Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 26/01/2006
Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le Premier ministre sur la question du droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers extracommunautaires aux élections locales. Leur participation aux élections, comme électeurs et candidats, a été régulièrement évoquée par de nombreux gouvernements sans jamais être instaurée. La lutte contre les discriminations ainsi que le devoir de mémoire, de justice et d'égalité imposent de mettre un terme à cette situation. Elle lui demande donc de préciser la position du Gouvernement sur ce sujet.
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Transmise au Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire
Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 01/02/2006
Réponse apportée en séance publique le 31/01/2006
Mme Alima Boumediene-Thiery. Aborder la question du droit de vote et de l'éligibilité des étrangers extracommunautaires est délicat, sensible, tout en étant essentiel au débat politique.
Cette question touche à l'essence même de ce qui constitue notre démocratie, à ce qu'elle est, à ce qu'elle peut et doit devenir.
La question du droit de vote des étrangers extracommunautaires est d'une portée éminemment supérieure. Elle relève de la justice, de l'égalité des droits, de la citoyenneté, de la revitalisation de notre système démocratique.
Il y va de la justice, notamment envers l'histoire. Ces hommes et ces femmes à qui est dénié le droit de vote se sont sacrifiés pour la France. Leurs parents ou eux-mêmes se sont battus sur le front militaire, durant les deux guerres mondiales ou en Indochine. Ils se sont également battus pour la France sur le front économique, en oeuvrant à la reconstruction de notre économie et de notre tissu social.
C'est aussi une question de justice sociale et de justice politique, car ces étrangers - qui, il est toujours bon de le rappeler, paient les mêmes impôts, taxes et cotisations que tous les Français - sont déjà inclus dans notre processus électif. En effet, c'est en considération du nombre d'habitants de nos villes, toutes nationalités confondues, qu'est déterminé le nombre d'élus locaux, lequel détermine à son tour le nombre d'élus à la Haute Assemblée.
Cela illustre une évidence : dans une ville, n'est étranger que celui ou celle qui n'y réside pas ! On peut être Malien, Vietnamien ou Marocain, tout en étant Parisien. Nous sommes citoyens de la cité où nous vivons notre quotidien !
Au demeurant, le succès de l'opération « votation citoyenne » organisée dans différentes villes de France par diverses organisations non gouvernementales et associations nous a apporté la preuve qu'il existe une véritable volonté de participation des premiers concernés, volonté approuvée, selon un récent sondage, par plus de 60 % de nos concitoyens.
Reconnaître le droit de vote aux ressortissants étrangers extracommunautaires répond également à une nécessité d'égalité.
Il ne peut y avoir égalité effective entre individus sans égalité face à la responsabilité politique : on ne peut exiger de ces personnes des devoirs et des obligations qui sont, normalement, le corollaire naturel de l'exercice de certains droits, dont celui de vote et de représentation.
Les élus locaux prennent des décisions pour la construction d'écoles, de routes, de centres sociaux et de nombreuses autres infrastructures. Celles-ci ne sont pas utilisées exclusivement par des Français ; d'ailleurs, comme je l'indiquais à l'instant, elles ne sont pas uniquement financées par eux : le labeur des étrangers a produit autant de briques pour les murs de nos écoles que le travail des Français.
Dès lors, il est inacceptable que soit exclu du processus de décision politique un pan entier de la population au seul motif que les individus concernés ne sont pas issus de l'Union européenne.
Octroyer le droit de vote aux étrangers extracommunautaires contribuera au renforcement de la notion de citoyenneté.
En effet, l'une des conséquences de la construction européenne a été la reconnaissance en France que citoyenneté et nationalité pouvaient se dissocier. Les résidents issus de l'Union, bien qu'allemands, italiens, britanniques ou belges, peuvent ainsi élire ou se faire élire à l'échelon local. Comment, dans ces conditions, faire comprendre aux plus jeunes que cela est possible pour certains étrangers, mais pas pour leurs parents, qui résident pourtant en France depuis parfois plus de cinquante ans ?
