12/2011
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur la réforme en cours de la formation initiale des orthophonistes.
Je pense qu'il ne vous a pas échappé qu'une certaine inquiétude, pour ne pas dire une grande colère, est ressentie par l'ensemble des professionnels.
La profession a obtenu son statut légal par la loi du 10 juillet 1964, qui a institué un diplôme national : le certificat de capacité d'orthophoniste.
Aujourd'hui, la France compte près de 20 000 orthophonistes. Cette profession n'a cessé d'évoluer pour mieux prendre en charge les différentes pathologies dont souffrent les enfants et les adultes dans le domaine du langage et de se complexifier en même temps que la société.
Depuis 1986, la formation initiale se déroule en quatre ans. Depuis deux ans, au sein des deux ministères de tutelle, à savoir le ministère du travail, de l'emploi et de la santé et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, une réforme est en cours pour faire reconnaître un niveau d'études sur cinq ans, correspondant à la délivrance d'un master 2, afin que ces professionnels puissent être davantage en adéquation avec les avancées scientifiques.
Or, contrairement aux revendications légitimes et unanimes des étudiants et des professionnels, le 28 octobre dernier, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez ont annoncé la reconnaissance de leur formation au niveau d'un master 1 et la création d'un métier d'orthophoniste praticien accessible par la poursuite des études en master 2. C'est un non-sens absolu !
Premièrement, de façon tout à fait légitime, ces praticiens font valoir qu'un master 1 ne correspond à aucun grade universitaire, puisque les études supérieures relèvent à présent du système 3-5-8, qui correspond aux niveaux de licence, master et doctorat.
Deuxièmement, la création de deux niveaux va instaurer une scission dans la profession, une hiérarchisation, une orthophonie à deux vitesses, une réduction de fait du champ des compétences d'un certain nombre de ces professionnels.
Comme je l'ai déjà indiqué, les orthophonistes prennent en charge au quotidien des pathologies extrêmement variées et complexes, telles que la dyslexie, la dysphasie, la dysorthographie, l'autisme, la surdité, entre autres, ainsi que des troubles du raisonnement logico-mathématique. Or peut-on classifier les troubles qui nécessiteraient moins de compétences tout en assurant une prise en charge de qualité ?
Dans un contexte de tension démographique et de difficultés d'accès aux soins, l'hyperspécialisation de quelques professionnels ne pourra répondre à la demande croissante de la population, de plus en plus concernée par les troubles de la voix, de la parole, du langage et de la communication. La réforme que souhaite appliquer M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, sous couvert du silence du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ne respecte pas la méthodologie et la définition du métier validé dans le référentiel de compétences.
Au regard de tous ces éléments, comment le Gouvernement entend-il répondre à présent aux désaccords et inquiétudes exprimés par toute la profession ? Quelles garanties compte-t-il lui apporter pour en préserver l'unicité et pour reconnaître le grade de master pour toutes et tous ?
Vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il s'agit non pas de corporatisme, mais d'une question de santé publique, de prévention et de qualité des soins dispensés à de nombreux citoyens et citoyennes. Les orthophonistes sont mobilisés et déterminés à se faire entendre pour eux et leurs patients.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Madame Cohen, le métier d'orthophoniste est particulièrement essentiel pour la société, notamment pour nombre de jeunes. En ma qualité de secrétaire d'État chargé des professions libérales, j'ai eu l'occasion de mesurer le malaise ressenti par de nombreux professionnels, malaise que vous venez d'évoquer. Ce sujet relève de la compétence du ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Bertrand, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence ce matin au Sénat, m'a chargé de vous répondre. Il a la volonté - j'ai pu m'en rendre compte lorsque je lui ai fait part, ainsi qu'à son cabinet, d'un certain nombre d'inquiétudes - de faire avancer le dossier, en association avec les professionnels.
Depuis 2007, le Gouvernement rénove en profondeur les formations paramédicales, pour les mettre au niveau des standards européens. La formation d'orthophoniste bénéficie de cette réforme tout à fait inédite.
Contrairement à ce qui est parfois avancé, la rénovation des formations ne vise pas à allonger les études, qui sont déjà très longues dans notre pays.
La formation actuelle des orthophonistes compte moins de 2 500 heures, stages inclus, étendues sur quatre années, alors que les autres formations approchent, voire dépassent bien souvent, les 4 000 heures.
