Question de M. CHASTAN Yves (Ardèche - SOC) publiée le 17/06/2010

M. Yves Chastan attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la numérisation possible des documents d'archives par des sociétés privées.
La France, depuis plusieurs siècles, permet l'accès aisé et gratuit aux documents historiques. Que ce soit à l'occasion de la loi n°79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives ou à celle de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, ce principe n'a jamais été remis en cause par le législateur.
Pourtant, dans le cadre du Grand Emprunt et de l'investissement prévu dans la « société numérique", plusieurs sociétés commerciales privées seraient candidates pour assurer la numérisation du patrimoine français, dont les actes d'état civil. Les documents qui seront numérisés dans ce cadre seraient ensuite mis à la disposition du public à titre onéreux.
Les sociétés privées pourraient également se faire remettre les données déjà numérisées pour les exploiter à leur compte, utilisant ainsi le travail réalisé soit par des bénévoles et associations, soit par les collectivités locales, avec l'argent public.
En effet, des associations telles que la société des amateurs de généalogie de l'Ardèche réalisent déjà depuis de nombreuses années ce travail de numérisation du patrimoine, en partenariat avec les collectivités locales, et ce de façon bénévole dans la plupart des cas.
Par conséquent, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les intentions du Gouvernement sur ce sujet afin que l'argent du Grand Emprunt soit utilisé au mieux et que reste gratuit l'accès aux archives publiques, élément du patrimoine national et local.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 19/08/2010

La réutilisation des informations publiques soulève de délicates questions d'ordre juridique, économique et éthique. Sur le plan juridique, la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public a ouvert, pour chaque État membre, la possibilité de créer un marché de la réutilisation des informations publiques, tout en excluant de ce marché les établissement culturels, au nombre desquels figurent les services d'archives publics. L'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 transposant cette directive a ouvert ce marché pour notre pays et l'a encadré par les dispositions des articles 10 à 19 de la loi du 17 juillet 1978, qui fixent le droit applicable à la réutilisation des informations publiques. L'article 11 de cette loi prévoit cependant un régime dérogatoire pour les services d'archives publics, lesquels peuvent fixer des conditions spécifiques de réutilisation. Mais aucun texte ne précise dans quelle mesure et dans quelles limites ces conditions spécifiques peuvent déroger au droit commun de la réutilisation et à d'autres règles de droit applicables à ce domaine, notamment la protection des données personnelles, le droit de la concurrence et le principe d'égalité. Les services d'archives publics sont en train de se doter de licences encadrant leur relation avec les réutilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers, d'associations ou de sociétés commerciales. Ces licences fixent notamment les limites de la réutilisation et les redevances qui peuvent, le cas échéant, en constituer la contrepartie. Elles seront déterminées, s'agissant des services territoriaux d'archives, par la collectivité territoriale dont elles dépendent, en application du principe de libre administration. Le service interministériel des archives de France a diffusé auprès de ces services une note visant à harmoniser les pratiques, dans le respect de ce principe. Sur le plan économique, différentes sociétés privées souhaitent procéder à la réutilisation des documents d'archives publics. L'application d'une redevance à une réutilisation commerciale de ces documents est justifiée et acceptée par la plupart des acteurs économiques souhaitant intervenir sur ce marché. Elle constitue en effet la contrepartie des investissements réalisés par l'État et les collectivités territoriales pour microfilmer ou numériser les documents conservés dans les services d'archives publics. Le montant de cette redevance fait en revanche débat, les acteurs économiques souhaitant que celui-ci soit le moins élevé possible. Le ministère de la culture et de la communication estime néanmoins que le prix de la réutilisation doit refléter la part déterminante que le service public a prise pour rendre possible, par les opérations de microfilmage et de numérisation des documents qu'il a financés, le développement d'une activité économique fondée sur la réutilisation de ceux-ci. Sur le plan éthique enfin, de nombreux élus de toute tendance et acteurs de la société civile, notamment l'association des archivistes français, se sont émus de la constitution par certaines sociétés engagées dans le marché de la réutilisation de bases de données nominatives indexant les documents d'archives réutilisés et interrogeables par toute personne sur Internet. Le croisement des informations figurant dans ces documents, qui peuvent être extrêmement sensibles, pourrait permettre de constituer de véritables profils individuels, sans que le consentement des personnes concernées n'ait été recueilli. Se pose donc la question de l'exclusion du champ de la réutilisation des documents d'archives publiques comprenant des données personnelles sensibles, tels que les actes d'état civil, les recensements de population, ou encore les fichiers de police, alors que ces documents font fréquemment l'objet de demandes de réutilisation en vue d'une indexation nominative diffusée sur des sites commerciaux payants. Dans ce contexte, le ministère de la culture et de la communication, sans refuser le principe d'une réutilisation commerciale des documents d'archives publiques, a recommandé aux services d'archives publics la plus grande prudence vis-à-vis des demandes dont il est saisi, notamment lorsque des données personnelles sont en jeu, et incite ces services à se doter de licences sécurisant toutes les formes de réutilisation. Seule une intervention du législateur pourrait poser un cadre plus contraignant pour la réutilisation de données sensibles au travers d'une modification de l'ordonnance de 2005.

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