Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 02/02/2006
Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le ministre délégué aux anciens combattants sur le maintien de la situation injuste et inacceptable des soldats d'origine étrangère ayant combattu durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que de leurs ayants droit. Ces personnes, qui ont sacrifié leur jeunesse et leur vie pour libérer la France, sont victimes, depuis la fin des années cinquante, d'une discrimination légale, indigne de notre République, qui consiste à leur octroyer une pension largement inférieure à celle perçue par leurs compagnons d'armes français. En dépit de décisions de l'ONU et du Conseil d'Etat, la cristallisation des pensions des tirailleurs étrangers est maintenue. En conséquence, elle lui demande de lui préciser la date à laquelle le Gouvernement compte mettre fin à cette discrimination.
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Réponse du Ministère délégué aux anciens combattants publiée le 22/03/2006
Réponse apportée en séance publique le 21/03/2006
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 927, adressée à M. le ministre délégué aux anciens combattants.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelque temps, il est commun pour les responsables politiques de faire état du devoir de mémoire de notre pays, pour calmer ces jeunes qui refusent les discriminations et demandent plus de droits et de respect, notamment pour leurs chibanis !
Tout d'abord, permettez-moi de vous rappeler que la libération de notre pays a été aussi le fait de la Première armée française, recrutée en Afrique, composée de 200 000 hommes, dont 130 000 « indigènes », c'est-à-dire 110 000 Maghrébins et 20 000 Africains.
Un demi-siècle après, il est intéressant de voir comment sont traités ces hommes que l'état-major français décrivait comme d'excellents combattants, braves et capables des efforts physiques les plus intenses.
Depuis la fin de la colonisation officielle, les anciens combattants et les anciens fonctionnaires d'origine étrangère subissent une inégalité de traitement. Leur pension a ainsi été figée, cristallisée et transformée en indemnité non indexable sur le coût de la vie.
En 1980, près de 700 anciens combattants ont porté plainte et obtenu gain de cause contre la France devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU pour discrimination raciale.
En 2001, le Conseil d'État a rendu un arrêt condamnant la France à verser au plaignant, un tirailleur sénégalais, Amadou Diop, une pension établie au même taux que celui en vigueur pour les Français et à lui payer les arriérés dus.
En 2005, Tahar Saïm, ancien militaire algérien vivant à Oran avec 76 euros par mois, a obtenu du tribunal administratif de Poitiers la revalorisation complète de sa pension.
Malheureusement, Amadou Diop et Tahar Saïm, à l'instar d'autres anciens combattants, sont morts avant d'avoir pu bénéficier de cette décision des tribunaux.
A travers la loi de finances rectificative de 2002, le Gouvernement a refusé d'appliquer l'égalité de traitement, reconnue par les tribunaux, et il s'est contenté d'une faible réévaluation, supposée fondée sur le taux de parité du pouvoir d'achat.
Dans le journal Libération du 22 février 2006, monsieur le ministre, vous vous félicitiez de cette « vaste opération de rétablissement de l'équité ». Mais cette mesure est une véritable parodie ! Elle ne répare en rien l'injustice faite aux anciens combattants survivants et à leur famille. En effet, sous le fallacieux argument d'équité qu'invoque le Gouvernement, ce n'est rien d'autre qu'une forme supplémentaire et hypocrite de discrimination qui se cache.
Le fait d'aligner le montant des pensions sur le niveau de vie de chacun des pays où vivent ces personnes revient à pratiquer une nouvelle discrimination, tout à fait illégale, rejetant dans l'ombre le principe de l'égalité de traitement avec les frères de combat français.
Tout d'abord, cette réforme, qui est supposée régler le problème des pensions et retraites de ces anciens serviteurs de la France, en utilisant un critère de résidence au moment de la liquidation, aboutit à maintenir une discrimination légale.
Est ainsi perpétuée l'inégalité entre Français et étrangers, mais également entre étrangers de différentes nationalités, ce qui conduit à des situations paradoxales. En effet, la mesure ne vise que les étrangers. Par exemple, un Français vivant au Maroc reçoit le taux français à la différence du Marocain, mais un Sénégalais qui a liquidé ses droits au Sénégal et qui vit en France n'a pas droit au taux français. On voit bien qu'il y a une véritable inégalité.
Cette réforme est donc un leurre. Je citerai quelques chiffres pour que l'on puisse en juger : lorsqu'un ancien combattant français perçoit 100 euros, un ancien combattant sénégalais qui percevait environ 40 euros perçoit désormais, avec la réévaluation, 46 euros, tandis qu'un ancien combattant marocain qui percevait 8 euros en perçoit désormais 14.
