Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOC) publiée le 10/03/2011

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les suites de l'enquête relative à la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, militant tchadien des droits de l'homme, ancien recteur, ancien ministre, docteur en mathématiques de l'université d'Orléans, intervenue au moment où une offensive était menée par des rebelles contre la capitale du Tchad dans les premiers jours du mois de février 2008. Il lui rappelle que la commission d'enquête « sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 et leurs conséquences » mise en place le 2 avril 2008 avait, d'une part, conclu à « l'impossibilité que [l'enlèvement d'Ibni Oumar Mahamat Saleh] soit le fait d'une initiative personnelle d'un quelconque militaire subalterne n'ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l'État tchadien, ce qui, par voie de conséquence, met en évidence l'implication des plus hautes autorités militaires tchadiennes et dès lors se pose la question du rôle du chef de l'État dans la chaîne de commandement » et, d'autre part, recommandé au gouvernement tchadien de constituer un comité restreint de suivi de ses conclusions au sein duquel la représentation de la communauté internationale serait assurée. Il lui rappelle en outre qu'en l'absence de respect par les autorités tchadiennes de cette dernière recommandation, l'Assemblée nationale a voté le 25 mars 2010, à l'unanimité, une résolution demandant au gouvernement français de faire pression sur les autorités tchadiennes pour que ces recommandations soient respectées. Or, à ce jour, et malgré les engagements réitérés du Président de la République française ainsi que des précédents ministres français des affaires étrangères de mettre tout en œuvre pour que la lumière soit faite dans cette affaire, on ne dispose pas d'information sur l'évolution de cette enquête alors qu'il apparaît que des représentants du Conseil de l'Europe et de l'Organisation Internationale de la Francophonie y ont – ou auraient – été associés. Il lui demande, en premier lieu, de bien vouloir faire part au Sénat des informations dont il dispose quant à l'évolution de cette enquête. Il lui demande, en second lieu, quelles initiatives il a prises ou compte prendre pour que la vérité soit enfin connue et les responsabilités établies dans la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. En troisième lieu, compte tenu des relations privilégiées entretenues par la France avec le Tchad, notamment au travers du dispositif « Épervier » et la présence avérée durant les événements de février 2008 de fonctionnaires français auprès des plus hautes autorités tchadiennes, il lui demande de bien vouloir ordonner la déclassification des documents diplomatiques publiés et échangés par l'ambassade de France au Tchad, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense pendant le mois de février 2008 afin de permettre au Parlement de disposer de toutes les informations utiles sur le déroulement des événements au cours desquels s'est joué le sort de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh.

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Réponse du Ministère chargé de la coopération publiée le 27/04/2011

Réponse apportée en séance publique le 26/04/2011

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je voulais appeler l'attention de M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes sur les suites de l'enquête relative à la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, militant tchadien des droits de l'homme, ancien recteur, ancien ministre, docteur en mathématiques de l'université d'Orléans, intervenue au moment où une offensive était menée par des rebelles contre la capitale du Tchad dans les premiers jours du mois de février 2008.

Monsieur le ministre, vous connaissez les termes du rapport de la commission d'enquête « sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 et leurs conséquences ». Cette commission avait, d'une part, conclu à « l'impossibilité que [l'enlèvement d'Ibni Oumar Mahamat Saleh] soit le fait d'une initiative personnelle d'un quelconque militaire subalterne n'ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l'État tchadien, ce qui, par voie de conséquence, met en évidence l'implication des plus hautes autorités militaires tchadiennes et dès lors se pose la question du rôle du chef de l'État dans la chaîne de commandement ».

La commission d'enquête avait, d'autre part, recommandé au gouvernement tchadien de constituer un comité restreint de suivi de ses conclusions au sein duquel la représentation de la communauté internationale serait assurée.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous rappelle en outre que, en l'absence de respect par les autorités tchadiennes de cette dernière recommandation, l'Assemblée nationale française a voté le 25 mars 2010, à l'unanimité, une résolution demandant au gouvernement français de faire pression sur les autorités tchadiennes pour que ces recommandations soient respectées.

Or, à ce jour, malgré les engagements réitérés du Président de la République française que notre collègue député de la Nièvre, M. Gaëtan Gorce, et moi-même avons saisi à la demande de la famille d'Ibni Oumar Mahamat Saleh et des associations humanitaires et de défense des droits de l'homme, et en dépit des engagements des précédents ministres français des affaires étrangères de mettre tout en œuvre pour que la lumière soit faite dans cette affaire, nous ne disposons pas d'information sur l'évolution de cette enquête, alors qu'il apparaît que des représentants du Conseil de l'Europe et de l'Organisation internationale de la francophonie y ont – ou auraient – été associés.

En premier lieu, je vous demande donc de bien vouloir faire part au Sénat des informations dont vous disposez quant à l'évolution de cette enquête.

En second lieu, quelles initiatives avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour que la vérité soit enfin connue et les responsabilités établies dans la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui était – il n'est pas inutile de le rappeler dans le contexte actuel du Tchad – le leader de l'opposition.

En troisième lieu, compte tenu des relations privilégiées entretenues par la France avec le Tchad, notamment au travers du dispositif « Épervier » et la présence avérée durant les événements de février 2008 de fonctionnaires français auprès des plus hautes autorités tchadiennes, je vous demande de bien vouloir ordonner la déclassification des documents diplomatiques publiés et échangés par l'ambassade de France au Tchad, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense pendant le mois de février 2008, afin de permettre au Parlement de disposer de toutes les informations utiles sur le déroulement des événements tragiques au cours desquels s'est joué le sort de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Monsieur le sénateur, la vérité n'a pas encore été faite sur la tragique disparition de l'opposant tchadien Ibni Oumar Saleh lors d'une attaque de mouvements de rébellion armée à N'Djamena au début de février 2008, et cette affaire est une préoccupation constante de la France dans ses relations avec le Tchad.

