Question de Mme TASCA Catherine (Yvelines - SOC) publiée le 24/04/2008
Mme Catherine Tasca souhaite interroger Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les suites qu'elle entend donner à la « décision 213 » de la commission Attali qui préconise la suppression des avoués près les Cours d'appel. La proposition de la commission Attali de supprimer purement et simplement la profession d'avoué a fait l'effet d'une bombe dans les milieux judiciaires, d'autant que l'annonce ne s'embarrassait pas d'explications. La mise en oeuvre d'une telle proposition porterait un triple préjudice au fonctionnement de la justice. Préjudice juridique en premier lieu. Profession inscrite dans une longue histoire, les avoués ont développé un savoir-faire nécessaire au bon fonctionnement et à la fluidité des procédures judiciaires. Ils sont le garant d'une ambition de service public de notre justice et d'un accès égal pour tous, notamment grâce au barème. Si les avoués disparaissaient, qui serait en charge de remplir leur mission, et à quel prix, dans tous les sens du terme ? Préjudice humain et social également, « Supprimer totalement les avoués près les Cours d'appel », revient à condamner la majorité de ces professionnels au chômage. Ce sont ainsi 2 600 emplois qui se retrouvent menacés. Pour la seule Cour de Versailles, 15 études sont visées, soit 31 avoués et 155 de leurs collaborateurs. Il est urgent de mettre un terme à leur incertitude. Préjudice économique enfin. La force de travail des 235 études présentes sur notre territoire serait anéantie par une telle décision. Pour ne citer qu'elles, les études de son département ont eu en 2006 un chiffre d'affaires supérieur à 20 000 000 d'euros, une masse salariale de 3 260 000 euros. Ce n'est donc pas une activité que l'on peut accuser d'être moribonde. En réalité, la suppression de la profession représenterait un coût pour l'État, puisque ces hommes et ces femmes ne cotiseraient plus, consommeraient moins et devraient être indemnisés de cette éviction. Aussi lui demande-t-elle quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière et si une concertation réelle avec les professionnels est engagée ou en voie de l'être.
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Réponse du Secrétariat d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales publiée le 21/05/2008
Réponse apportée en séance publique le 20/05/2008
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la question n° 228, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le secrétaire d'État, par votre intermédiaire, je souhaite interroger Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les suites qu'elle entend donner à la « décision 213 » de la commission Attali, qui préconise la suppression des avoués près les cours d'appel.
En effet, la proposition de la suppression pure et simple de la profession d'avoué a fait l'effet d'une bombe dans les milieux judiciaires, d'autant qu'elle ne s'est pas embarrassée d'explications. Outre le caractère abrupt d'une telle annonce, tout à fait contraire à la volonté de concertation tant de fois proclamée par le Gouvernement, la mise en uvre de cette proposition porterait un triple préjudice au fonctionnement de la justice.
Tout d'abord, le préjudice serait juridique. La profession d'avoué s'inscrit dans une longue histoire : les avoués ont développé un savoir-faire nécessaire au bon fonctionnement et à la fluidité des procédures judiciaires ; ils sont les garants d'une ambition de service public de notre justice et d'un accès égal pour tous, notamment grâce au barème. S'ils disparaissaient, qui serait chargé de remplir leur mission, et à quel prix, et ce dans tous les sens du terme ?
Ensuite, le préjudice serait humain et social. « Supprimer totalement les avoués près les cours d'appel » revient à condamner la majorité de ces professionnels au chômage. Ainsi, ce sont 2 600 emplois qui se retrouvent menacés. Pour la seule cour de Versailles, 15 études sont visées, soit 31 avoués et 155 collaborateurs. Il est urgent de mettre un terme à leur incertitude.
Enfin, le préjudice serait économique. La force de travail des 235 études présentes sur notre territoire serait anéantie par une telle décision. Les études de mon département, les Yvelines, pour ne citer qu'elles, ont enregistré, en 2006, un chiffre d'affaires supérieur à 20 millions d'euros, avec une masse salariale de 3,260 millions d'euros. Il ne s'agit donc pas là d'une activité pouvant être considérée comme moribonde.
En réalité, la suppression des avoués représenterait un coût pour l'État, puisque ces hommes et ces femmes ne cotiseraient plus, consommeraient moins et devraient être indemnisés, pour un montant estimé aujourd'hui à 8 milliards d'euros.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? Une concertation réelle avec les professionnels est-elle enfin engagée ou en voie de l'être ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, retenue par des obligations prévues de longue date.
Votre question porte sur l'avenir de la profession d'avoué.
