Question de M. LEGENDRE Jacques (Nord - UMP) publiée le 10/04/2008
M. Jacques Legendre attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les graves difficultés auxquelles les collectivités locales sont confrontées quand des prescriptions de fouilles archéologiques sont signifiées en vertu de la loi n° 2003-707 du 1er août 2003 relative à l'archéologie préventive et qu'il n'est pas possible de trouver un organisme agréé susceptible de réaliser ces fouilles dans des délais raisonnables.
En sa qualité de rapporteur de cette loi, il réaffirme son profond attachement à la conservation de notre patrimoine qui constitue une forme de mémoire collective. Il constate cependant que dans le département du Nord cette obligation légitime de réaliser des fouilles se heurte à l'indisponibilité des opérateurs, ce qui compromet la réalisation, tout aussi légitime de programmes de construction d'ouvrages publics ou de bâtiments industriels générant ressources et emplois.
En dépit de l'augmentation de ses effectifs en 2007 l'opérateur public, l'INRAP ne parvient pas à accompagner l'augmentation des prescriptions générées par l'importante création de nouveaux parcs d'activités, ce qui entraîne de fréquents reports de dates de démarrage de travaux, pouvant se compter en mois et même dépasser l'année.
La mise en place de services privés d'archéologie ou des services de fouilles créés par des collectivités est encore insuffisante. L'attractivité de nos zones d'activités risque de s'en trouver affectée, au profit éventuellement de zones situées de l'autre côté de la frontière.
La réalisation prochaine du canal Seine-Escaut, entre Compiègne et Cambrai, qui entraînera nécessairement l'ouverture de nombreux chantiers de fouilles risque encore d'aggraver la situation.
Il semble donc nécessaire que les prescriptions de fouilles tiennent davantage compte de la capacité réelle à réaliser celles-ci dans un délai supportable : par exemple six mois maximum. Il semble aussi nécessaire de relancer au plus vite l'incitation à la création de services archéologiques par les grandes collectivités territoriales, par exemple les départements et les régions.
Il souhaite connaître quelles mesures le Gouvernement compte prendre très vite pour concilier les intérêts économiques et patrimoniaux et éviter que l'archéologie préventive ne soit considérée par certains comme un frein au développement économique.
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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 16/04/2008
Réponse apportée en séance publique le 15/04/2008
M. Jacques Legendre. Madame la ministre, j'ai été rapporteur pour le Sénat de la loi du 1er août 2003, relative à l'archéologie préventive, qui a modifié sur plusieurs points essentiels la loi du 17 janvier 2001.
Il s'agissait alors de répondre aux difficultés d'application et aux dysfonctionnements suscités par cette réforme sur le terrain, en raison de la complexité du dispositif de financement et de l'inadaptation des moyens mis en place pour faire face à une activité au caractère aléatoire.
La loi de 2003 a permis, d'une part, de partager le monopole de l'INRAP, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, en matière de diagnostics avec les services agréés des collectivités territoriales, et, d'autre part, l'ouverture des fouilles à la concurrence : ces opérations, prescrites par l'État et conduites sous son contrôle scientifique, peuvent désormais être réalisées par des opérateurs publics ou privés agréés, dans le cadre d'un contrat passé avec l'aménageur, qui devient le maître d'ouvrage pour la réalisation de ces fouilles et qui en assume le coût.
L'objectif de cette plus grande souplesse était précisément d'assurer l'indispensable maîtrise des délais et des coûts des opérations archéologiques.
Cependant, en dépit de ces évolutions législatives, les collectivités territoriales restent bien souvent confrontées à de grandes difficultés concrètes, faute de pouvoir trouver les organismes agréés susceptibles de réaliser les fouilles prescrites dans des délais raisonnables.
Madame la ministre, il n'est nullement question pour l'historien que je suis de remettre en cause le bien-fondé du régime juridique de l'archéologie préventive, qui est tout à fait essentiel pour assurer la protection et la sauvegarde de notre « patrimoine souterrain », ce que l'on appelle les « archives du sol ».