Concrètement, cette réforme prévoit que la formation des orthophonistes sera enrichie et valorisée au niveau master 1, soit un potentiel de plus de 6 000 heures de formation, travail personnel inclus.
Cela constitue donc, dans l'esprit de Xavier Bertrand, un moyen de mieux valoriser le métier d'orthophoniste, en offrant aux praticiens, grâce à une formation plus intense, des perspectives de progression universitaire d'une ampleur nouvelle. En effet, la formation d'orthophoniste, actuellement assimilée, dans la fonction publique hospitalière, à un niveau bac + 2, sera considérée par les universités, à la suite de cette réforme, comme une formation de niveau bac + 4.
Il n'en demeure pas moins - vous avez souligné cette réalité - que certains estiment que la formation doit être allongée et durer cinq ans minimum, ce qui représente 9 000 heures. Quatre années ne suffiraient-elles plus pour former de bons orthophonistes ? Le ministre de la santé reconnaît les compétences des orthophonistes de notre pays : il sait qu'ils sont déjà de vrais et bons professionnels.
Enfin, concernant les formations complémentaires, j'apporterai quelques précisions : le ministère de la santé a proposé aux orthophonistes que les formations complémentaires qu'ils suivent aujourd'hui soient mieux structurées et fassent l'objet d'une reconnaissance universitaire.
Il n'est nulle part question d'une orthophonie « à deux vitesses ». Dans tous les métiers, les professionnels se forment tout au long de la vie, approfondissent un domaine, se spécialisent ; il n'y a donc pas de raison d'interdire aux orthophonistes d'en faire autant. Xavier Bertrand veut au contraire permettre à ceux qui ont envie de s'inscrire dans un parcours de formation complémentaire d'accéder facilement, durant toute leur carrière, à des formations de niveau master 2 reconnues par les universités.
Il est nécessaire de travailler sur ce sujet. Le ministère de la santé a clairement indiqué sa position aux orthophonistes : si leurs représentants veulent travailler avec le Gouvernement sur cette proposition de formations complémentaires, ce dernier est prêt à travailler avec eux. Mais il ne travaillera pas sans eux.
Ce que je veux simplement vous dire, de la part de Xavier Bertrand, c'est que, en tout état de cause, il faut finaliser le programme de la formation initiale. De nombreuses semaines de travail ont été perdues. Nous devons nous mettre autour de la table - c'est ce que propose Xavier Bertrand - afin que la promotion 2012-2016 bénéficie du nouveau programme, et que le climat puisse rapidement redevenir serein.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je suis contente d'apprendre que les différents ministres, et notamment M. Xavier Bertrand, sont ouverts à la discussion. Toutefois, j'ai l'impression que ce dernier est un peu autiste, et sourd aux revendications des orthophonistes.
En effet, la profession est unanime sur cette question. Il ne s'agit pas d'allonger absolument la formation des orthophonistes, mais d'éviter qu'il existe deux types de professionnels : ceux qui possèdent un master 1 et ceux qui détiennent un master 2. Il faut dialoguer avec les orthophonistes et entendre les revendications : ils souhaitent continuer à être reconnus comme des professionnels des pathologies du langage.
Vous avez parlé de parcours de formation, mais la formation est au cur même du métier d'orthophoniste ! Depuis la création de leur profession, les orthophonistes sont perpétuellement en formation continue ! Ils ont toujours eu besoin de valider leurs compétences et de les améliorer.
J'ai l'impression d'assister à un dialogue de sourds. Vous répondez par des argumentations qui ne correspondent pas à l'inquiétude exprimée par les professionnels. En effet, ce qu'ils vous demandent, c'est de ne pas casser l'unicité de la profession et de les reconnaître comme des professionnels des pathologies du langage.
Si vous instituez ces deux masters, certains orthophonistes s'occuperont des troubles du langage oral - je vous assure que ce n'est pas facile -, tandis que d'autres consacreront leur temps aux troubles neurologiques. Or le traitement de ces troubles ne constitue pas l'essence même de la profession d'orthophoniste.
Réfléchissez donc, avec les syndicats de professionnels, aux questions qui vous sont posées, et modifiez la réforme en cours, puisque les orthophonistes réclament le maintien de l'unicité de la profession via l'instauration d'une formation de niveau master 2 pour tout le monde.
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