Question de M. ANZIANI Alain (Gironde - SOC) publiée le 05/11/2010
Question posée en séance publique le 04/11/2010
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 30 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a censuré un certain nombre de dispositions concernant la garde à vue dans notre pays.
Il y a trois semaines, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour le même motif.
Voilà quinze jours, la Cour de cassation a également jugé que notre procédure était illégale.
Aujourd'hui même, la Cour européenne des droits de l'homme vient de nouveau de condamner la France,
M. Roland Courteau. Ça commence à faire beaucoup !
M. Alain Anziani.
pour des violences commises sur un mineur lors d'une garde à vue qui, il est vrai, remonte à quelques années.
Pendant des années, la Chancellerie nous a expliqué qu'il n'y avait rien à voir et que, au fond, dans le meilleur des mondes, la garde à vue était tout à fait acceptable.
Madame le garde des sceaux, vous avez je vous en rends hommage proposé un nouveau texte que vous avez déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Je reconnais qu'il comporte des avancées, notamment le fait paradoxal de rétablir le droit au silence que la loi Perben II avait supprimé en 2004. Ce nouveau texte institue également le droit à l'assistance d'un avocat.
Pourtant, il me semble que vous réformez à regret et je voudrais vous en donner trois exemples.
Le premier est simple. Vous voulez diminuer le nombre de gardes à vue 800 000 par an actuellement, soit 1 % de la population
M. Guy Fischer. Du jamais vu !
M. Alain Anziani.
et pour cela vous inventez une « garde à vue light » que vous dénommez pudiquement « audition libre ». Mais dans cette cure d'amaigrissement, la personne commence par perdre ses droits, notamment son droit à être assistée d'un avocat.
Deuxième exemple : qui peut être placé en garde à vue ? Vous nous proposez de placer en garde à vue seulement les suspects susceptibles d'une peine d'emprisonnement. Dans un rapport récent, le Sénat note que la plupart des pays sont plus réservés : en Allemagne, il faut au minimum six mois d'emprisonnement ; en Italie, trois ans ; en Espagne, cinq ans. S'il vous plaît, faites encore un effort pour relever ce seuil !
Troisième exemple, enfin, est-il normal que ceux qui risquent le plus soient ceux qui disposent du moins de droits ?
Bien entendu, il faut lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Mais nous devons le faire en respectant les libertés fondamentales, comme nous y invitent les juridictions précitées.
Madame le garde des sceaux, ma question est simple : allez-vous faire évoluer ce texte pour éviter à la France d'être de nouveau condamnée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. M. Yvon Collin applaudit également.)
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 05/11/2010
Réponse apportée en séance publique le 04/11/2010
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur Anziani, il y a, d'un côté, des décisions que bien sûr je respecterai, qui sont celles du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, et, de l'autre, des décisions qu'il ne faut pas mal interpréter.
Je vous rappelle en particulier que la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme portait sur des conditions d'audition d'un témoin qui n'étaient effectivement pas acceptables mais pour lesquelles des textes ont déjà été adoptés. Cette condamnation concerne donc une situation juridique bien antérieure à la situation que nous connaissons actuellement.
Avant tout, il faut noter qu'un nouveau régime de la garde à vue doit être mis en place avant le 1er juillet prochain. À cet égard, j'ai d'ores et déjà déposé un projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale, texte qui sera examiné ensuite par le Sénat.
À l'instar de tous les projets de loi que j'ai présentés, nous avons essayé de le rédiger le mieux possible, mais il fera l'objet de discussions et d'amendements ; comme d'habitude, je serai très ouverte aux amendements.
Pour autant, certains éléments très précis sont inscrits dans le texte que je propose, à savoir le droit au silence et le droit à l'assistance d'un avocat que vous avez rappelés , ainsi que les conditions de la détention, avec l'interdiction des fouilles intégrales. Ce droit à l'assistance d'un avocat constitue une grande avancée, puisque c'est une assistance continuelle. Il ne s'agit cependant pas d'augmenter le nombre de gardes à vue.
Le texte prévoit de recentrer la garde à vue sur son véritable rôle : faire avancer une enquête sans prendre le risque que la personne soupçonnée disparaisse ou fasse disparaître des preuves. C'est ce qui va nous permettre de réduire considérablement le nombre des gardes à vue, surtout si l'on tient compte du fait que les personnes ayant commis certaines infractions routières et étant placées en cellule de dégrisement ne feront plus l'objet d'une garde à vue.
Aux termes du texte proposé, une personne est placée en garde à vue lorsqu'il y a risque d'emprisonnement. C'est une logique. Le texte exclut donc toute garde à vue si la personne n'encourt pas une peine privative de liberté. Pour autant, faut-il aller plus loin, comme vous le suggérez, monsieur le sénateur ?
Cela signifierait que la mise en garde à vue serait impossible pour les auteurs d'un certain nombre d'infractions telles que des soupçons d'attouchement sexuel ou d'entrave syndicale, alors que l'on a précisément besoin, dans ces cas, de recueillir un certain nombre de renseignements pour mener l'enquête ! Je doute que ce soit cela que vous souhaitiez. Nous en discuterons.
De la même manière, il ne me semble pas absolument obligatoire de mettre en garde à vue, pendant douze heures, une jeune femme qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Monoprix. Ce délit très simple exige juste de recueillir quelques renseignements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
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