Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 07/12/2006
Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur la création d'un nouveau fichier dit « ELOI », qui est supposé faciliter l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Or ce fichier supplémentaire, qui s'ajoute à une série de nombreux autres fichiers, recensera non seulement les étrangers en instance d'éloignement, mais aussi leurs enfants, les personnes chez qui ils sont assignés à résidence ainsi que les personnes qui leur rendent visite dans les centres de rétention. Des associations de défense des droits et libertés ainsi que d'assistance aux migrants étrangers ont déposé le 2 octobre 2006 devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre l'arrêté ministériel qui institue ce fichier. Le fichage prévu enfreint les principes qui régissent la protection des données personnelles en prévoyant d'enregistrer et de conserver des informations qui ne sont pas strictement nécessaires à la poursuite d'objectifs légitimes. En conséquence, elle lui demande d'apporter les clarifications nécessaires en vue de garantir les droits et libertés de tous.
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Réponse du Ministère délégué à l'aménagement du territoire publiée le 17/01/2007
Réponse apportée en séance publique le 16/01/2007
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 1189, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez est, me semble-t-il, obsédé par les fichiers électroniques, par le contrôle continu et automatisé des citoyens, permettant un contrôle social, administratif et policier permanent.
Depuis près de cinq ans, vous avez multiplié les fichiers. Leur nombre est aujourd'hui alarmant. Cette extension s'effectue bien entendu contre tout bon sens, toute utilité objective, et, surtout, au détriment du respect de nos droits et de nos libertés.
À une liste qui semble sans fin vient de s'ajouter un nouveau fichier : celui, dénommé ELOI, qui a été créé par un arrêté du 30 juillet 2006.
Cet énième fichier présente une spécificité : y figureront non seulement les étrangers en instance d'éloignement, mais également leurs enfants, ainsi que les personnes hébergeant un étranger en situation irrégulière assigné à résidence, les visiteurs d'une personne étrangère placée en rétention administrative, les amis de ces étrangers et les associations qui leur viennent en aide.
Une fois n'est pas coutume, l'instauration de ce fichier s'est effectuée sans intervention de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
En effet, dans le texte de l'arrêté, on ne trouve aucune référence à une quelconque délibération de la CNIL, contrairement à ce que dispose la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
En outre, la CNIL semble ne pas avoir respecté une autre obligation légale, selon laquelle elle doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, ce délai pouvant être renouvelé une fois sur décision motivée de son président. Si l'avis n'est pas rendu à l'expiration de ce délai, il est réputé favorable.
Or la CNIL, saisie le 18 mai 2006, n'avait pas rendu d'avis deux mois plus tard. Certes, son président n'a pas usé de son pouvoir pour demander la prolongation du délai, mais, de son côté, le ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire n'a pas relancé la CNIL avant de publier l'arrêté, contrairement à l'habitude.
L'arrêté créant le fichier a fait l'objet de multiples recours. Il a été attaqué conjointement par plusieurs associations, notamment le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le GISTI, la Ligue des droits de l'homme, la Cimade, l'association IRIS - Imaginons un réseau internet solidaire -, ainsi que par le Syndicat de la magistrature.
Dans leur recours, les associations s'attachent à démontrer que le fichier ELOI ne respecte pas les principes fondamentaux régissant la mise en oeuvre des traitements informatisés de données à caractère personnel.
Je le rappelle, ces principes découlent de différents textes de droit interne, par exemple la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mais aussi de droit international, notamment de droit communautaire, comme la convention du 28 janvier 1981 du Conseil de l'Europe sur la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ou la directive du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel.
En fait, il s'agit des principes de pertinence et de proportionnalité, de finalité et d'exigence de garanties suffisantes. Cela signifie, d'une part, que les données à caractère personnel doivent être collectées à des fins déterminées, explicites et légitimes, et, d'autre part, qu'elles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives. C'est au regard de la finalité du traitement que l'on peut évaluer le caractère proportionné et adéquat des données et de leur utilisation.
Or la finalité du fichier ELOI est bien vague : celui-ci vise à « faciliter l'éloignement des étrangers se maintenant sans droit sur le territoire par la gestion des différentes étapes de la procédure d'éloignement », et ce dans un objectif de « lutte contre l'immigration clandestine ». On en conviendra, il s'agit là d'une définition très large.
Compte tenu de l'existence de nombreux autres fichiers répondant à des finalités voisines - je pense notamment au fichier qui était tenu par toutes les préfectures et au fichier central des étrangers -, il n'est nullement pertinent que ce nouveau fichier contienne des informations relatives aux étrangers en situation irrégulière.
Deux autres catégories de données sont elles aussi plus que contestables.
D'une part, le recueil de données relatives à la « filiation complète », qui incluent le nom, le prénom et la date de naissance des enfants, avec pour conséquence le fichage de ceux d'entre eux qui ne peuvent pas faire l'objet de mesures d'éloignement forcé, n'est manifestement pas pertinent au regard de la finalité du fichier, à moins que l'objectif inavoué ne soit de compromettre les chances des intéressés d'obtenir ultérieurement un titre de séjour.
D'autre part, la collecte de données liées à la « nécessité d'une surveillance particulière au regard de l'ordre public » et concernant des étrangers qui ne sont pas en instance d'expulsion, mais font l'objet de mesures d'éloignement justifiées par l'irrégularité du séjour, sans représenter a priori une menace pour l'ordre public, suscite également des interrogations.
Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier les critères d'évaluation du caractère menaçant pour l'ordre public que peut présenter une personne ? Doit-elle avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une arrestation, ou peut-il s'agir d'un simple sentiment subjectif ?