J'insiste toutefois, comme je l'avais fait lors des débats qui ont précédé le vote de la loi de 2003, sur l'indispensable équilibre à trouver entre une telle exigence et les impératifs d'aménagement du territoire et de développement économique.
Dans mon département du Nord, par exemple, cette obligation légitime de réaliser des fouilles se heurte à l'indisponibilité des opérateurs : cela compromet la réalisation, tout aussi légitime, de programmes de construction, d'ouvrages publics ou de bâtiments industriels générateurs de richesses et d'emplois.
Ainsi, dans la communauté d'agglomération que je préside, une prescription de fouilles faite à l'automne 2007 ne semble ainsi pouvoir être exécutée qu'au printemps 2009. Cela n'est pas supportable !
En dépit de l'augmentation de ses effectifs en 2007, l'opérateur public, l'INRAP, ne parvient pas à accompagner la hausse des prescriptions entraînées par la création de nouveaux parcs d'activités. En parallèle, la mise en place de services d'archéologie privés ou gérés par des collectivités territoriales est encore insuffisante pour répondre à la pression de l'aménagement local. Telle est la situation actuelle dans de nombreuses régions, comme l'a souligné une récente étude. Il en résulte donc de fréquents reports des dates de démarrage des travaux, de plusieurs mois, voire d'un an.
Cette absence de maîtrise des délais de réalisation des aménagements est fortement préjudiciable et s'avère par ailleurs coûteuse. L'attractivité de nos zones d'activité risque de s'en trouver affectée, au profit, éventuellement, de zones transfrontalières : si tel aménagement n'est pas implanté dans le département du Nord, il le sera probablement en Belgique.
Dans le Nord, la réalisation prochaine du canal Seine-Escaut, entre Compiègne et Cambrai, qui entraînera nécessairement l'ouverture de nombreux chantiers de fouilles, risque encore d'aggraver la situation.
Il semble donc nécessaire que les prescriptions de fouilles tiennent davantage compte de la capacité réelle à effectuer celles-ci dans un délai raisonnable, lequel pourrait être de six mois au maximum. Il paraît également urgent de relancer l'incitation à la création de services archéologiques par les grandes collectivités territoriales, c'est-à-dire non seulement par les communautés d'agglomération, mais aussi, plus particulièrement, par les départements et les régions, qui, actuellement, n'agissent pas dans ce domaine.
Madame la ministre, quelles mesures compte prendre le Gouvernement afin d'apporter au plus vite des réponses concrètes à ces situations de tensions ? Il serait regrettable, à tout le moins, mais même injuste et insupportable qu'en raison des inadaptations actuelles les intérêts patrimoniaux majeurs que défend l'archéologie préventive n'apparaissent aux yeux de certains que comme un frein au développement économique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Legendre, vous le savez mieux que quiconque, l'archéologie préventive a en effet pour objectif de sauvegarder la mémoire de notre histoire commune, de la constitution de notre société. Ce principe est désormais bien accepté, surtout grâce aux longs et riches débats qui se sont tenus dans cette enceinte en 2001 et en 2003, et auxquels vous-même avez pris une part très active.
Le dispositif législatif adopté en 2001 et amélioré par le Parlement en 2003 a d'ailleurs déjà permis des découvertes archéologiques importantes, qui contribuent à l'avancement de la connaissance de nos origines, ainsi que vous avez pu le constater à la lecture du rapport présenté par le Gouvernement au Parlement en février 2006.
Toutefois, nous en sommes tous très conscients, la conciliation des impératifs, parfois contradictoires, des rythmes de l'aménagement du territoire et de la recherche archéologique n'est pas sans poser de problèmes. Cela nécessite d'agir simultanément sur deux leviers du dispositif : augmenter la capacité d'intervention des équipes sur le terrain, pour limiter les délais d'attente des aménageurs, et réduire les interventions archéologiques. (M. Yann Gaillard s'exclame.)
Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, l'INRAP, l'établissement public chargé de réaliser la majorité des interventions archéologiques de terrain, a vu ses effectifs renforcés ces dernières années.
