Question de M. MOREIGNE Michel (Creuse - SOC) publiée le 10/04/2008

M. Michel Moreigne appelle l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les enjeux de la politique de l'espace, particulièrement sur le lanceur spatial Ariane. Arianespace a commencé dès 2007 à rencontrer des difficultés d'appairage des satellites. Or le lancement double est vital pour la compétitivité d'Ariane. Le lanceur est désormais sollicité au maximum de sa performance sans qu'aucun programme d'amélioration n'ait été décidé afin de faire face à la croissance de la masse des satellites. Lors d'un récent discours à Kourou le Président de la République avait pourtant affiché une grande ambition européenne dans les principaux secteurs civils et militaires de la recherche et des applications spatiales, et rappelé le rôle fondamental d'Ariane pour mener à bien une telle politique. La présidence d'Arianespace a cependant exprimé son souhait d'une non adaptation de la configuration d'Ariane, jugeant que toute évolution pourrait nuire à sa fiabilité et à la confiance des clients. Dix anciens responsables d'Ariane, originaires de six pays membres, ont adressé le 20 janvier une lettre ouverte à l'Agence spatiale européenne (ESA) au sujet de l'avenir des lanceurs. Il demande s'il lui est possible de répondre aux vives inquiétudes que suscite la perspective d'une rapide inadéquation du programme Ariane au marché des satellites en l'absence d'une décision d'amélioration des performances.

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Réponse du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche publiée le 12/06/2008

Compte tenu d'une utilisation institutionnelle n'atteignant pas le seuil critique pour entretenir la récurrence et le volume d'activité industrielle et opérationnelle requis, l'Europe a développé une organisation inédite où la puissance publique, par l'intermédiaire de l'Agence spatiale européenne, développe des systèmes de lancement dont l'exploitation est confiée à Arianespace. Cette société est le numéro un mondial du marché commercial des services de lancement. Avec un système conçu pour être compétitif (le modèle de mission d'Ariane 5 est fondé à 80 % sur l'utilisation commerciale), les États européens bénéficient intrinsèquement de ces mêmes conditions pour les lancements de missions institutionnelles, ainsi que d'une moindre prise en charge des coûts fixes. Le souci de conserver Ariane 5 comme solution de référence sur le marché mondial prime. Sa fiabilité doit donc être l'objectif numéro un comme l'a souligné le Président de la République : « conserver la confiance de l'ensemble des pays du monde en Ariane, une confiance qui est un bien trop précieux pour le mettre en danger de quelque manière que ce soit ». Par conséquent, toute décision d'amélioration ou d'évolution d'Ariane 5 doit avoir pour motivation unique d'accentuer sans équivoque le positionnement actuel de l'offre de lancement européenne. Le marché des services de lancement repose sur quelques fondamentaux. Le premier est que ce marché est le fait d'un nombre réduit d'acteurs : le nombre de lancements commerciaux placés chaque année est, en moyenne, de l'ordre de 25 contrats (29 en 2007) ; il est le fait d'un nombre restreint d'opérateurs. Cinq grands opérateurs représentent les 2/3 de la capacité mondiale de transmission, auxquels s'ajoutent quelques opérateurs régionaux dynamiques (50 % des contrats de lancements placés en 2007) ; l'offre de lancement est principalement concentrée entre quelques opérateurs (Arianespace, ILS avec Proton et Sea Launch avec Zenit). Les États-Unis, l'Inde et le Japon ne sont pas présents. La Chine manifeste des velléités encore marginales. Dans cette configuration, l'offre de lancement influence très fortement les fabricants et opérateurs de satellites. Ainsi, l'augmentation de la masse des satellites remarquée ces dernières années n'est pas une tendance absolue et illimitée. Le second point fondamental est la stratégie des opérateurs de télécommunications. Elle est celle d'acteurs pour la plupart côtés en Bourse, entrés dans un processus de consolidation pour renforcer leur robustesse sur le marché, proposant des services totalement intégrés dans une offre grand public. Le développement de la télévision haute définition, les communications professionnelles à haut débit et la connectivité mobile l'illustrent bien. La conséquence en est la préoccupation permanente de réduire les risques potentiels. Ainsi, les attentes vis-à-vis des opérateurs de lancement se déclinent selon les qualités de fiabilité, de respect des délais et de transparence de ces derniers. Ce sont les ressorts de la compétitivité d'Arianespace. Les efforts déployés au lendemain de l'échec du lancement inaugural de la version ECA d'Ariane 5 en décembre 2002 n'ont eu d'autre objectif que d'accroître la robustesse du système de lancement en figeant la configuration du lanceur et évitant toute modification mettant en cause : une fiabilité restaurée avec au 1er mai 2008, 24 lancements consécutifs parfaits d'Ariane 5 ; un respect des délais qui est un argument de vente formidable pour justifier tout particulièrement les écarts actuels de prix avec les concurrents ; une disponibilité accrue du service de lancement permettant une valorisation supplémentaire du service de lancement européen par rapport à ses concurrents : sur les 13 contrats de lancement de satellites de télécommunications signés en 2007 par Arianespace, 4 ont été réalisés au cours de cette même année. En conclusion, ce qui peut permettre à moyen terme de conforter Ariane 5 comme le numéro un sur le marché mondial n'est pas d'anticiper une hypothétique augmentation de la masse des satellites : les masses des satellites lancés en 2007 sont restées tout à fait compatibles avec les performances du lanceur de l'ordre de 8,7 tonnes de masse nette séparée en orbite de transfert géostationnaire (GTO) ; pour les années à venir, 50 % des satellites commandés auprès de l'industrie en 2007 et lancés à l'échelle de 2-3 ans sont d'une masse comprise entre 5 et 6 tonnes, 30 % sont d'une masse de l'ordre de 3 tonnes. La combinaison de lancement double de satellites lourd et léger est donc pérenne et représentative des besoins à moyen terme. Le facteur essentiel de la compétitivité d'Ariane 5 n'est pas tant l'augmentation de performances que la disponibilité du service pour attirer l'ensemble des opérateurs, assurer un échantillonnage de satellites le plus large et rentabiliser au mieux le lancement double sur Ariane 5. Le leadership affirmé d'Arianespace à court terme est le meilleur moyen d'influencer à moyen et long termes la définition des systèmes satellitaires et leur compatibilité avec l'offre européenne de lancement. Le primat des objectifs d'exploitation n'est pas exclusif des préoccupations de maintien des activités de développement. Il s'agit simplement d'éviter que l'exploitation ne soit fragilisée par ces dernières. À long terme, le développement d'un étage supérieur réallumable fondé sur les travaux du moteur Vinci serait utile pour les prochaines générations de lanceurs. Il apporterait des performances et une flexibilité d'emploi supplémentaires. Toutefois, il ne s'agit pas d'un prérequis pour la compétitivité à moyen terme d'Ariane 5. L'exploitation nécessite elle-même des compétences de bureaux d'études, ne serait-ce que pour traiter les obsolescences ou pour analyser les éventuels incidents de tirs. Le maintien d'une activité minimale desdits bureaux d'études est donc un besoin fort, en vue de conserver les compétences-clés : il s'effectue au moyen de contrats optimisés de R&D, de R&T et de démonstrateurs préparant le système futur. Ainsi, après une instruction conjointe de la question avec la délégation générale pour l'armement, le CNES a planifié avec les principaux industriels concernés une série de travaux fin 2005 ; une réflexion commune est en cours pour renouveler ce processus.

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