Question de M. ASSOULINE David (Paris - SOC) publiée le 18/09/2009
Question posée en séance publique le 17/09/2009
M. David Assouline. « Une expertise est menée par une société indépendante. Sur trente-trois personnes, il en ressort que treize ont des pensées mortifères. La direction nous a alors juré que ça n'avait rien à voir avec les reconversions. »
C'est le témoignage d'un employé de France Télécom, en Ardèche, sur les différentes reconversions imposées au personnel depuis quelques années sur son site.
« Ils ont recommencé, poursuit-il. En 2008, on nous demande à nouveau de changer de métier [
] pour la troisième fois en trois ans. Et impossible de refuser. [
] D'autant qu'après la pression est constante. On nous compare avec les autres sites. [
] On sait que deux ou trois sites vont fermer dans un avenir proche. Résultat, il règne une concurrence permanente entre nous. »
Ce salarié conclut en ces termes : « On se sent lâchés. On n'est plus rien [
], on est devenus des artisans du CAC 40. »
Écoutez encore cette analyse de Christophe Dejours, psychanalyste, membre de la commission Le Breton mise en place par le Gouvernement :
« On ne peut les expliquer il parle bien sûr des suicides avec les références habituelles de la psychiatrie. Il y a une bascule dans l'ordre social, dans le fonctionnement de la société, c'est aussi le signe d'une rupture dans la culture et la civilisation : les gens se tuent pour le travail.
« Les gestionnaires qui ne regardent que le résultat ne veulent pas savoir comment vous les obtenez
C'est comme ça que les salariés deviennent fous, parce qu'ils n'y arrivent pas. Les objectifs qu'on leur assigne sont incompatibles avec le temps dont ils disposent.
« On prend les gens, on les casse, on les vire. L'être humain, au fond, est une variable d'ajustement, ce qui compte c'est l'argent, la gestion, les actionnaires, le conseil d'administration. »
Vingt-trois collaborateurs de France Télécom se sont donné la mort en dix-huit mois, et souvenons-nous de la série de suicides qui frappa le personnel du Technocentre de Renault à Guyancourt : on parlait déjà de la pression constante à la rentabilité pesant sur le personnel.
Dans ce contexte, monsieur le Premier ministre, vous arrive-t-il de vous interroger sur la « politique de civilisation », sur le type de société, sur les relations au travail, sur le mode de management que vous avez encouragés avec votre fameux slogan « travailler plus pour gagner plus » ? (Mme Jacqueline Panis s'exclame.)
Ne voyez-vous pas les dégâts énormes causés par votre idéologie et vos actes sur la qualité de la vie, du travail, des relations humaines, ainsi que sur nos valeurs ? (Murmures sur les travées de l'UMP.) Oui, vos actes : libéralisation des heures supplémentaires,
M. Alain Gournac. La question !
M. David Assouline.
travail du dimanche, légalisation du prêt de main-d'œuvre,
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !
M. David Assouline.
détricotage du code du travail, soumission à la fameuse refondation sociale voulue par le MEDEF.
Le Président de la République va encore nous parler, dans les arènes mondiales, du « nouveau capitalisme », mais ce dernier ne fait qu'ajouter à l'ancien, celui des cadences infernales et du travail en miettes, la solitude. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Jacqueline Panis. La question !
Mme Éliane Assassi. Pourquoi sont-ils morts, voilà la question !
M. Guy Fischer. Respectez-les !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela vous gêne, on le comprend !
M. David Assouline. Pensez-vous que le monde du travail recevra ses paroles autrement que comme des mots toujours des maux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Réponse du Secrétariat d'État à la famille et à la solidarité publiée le 18/09/2009
Réponse apportée en séance publique le 17/09/2009
La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. M. Claude Biwer applaudit également.)
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. Monsieur le sénateur, les témoignages dont vous nous avez donné lecture méritent mieux qu'un tel amalgame.
Notre première pensée va bien entendu à ces salariés qui se sont donné la mort ou ont tenté de le faire sur leur lieu de travail, ainsi qu'à leurs familles, qui traversent actuellement une épreuve difficile.
Les causes de tels gestes sont souvent très complexes, mais il est urgent, aujourd'hui, de sortir d'une situation malsaine dans laquelle les salariés expriment, parfois tragiquement, un rejet des mutations intervenant dans leur environnement professionnel.
Si tous les grands groupes connaissent des évolutions et des mutations qui impliquent une adaptation des personnels, tous ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés que celles qu'a connues France Télécom. Nous devons comprendre les causes de cette situation et, surtout, veiller à ce que l'entreprise prenne sans délai les mesures qui s'imposent.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas le cas !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le rôle de l'État est non pas d'empêcher France Télécom de continuer à se développer, mais de garantir que ces évolutions ne s'opèrent pas au détriment de la santé des salariés. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
En l'occurrence, le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, M. Xavier Darcos, s'est longuement entretenu avec le président du groupe France Télécom au sujet de la série de suicides intervenus dans l'entreprise. Il lui a fait part, notamment, de la volonté de l'État de voir aboutir les discussions et les négociations sur la transposition de l'accord national interprofessionnel sur le stress au travail. Il a demandé que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences offre aux salariés de l'entreprise une meilleure visibilité en matière d'évolutions professionnelles.
De façon très opérationnelle, le directeur général du travail a reçu mission d'assister aux prochains comités nationaux de suivi d'hygiène et de sécurité de l'entreprise et d'en rendre compte régulièrement au ministre.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est très attentif à la situation. Il a d'ailleurs demandé à son représentant de relayer sa position lors du conseil d'administration extraordinaire qui se tiendra la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Bel. Si c'est ça, la réponse !
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