Le dispositif adopté en 2003 prévoit que d'autres opérateurs peuvent intervenir en archéologie préventive afin d'assurer une réalisation plus rapide des fouilles. Aujourd'hui, quarante-huit collectivités territoriales et dix-huit entreprises privées, ce qui représente donc soixante-six opérateurs, sont ainsi en mesure de prendre en charge des opérations archéologiques préalables aux aménagements ; une amélioration notable a pu être constatée dans ce cas.
Néanmoins, comme vous l'avez indiqué, le rythme de création de ces structures n'est pas satisfaisant, car de nombreuses collectivités hésitent encore à se positionner comme de véritables opérateurs en archéologie préventive.
Il convient aussi d'examiner le niveau des prescriptions archéologiques émises par les préfectures de région sur les dossiers d'aménagement.
Depuis 2002, conformément aux recommandations formulées notamment par votre collègue Yann Gaillard, au nom de la commission des finances de la Haute Assemblée, mes services veillent à la sélectivité desdites prescriptions. Aujourd'hui, seuls 6,67 % des dossiers d'aménagement instruits par les directions régionales des affaires culturelles font l'objet d'une prescription archéologique, contre 13,83 % en 2002, alors que le nombre de dossiers instruits a presque doublé.
Cependant, une plus forte réduction du taux de prescription serait dangereuse, car de nature à exposer les aménageurs à des découvertes fortuites en cours de travaux. Le diagnostic sert en effet à identifier le « risque » archéologique, si je puis m'exprimer ainsi, pesant sur les aménagements. Les préfets de région peuvent alors proposer aux aménageurs certaines solutions, techniquement possibles, visant à modifier leurs aménagements pour éviter de porter atteinte aux vestiges et échapper aux coûts et aux délais inhérents aux fouilles archéologiques, tout en participant à la sauvegarde de ce patrimoine pour les générations futures.
Si la situation globale de l'archéologie préventive reste tendue, les solutions locales existent et doivent être favorisées. J'ai donné instruction à mes services d'étudier au cas par cas les impératifs de calendrier en liaison avec les aménageurs, afin de fixer aux équipes de l'INRAP leurs priorités d'intervention, qui seront définies sous l'égide des préfets de région.
À l'évidence, la maîtrise des retards liés aux fouilles archéologiques peut bénéficier des orientations prises par d'autres départements ministériels. La conservation du patrimoine archéologique n'implique pas d'entreprendre systématiquement des fouilles : il s'agit d'en garantir la préservation physique. À cet égard, les récentes orientations prises par le Gouvernement à la suite du Grenelle de l'environnement, tendant à favoriser la concentration de l'habitat et à limiter la consommation des sols naturels ou agricoles, paraissent très bénéfiques.
Monsieur le sénateur, le chantier de l'archéologie préventive reste ouvert et les problèmes demeurent. Nous le savons, en la matière, il n'y pas de solution miracle. Je suis naturellement tout à fait prête à examiner les pistes que vous avez tracées dans votre intervention pour progresser de manière plus sûre. Mais, compte tenu de la nature même des interventions et de leur durée, il y aura toujours un problème d'adéquation entre le nombre de chantiers et les effectifs mobilisables, à moins de multiplier ceux-ci à l'infini, ce qui ne paraît guère envisageable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Madame la ministre, je voudrais vraiment insister sur la réalité du problème auquel nous sommes confrontés.
Je vous ai donné tout à l'heure un exemple tiré de mon expérience personnelle. Permettez-moi de vous en citer deux autres.
Voici ce que souligne la délégation de Champagne-Ardenne de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction dans un courrier dont j'ai eu connaissance : l'incapacité de l'INRAP ce n'est pas un reproche qui lui est fait, c'est un constat à pouvoir assurer le travail de fouilles va conduire à une pénurie de matériaux de construction, ce qui induira des pertes d'emplois.
Deuxième exemple : la directrice du développement économique d'une communauté de communes du département du Pas-de-Calais m'a informé que cette collectivité ne pouvait plus maîtriser les délais de réalisation des aménagements de ses zones d'activité et prévoir de façon concertée les délais d'implantation pour les entreprises concernées.