La commission pour la libération de la croissance française a effectivement proposé, dans le rapport dit « rapport Attali » qu'elle a remis au Président de République le 23 janvier dernier, de fusionner les professions d'avoué près les cours d'appel et d'avocat.
La présence d'un avoué est en effet obligatoire en matière civile pour aller en appel, alors même que l'avocat continue, la plupart du temps, de suivre son dossier. On peut donc légitimement se poser la question de savoir s'il convient de conserver ce monopole.
Madame la sénatrice, aucune décision n'est arrêtée à ce jour. Dans la perspective des suites à donner à ce rapport, le Gouvernement s'est accordé un délai jusqu'au mois d'octobre pour mener une concertation très approfondie avec la profession. Il convient d'évaluer l'ensemble des conséquences que pourraient avoir, d'une part, pour les cours d'appel, la suppression de l'intervention obligatoire de l'avoué, qui est un interlocuteur reconnu et apprécié, et, d'autre part, pour la profession elle-même, la fusion éventuelle de cette dernière avec la profession d'avocat.
Cette analyse doit également être faite au vu des exigences de la transposition de la directive « Services » du 12 décembre 2006, qui limite les possibilités de maintien de professions « fermées » comme celle d'avoué. Il faut avancer des justifications fortes pour demander un tel maintien.
Les représentants de la profession sont bien entendu associés à cette réflexion d'ensemble. Mme le garde des sceaux rencontrera personnellement le président de la chambre nationale des avoués près les cours d'appel, Me Grandsard, dans les prochains jours. En effet, aucune réforme ne saurait être envisagée sans que l'ensemble de ses conséquences aient été appréciées, après concertation.
À ce titre, le Gouvernement prendra bien entendu en considération la situation de toutes les personnes qui travaillent dans les études d'avoués, avec beaucoup de dévouement et de compétence, comme chacun le sait.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le secrétaire d'État, j'apprécie la prudence de la réponse du Gouvernement. L'annonce d'une prochaine concertation est une bonne nouvelle pour les professionnels qui travaillent dans les études d'avoués, car ceux-ci l'attendaient en vain depuis des mois.
Toutefois, je formulerai trois remarques.
Tout d'abord, sur le plan de la méthode, il est clair que la pratique consistant à présenter de telles annonces sans les faire suivre de propositions constructives est absolument désastreuse. Il est d'ailleurs étonnant de trouver dans un rapport relatif au soutien de la croissance une telle annonce concernant les avoués, suspendant ainsi une épée de Damoclès au-dessus d'un nombre non négligeable de PME qui contribuent vraiment au développement de la croissance !
Ainsi, dans le département des Yvelines, socialement et économiquement très contrasté, les études d'avoués constituent l'un des éléments importants de l'activité économique. Nous ne considérons donc pas avec indifférence cette menace qui pèse sur cette profession.
Au cur de l'incompréhension entre nos concitoyens et le Gouvernement se trouve notre économie, qui souffre d'un manque de confiance. Il faut vraiment éviter à l'avenir de telles annonces, qui entretiennent des blocages. Agiter des menaces sans engager une démarche constructive, suivie de vraies propositions de réforme, ne fait qu'aggraver la perte de confiance sans servir en quoi que ce soit la croissance, qui a bien besoin d'être soutenue.
Ensuite, pour ce qui concerne tant la profession d'avoué que toutes les autres professions de justice, nous ne devons avoir qu'un seul objectif, celui d'améliorer l'accessibilité de la justice pour tous les justiciables.
Or, la disparition du rouage que représentent les avoués dans les procédures reviendrait à affaiblir l'accessibilité de la justice : les justiciables seraient confrontés au système des honoraires libres des avocats, alors qu'ils bénéficiaient jusqu'à présent du barème auquel sont soumis les avoués, ce dernier constituant un élément d'égalité.
Enfin, quant à la fusion de la profession avec celle des avocats, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, d'émettre des doutes, même s'il faut examiner cette piste.
Tout d'abord, il n'est pas du tout certain que les avocats soient en situation d'absorber le travail actuellement assumé par les études d'avoués.
Ensuite, je le répète, une telle fusion reviendrait à renvoyer le justiciable vers un système d'honoraires libres, qui ne présente pas un caractère très rassurant pour nos concitoyens les moins privilégiés.
Enfin, et nous le savons tous, cette réorganisation ne garantirait absolument pas l'emploi aux professionnels travaillant actuellement dans les études d'avoués.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, d'insister auprès de Mme le garde des sceaux pour qu'une véritable concertation soit engagée le plus tôt possible.
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