Cette situation est inacceptable ! Nous sommes, en effet, bien loin de l'égalité de traitement et de la dignité dues à ces personnes, comme à tout être humain. Où est l'équité dont vous parliez, monsieur le ministre ? D'autant plus que non seulement le critère de parité du pouvoir d'achat est inacceptable dans le principe, mais, dans les faits, les dispositions réglementaires effectivement utilisées ne respectent pas ce critère.
En réalité, les coefficients de parité utilisés, fondés sur le niveau de la vie, sont beaucoup plus faibles et largement plus défavorables que ceux qui sont fondés sur le coût de la vie et qui avaient été prévus par la loi.
D'ailleurs, le tribunal administratif, dans une décision rendue le 4 mai 2005, demande la revalorisation de la pension avec effet rétroactif, et il vous fait au passage une mise en garde : « pas question de lier la revalorisation au pouvoir d'achat ! »
Or vous avez préféré ignorer cette décision, qui rappelle que « seule est légale la stricte égalité de traitement entre anciens combattants français ou étrangers, quel que soit leur lieu de vie ».
Durant la Seconde Guerre mondiale et les guerres coloniales, sans que l'on exige d'eux qu'ils parlent français ou chantent la Marseillaise, et parfois même contre leur accord, les goums marocains, les spahis algériens, les tirailleurs sénégalais et tant d'autres, ont donné leur courage, leur jeunesse et, parfois, leur vie à la France. Alors pourquoi, aujourd'hui, n'est-il toujours pas question d'accorder aux combattants étrangers du Mali ou du Maroc le même niveau de pension qu'aux anciens soldats français ?
Cela fait près de cinquante ans que cette situation injuste perdure, près de cinquante ans que non seulement des familles entières sont plongées dans la misère et le désarroi, mais surtout que ces hommes voient ainsi leur dignité bafouée.
Quant à la France, elle a fermé le dossier à moindres frais, puisque cela lui coûte aujourd'hui 25 millions d'euros par an. Comme seuls les recours individuels sont possibles, le Gouvernement joue le temps, en comptant sur la disparition progressive de ces hommes âgés et dispersés dans le monde, sans moyen d'agir !
Ce déni de droit ne fait que renforcer les injustices connues pendant la période coloniale, mais il révèle aussi qu'un racisme institutionnel perdure.
Monsieur le ministre, quand allez-vous enfin mettre un terme complet à cette cristallisation et garantir l'égalité des droits en matière de pension et de retraite aux anciens combattants et fonctionnaires étrangers qui se sont mis au service de la France, quel que soit leur lieu de résidence aujourd'hui ?
Quand allez-vous abroger le décret et l'arrêté du 3 novembre 2003, qui maintiennent ces discriminations, et nous proposer un projet de loi visant à supprimer toutes les discriminations faites aux anciens combattants et fonctionnaires étrangers qui ont servi notre pays ?
Que faites-vous pour remédier aux blocages générant des discriminations de fait ? En effet, les neuf dizièmes des personnes concernées ne résident pas en France : pour des raisons d'éloignement géographique, couplées au fait qu'elles sont souvent d'origine sociale défavorisée, qu'elles ont des difficultés avec le langage administratif, et souvent de lourds handicaps liés à leur âge, elles ne disposent pas, dans les faits, de la possibilité d'utiliser les outils de droit, et donc de contester effectivement les décisions discriminatoires et illégales des administrations devant les tribunaux français.
Dès lors, pour ces personnes qui subissent une exclusion de droit et de fait, quels moyens pensez-vous mettre en place, auprès de nos ambassades et de nos consulats, pour faire respecter le droit reconnu dans les arrêts du Conseil d'État ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Madame le sénateur, vous avez décrit une situation difficile sur laquelle je suis entièrement d'accord avec vous, mais c'était la situation d'avant 2002, et cela nous a effectivement choqués lorsque nous sommes arrivés aux affaires.
En effet, ces hommes, qui ont combattu pour la France, qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes et qui, parfois, sont allés jusqu'au sacrifice suprême, étaient traités de façon « légère », pour ne pas dire plus !
Durant plus de quarante-cinq ans, j'y insiste, tous les gouvernements qui se sont succédé ont ouvert ce dossier et n'ont apporté aucune réponse. Il est à l'honneur du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin d'avoir apporté ces réponses.
Vous dites qu'il n'y a pas eu « décristallisation ». C'est inexact, madame le sénateur. Concrètement, le principe de la décristallisation a été inscrit dès la loi de finances rectificative pour 2002, puis mis en oeuvre par le décret du 3 novembre 2003.