Cela rejoint ce que je vous indiquais tout à l'heure : pour une population à qui on laisse entrevoir la possibilité d'obtenir des implantations industrielles sur son territoire et des retombées en termes d'emplois, il est insupportable de s'entendre dire que les fouilles ne pourront avoir lieu avant six mois ou un an et, partant, que les créations d'emplois attendues seront reportées ou, pis, transférées ailleurs. Chacun le comprend, une telle situation n'est pas défendable sur le terrain.
Madame la ministre, nous avons eu des débats passionnés et passionnants en 2001 et en 2003 à propos de l'archéologie, et je ne connais personne au Sénat qui ne soit convaincu de l'importance de préserver les archives du sol et d'étudier ce qu'elles peuvent nous apprendre.
Pour autant, tout cela ne doit pas aboutir à faire naître un antagonisme entre les exigences de l'archéologie et les nécessités du développement économique.
Au demeurant, depuis 2003, nous avons progressé dans un certain nombre de domaines. À l'époque, on prétendait que le recours à des sociétés privées n'était pas sérieusement envisageable, au prétexte qu'elles ne manqueraient pas de bâcler leur travail. Aujourd'hui, force est de constater que certaines sociétés privées font un travail dont la qualité est incontestable. Simplement, bien qu'elles aient embauché de nombreux archéologues, elles ne parviennent malheureusement pas à répondre à la demande.
J'en veux pour preuve, encore une fois, mon expérience personnelle. Je me suis tourné vers une société privée implantée dans le Nord, Archéopole, dont l'expertise est reconnue. D'après ce que m'ont indiqué ses dirigeants, ils ont été contraints d'embaucher plusieurs dizaines d'archéologues, mais cela s'avère insuffisant pour faire face à la demande. Eux non plus ne peuvent pas intervenir avant 2009, car leur programme est d'ores et déjà saturé.
Madame la ministre, il vous faut également relancer les collectivités territoriales, les départements, les régions, voire les grandes intercommunalités, pour les inciter vivement à se doter de services archéologiques de qualité. Dans mon département, la communauté d'agglomération du Douaisis dispose d'un service archéologique, que j'ai visité encore récemment. Lui aussi est déjà saturé jusqu'en 2009, alors même qu'il est passé de dix archéologues à plus de soixante-dix et qu'il atteint l'équilibre, ce qui, d'ailleurs, montre que les services archéologiques des collectivités peuvent fonctionner dans de bonnes conditions.
Il est donc temps, madame la ministre, que vos services prennent ce problème à bras-le-corps et que les collectivités soient également placées devant leurs responsabilités et leurs possibilités d'action. C'est la seule façon de ne pas se trouver rapidement dans une situation intolérable, où se trouveraient opposés le développement économique et la connaissance scientifique des vestiges contenus dans le sol.
Si je me suis permis de vous répondre aussi longuement, madame la ministre, c'est que l'importance du problème auquel nous sommes confrontés exige que nous lui apportions rapidement une solution efficace. Je vous remercie donc par avance de bien vouloir prendre les mesures qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. Madame la ministre, nous sommes très solidaires des propos de notre collègue Jacques Legendre.
M. Christian Cambon. Tout à fait !
M. le président. Les grandes villes lancent parfois des chantiers énormes, qui, au gré des fouilles, doivent soudainement être arrêtés. Si le travail des archéologues mérite évidemment d'être pris en compte, il ne faudrait pas oublier tout le reste !
À Marseille, cent cinquante tombes datant du Ve siècle, à l'époque de la fondation de l'abbaye Saint-Victor, ont été récemment mises au jour. Mais on ne sait pas où les mettre : personne ne veut payer !
Une tombe monumentale a même été ouverte pour examiner l'ADN des ossements qu'elle contient. J'ai demandé à l'archevêque, qui s'était rendu sur place, de bien « renifler », pour savoir s'il s'agissait ou non de la tombe d'un saint. (Sourires.) Sa réponse a été claire : non, c'est celle d'un riche ! On sait bien que, dès lors, cela n'intéresse plus l'Église ! (Nouveaux sourires.) Il n'empêche que ces fameuses tombes, nous ne savons qu'en faire !
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