Par ailleurs, l'enregistrement des données relatives à l'hébergeant lorsqu'un étranger en situation irrégulière est assigné à résidence et au visiteur d'une personne étrangère placée en rétention administrative n'a pas lieu d'être. En effet, cela n'a aucun rapport avec la mise en oeuvre des mesures d'éloignement.
Nous assistons, ni plus ni moins, à l'élargissement sans fin de l'application d'une logique du soupçon généralisé, s'étendant par cercles concentriques des clandestins aux immigrés, des étrangers à leurs amis, à leurs familles ou aux associations qui les aident.
Ces glissements progressifs de la xénophobie ont une finalité politique simple : l'intimidation. En effet, il s'agit de décourager la solidarité qui s'est exprimée dans notre pays depuis plus d'un an, notamment à travers le réseau Éducation sans frontières.
M. Louis de Broissia. C'est un discours fleuve !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je l'ai dit et je le répète, il me semble indispensable de faire preuve d'une grande vigilance à l'égard de tous ces fichiers, qui nous rappellent des pages sombres de notre histoire. Il serait tout de même incroyable que ce passé puisse revivre. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le ministre, nous vous demandons donc solennellement, devant cette auguste assemblée, de bien vouloir nous fournir quelques explications sur ce nouveau fichier, afin d'apaiser nos craintes, ou alors de le supprimer.
M. le président. Madame la sénatrice, le temps de parole qui vous était imparti était de trois minutes. Or vous vous êtes exprimée pendant six minutes ! Nous avons déjà pris beaucoup de retard, et j'invite donc les orateurs à faire preuve de concision.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Madame la sénatrice, vous avez souhaité obtenir des éclaircissements sur les finalités du logiciel ELOI.
Comme vous le savez, par arrêté du 30 juillet 2006, et après saisine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire a procédé à la création d'un logiciel de traitement de données à caractère personnel relatif à la procédure d'éloignement, dénommé ELOI.
Ce logiciel, élaboré à l'usage des préfectures et des centres de rétention administrative, vise à améliorer le suivi des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, ainsi qu'à faciliter la gestion des différents centres de rétention administrative. Il assure ainsi l'informatisation de procédures jusqu'alors écrites.
Dans ce cadre, le logiciel ELOI enregistrera effectivement les données relatives à l'étranger en situation irrégulière, au visiteur d'une personne placée en rétention administrative, ainsi qu'à l'hébergeant d'un étranger en situation irrégulière faisant l'objet d'une assignation à résidence prononcée par le juge des libertés et de la détention.
C'est précisément sur l'utilité de la saisie informatique de telles données que vous vous interrogez.
En premier lieu, le logiciel assure l'enregistrement des identités des personnes retenues, qu'elles soient majeures ou mineures. En effet, il peut s'agir des mineurs présents dans les centres de rétention administrative spécialement aménagés. Je rappelle que le placement de familles en centre de rétention administrative n'est possible que dans les seuls lieux spécialement équipés à cette fin et limitativement énumérés par arrêté interministériel.
En deuxième lieu, il convient d'indiquer que le terme « visiteurs » ne s'applique qu'aux particuliers effectuant des visites à titre individuel, personnel et privé. Sont donc exclus du champ de cette définition les avocats, mais également les parlementaires ou les membres d'institutions telles que la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente. Le souci du maintien de l'ordre public au sein des centres de rétention et la nécessité, pour le préfet à l'origine du placement, de pouvoir suivre l'ensemble des étapes de la procédure d'éloignement constituent les uniques motifs d'enregistrement.
En troisième et dernier lieu, s'agissant des personnes qui hébergent des ressortissants étrangers assignés à résidence par le juge des libertés et de la détention, il convient de rappeler que la législation et la jurisprudence de la Cour de cassation limitent les possibilités d'assignation à résidence aux seuls étrangers en possession d'un passeport en cours de validité et disposant d'un domicile ou de l'adresse d'une personne acceptant de les héberger.
En outre, cette assignation à résidence est ordonnée aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement dont l'étranger en situation irrégulière fait l'objet. Dans ce cadre, l'enregistrement de l'adresse et du nom de la personne qui héberge apparaît indispensable pour pouvoir disposer, le moment venu, de l'ensemble des informations nécessaires au suivi de l'exécution de la mesure.
Au total, l'ensemble des données enregistrées visent à améliorer l'exécution des mesures d'éloignement par un meilleur suivi des procédures et l'utilisation d'un outil commun par les différents acteurs de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Si l'arrêté constitutif du logiciel ELOI fait actuellement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, il convient de souligner que le référé-suspension a été rejeté par le juge des référés dans sa décision du 8 novembre 2006. Par ailleurs, dans l'attente de la décision rendue au fond par la haute juridiction, des instructions confirmant l'absence de mise en oeuvre effective du logiciel jusqu'à nouvel ordre ont été données aux préfectures.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous venez de rappeler des éléments d'information dont j'avais déjà fait part, monsieur le ministre, mais vous n'avez pas répondu aux questions essentielles que j'ai soulevées.
Quelle définition donnez-vous de la notion de menace à l'ordre public ? Quelles garanties pouvez-vous nous apporter s'agissant du respect des droits et libertés, au regard notamment de l'enregistrement, de la conservation, voire de la consultation ou du droit de modification de certaines données ? Pourquoi instituer un énième fichier de ce type, alors qu'il en existe déjà d'autres répondant à des visées similaires, notamment dans les préfectures ?
En réalité, le fichier ELOI enfreint aujourd'hui les principes régissant la protection des données à caractère personnel. Nous n'avons obtenu aucune réponse sur les points que je viens de rappeler.
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