Cette décristallisation a été observée avec la plus grande attention, car nous voulions faire en sorte qu'une autre iniquité ne vienne pas s'ajouter à celles que nous voulions corriger.
C'est ainsi que nous avons décidé, en effet, de recourir à la grille de parité du pouvoir d'achat de l'ONU. Ce mode de calcul permet de garantir aux anciens combattants ou ayants droit concernés un pouvoir d'achat équitable.
Vous avez cité tout à l'heure l'exemple des Sénégalais. Nous ne voudrions pas qu'en opérant une distribution nominale des droits de chacun l'on arrive à une iniquité qui frapperait alors les Français métropolitains.
Si, par exemple, un ressortissant sénégalais, vietnamien ou algérien, avec un taux d'invalidité équivalent à celui de ses camarades français à Paris, peut se procurer 10 kilos de sucre, alors qu'un autre peut s'en procurer 100 kilos, ce n'est pas équitable. C'est donc le pouvoir d'achat qui est important et non pas la distribution nominale, dont on veut nous faire croire qu'elle représente l'égalité.
Ainsi, il a été décidé, premièrement, une décristallisation et une actualisation des trois prestations qui étaient gelées et qui sont : la retraite du combattant, la pension militaire d'invalidité et la pension de retraite.
Deuxièmement, nous avons décidé d'accorder à toutes les veuves la réversion - qui était gelée - des pensions de retraite ou d'invalidité.
Troisièmement, nous avons décidé de permettre une révision des droits pour les pensions militaires d'invalidité en cas d'aggravation des infirmités initialement reconnues et indemnisées comme telles.
Quatrièmement, enfin, nous avons instauré un rappel de quatre ans, tenant compte de la révision de ces prestations.
Il s'agit là, madame le sénateur, d'une vaste opération de rétablissement de l'équité. La première année, 130 millions d'euros ont été consacrés à cette décristallisation, 132 000 prestations ont été concernées et ces indemnités ont profité à 83 000 pensionnés appartenant à vingt-trois pays différents.
Nombreux étaient ceux qui appelaient cette décristallisation de leurs voeux. Vous avez évoqué tout à l'heure la Seconde Guerre mondiale : elle ne constitue pas une spécificité, toutes les générations du feu ont droit aux mêmes règles d'attribution des pensions d'invalidité et des pensions de retraite. Quant aux tirailleurs, ce n'est qu'une subdivision d'arme : ils sont à l'infanterie ce que les spahis sont à l'arme blindée et à la cavalerie.
Nous n'avons donc pas de problème de conscience. Une équité parfaite a été établie, en s'appuyant sur la grille de parité du pouvoir d'achat de l'ONU. Nous aurions souhaité que les gouvernements qui nous ont précédés, notamment avant 2002, établissent cette équité, et nous regrettons beaucoup qu'ils ne l'aient pas fait !
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, il s'agit en effet d'une situation difficile qui perdure, que vous avez trouvée ainsi, mais aujourd'hui, en 2006, il est important d'y remédier. Or, la réponse que vous m'avez apportée est tout à fait insuffisante.
Vous nous avez parlé de 130 millions d'euros, mais, pour régler l'ensemble de ces dossiers, nous avons besoin de 1,83 milliard d'euros.
Vous avez mis en avant le principe de l'équité du pouvoir d'achat. Permettez-moi de relever un certain mensonge, qui justifie la poursuite de discriminations fondées sur des critères tout à fait douteux et contestables.
Prenons le cas du Maroc qui, selon le classement de la Banque mondiale, est le troisième pays d'Afrique pour son niveau de vie, après la Tunisie et l'Algérie. Or les pensions attribuées aux anciens combattants marocains pour la France sont les plus faibles de toute l'Afrique ; d'ailleurs, cette discrimination s'applique aussi aux Marocains qui vivent en France. Il s'agit donc d'une véritable spoliation, qui n'a pas trouvé de solution.
Je terminerai en disant que la mémoire partagée ne pourra être bâtie que si les discriminations et les dénis de justice s'arrêtent. En effet, ces hommes sont un symbole vivant de notre histoire commune, mais pour faire en sorte que cette mémoire perdure et qu'elle soit respectée, nous devons avant tout réussir à appliquer le principe de l'égalité des droits. La France ne pourra pas faire respecter, ni par sa jeunesse ni par les pays étrangers, ce qu'elle ne peut pas porter elle-même, c'est-à-dire les valeurs d'égalité des droits et de traitement.
Il est important, si elle veut faire valoir sa mémoire et sa parole, qu'elle accepte les décisions du Conseil d'État et des tribunaux.
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