Monsieur le sénateur, je connais votre sensibilité sur cette question ; vous l'avez exprimée à de nombreuses reprises. Je sais aussi l'écho que cette disparition recueille à l'Assemblée nationale. J'ai tout entendu et j'en comprends fort bien les motivations.

Vous le savez, la France a insisté auprès des autorités tchadiennes pour qu'une commission d'enquête travaille en toute indépendance, avec l'appui d'experts internationaux, sur ces événements.

À la suite des recommandations de la commission – vous les avez vous-même évoquées, monsieur le sénateur –, le gouvernement tchadien a créé un comité de suivi interministériel national et a engagé une procédure judiciaire en décembre 2008. L'enquête est toujours en cours au Tchad.

À ce propos, nous savons qu'un juge d'instruction travaille au sein du pôle judiciaire. Le gouvernement tchadien l'a doté des moyens financiers nécessaires lui permettant de fonctionner. Les auditions de deux anciens ministres, de l'intérieur et de la défense, ainsi que du directeur de l'Agence nationale de la sécurité, ont été autorisées par le gouvernement tchadien.

Notre ambassade est en contact régulier avec les autorités judiciaires et gouvernementales tchadiennes, et nous rend compte de ses démarches.

En outre, à la suite de la résolution votée par l'Assemblée nationale française, le 25 mars 2010, nous avons poursuivi nos efforts en direction des autorités tchadiennes. Le déplacement au Tchad de l'ambassadeur pour les droits de l'homme, M. François Zimeray, a permis d'obtenir la nomination de deux experts juridiques au sein du comité de suivi.

L'un, vous l'avez évoqué vous-même, a été nommé par l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF, et l'autre, un Français avocat au barreau de Paris, par l'Union européenne, pour apporter leur expertise à la justice tchadienne, afin que la procédure suivie soit juridiquement et techniquement fiable, et que son instruction aboutisse enfin à des résultats crédibles.

Ces deux experts se sont rendus au Tchad, respectivement en novembre 2010 et en janvier 2011. Ils ont pu constater la volonté de transparence et de coopération des autorités tchadiennes dans cette affaire. Ils ont recommandé de revoir la composition du comité de suivi, afin de garantir sa totale neutralité. Les deux experts doivent effectuer une nouvelle mission au Tchad ces prochains mois, probablement en juillet 2011.

Enfin, monsieur le sénateur, vous avez interrogé M. le ministre des affaires étrangères sur la transmission de la correspondance diplomatique échangée entre l'ambassade de France au Tchad et le Quai d'Orsay, en février 2008, au sujet de ces événements.

Vous le savez, en d'autres circonstances, sur des sujets tout aussi sensibles et importants, même s'ils étaient différents, le ministre d'État a déjà fait droit à de telles demandes présentées par le Parlement. C'est dire que, sur le principe, il n'a pas d'objection à cette transmission de documents. D'ailleurs, ses services sont en train de rassembler les éléments qui permettront de satisfaire à votre souhait.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse précise, qui me semble de nature à nous faire progresser vers la connaissance de la vérité. En effet, il est tout à fait nécessaire de faire la lumière sur la disparition d'un homme qui était le leader de l'opposition dans son pays, de surcroît mondialement connu, grand scientifique, ancien recteur et ancien ministre. Nous ne voulons pas que cet événement tombe dans l'oubli !

Je tiens à souligner deux points importants de votre réponse.

En premier lieu, vous avez annoncé au Sénat que deux experts, nommés l'un par l'Organisation internationale de la francophonie et l'autre par l'Union européenne, participeront au comité de suivi.

En effet, je me souviens que la première instance de ce type mise en place par les autorités tchadiennes, à la suite du rapport de la commission d'enquête, avait une organisation toute particulière : douze de ses membres appartenaient au gouvernement du Tchad, le treizième devant être le directeur de cabinet du Président de la République. On ne pouvait pas dire que ce comité présentait toutes les garanties d'indépendance, surtout eu égard aux accusations très lourdes figurant dans le rapport de la commission d'enquête !

Par conséquent, il me paraît tout à fait naturel que les deux personnes représentant respectivement l'Union européenne et l'Organisation internationale de la francophonie aient commencé par déclarer que le comité de suivi devait présenter de telles garanties d'indépendance. Je pense, monsieur le ministre, que le Gouvernement français sera particulièrement vigilant sur ce point. (M. le ministre acquiesce.) En effet, il y va de la possibilité de découvrir un jour la vérité et, par conséquent, d'établir les responsabilités en cause.

En second lieu, je voulais vous remercier de la réponse très précise que vous avez apportée sur la déclassification des documents diplomatiques retraçant les relations entre les différentes autorités françaises, c'est-à-dire le ministère de la défense, le ministère des affaires étrangères et l'ambassade au Tchad. Je pense que cette décision sera perçue positivement, à la fois par nos collègues députés – tout particulièrement par Gaëtan Gorce, qui est à l'origine de la résolution adoptée par l'Assemblée nationale – et par la famille d'Ibni Oumar Saleh.

En effet, l'absence d'objection de principe à cette déclassification est un point très important. J'espère que cette décision sera suivie d'actes concrets, qui seront également de nature à nous faire avancer vers la nécessaire manifestation de la vérité. Enfin, naturellement, nous devrons nous donner les moyens de confronter les responsables aux actes qu'ils ont commis.

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