Étendre ce droit aux étrangers non communautaires permettrait de donner un aboutissement à ce processus, de le rendre complet. La France élargirait ainsi à tous le champ d'une citoyenneté de résidence qu'elle n'admet actuellement pas pour certains.
Enfin, franchir ce pas, historique et politique, contribuera à la profonde rénovation de notre démocratie, qui souffre, notamment, du double mal de la représentation et de la représentativité.
Cette rénovation constante s'effectue par strates : chaque fois qu'un palier supplémentaire est franchi dans la refondation de notre démocratie, c'est l'ensemble du processus qui est régénéré. Ainsi, en 1945, par l'octroi, enfin ! du droit de vote aux femmes, c'est la vocation universelle de notre démocratie et de notre République qui s'est trouvée confortée.
Il est temps qu'aujourd'hui, à l'instar d'autres pays d'Europe, nous accomplissions ce nouvel élargissement du corps électoral, condition sine qua non de la modernisation de notre démocratie.
Fondée sur une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés Verts, une proposition de loi a été déposée ici même, au Sénat, après maintes difficultés.
M. le ministre d'État n'a malheureusement pu être présent parmi nous aujourd'hui, et je le regrette, car, compte tenu de l'importance de la question, j'aurais souhaité qu'il puisse y répondre lui-même. En effet, alors que, comme de nombreuses personnalités au sein de votre famille politique, madame la ministre, il s'est exprimé en faveur de ce droit de vote, votre Gouvernement et sa majorité parlementaire ont refusé de saisir cette occasion et se sont opposés à la proposition de loi.
Face aux défis que lance la révolte des banlieues, expression du refus des discriminations, y compris politiques, ainsi que les mouvements appelant à un vrai débat sur la mémoire, vous semblez ne considérer cette question que comme un gadget électoral lancé à la presse pour soutenir les ambitions de certains.
Je vous demande donc quand le Gouvernement compte enfin inscrire à l'ordre du jour des débats du Sénat la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale le 4 mai 2000 ; à moins qu'il ne nous transmette un projet de loi organique visant à rétablir cette justice qui est due à tous nos citoyens. Cela devient une urgence pour notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, et croyez bien que j'en transmettrai tant le fond que le ton au ministre auquel elle était adressée.
Vous exprimez le souhait de voir conférer aux résidents étrangers non communautaires le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales.
Comme vous le savez, la conception française de la souveraineté nationale associe intimement nationalité et citoyenneté. L'article 3 de la Constitution, qui subordonne le droit de vote à la nationalité française, en est l'expression.
Une exception à ce principe a été introduite à la suite de la signature du traité de Maastricht par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992. En vertu de l'article 88-3 de la Constitution, complété en 1998 par une loi organique, les ressortissants communautaires résidant en France disposent désormais du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.
Faut-il aller plus loin et accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non communautaires en situation régulière et résidant depuis une certaine période sur notre territoire ?
Comme le montre une récente étude du Sénat - car il me paraît utile de disposer d'éléments de comparaison avec d'autres pays européens confrontés au même problème -, la situation de nos voisins est assez contrastée sur ce point : en Allemagne, en Italie et en Autriche, le droit de vote des étrangers non communautaires lors des élections locales est inconnu ; l'Espagne et le Portugal ont développé des systèmes fondés sur des conditions de réciprocité absolue ; d'autres pays, comme la Belgique, les Pays-Bas ou la Suède, sont allés plus loin en accordant le droit de vote aux étrangers qui résident sur leur territoire depuis plusieurs années ; enfin, l'Irlande est allée plus loin encore en ne subordonnant ce droit à aucune durée minimale de résidence.
Il est légitime que ce débat puisse être ouvert en France. Le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire l'a souvent répété, notre politique d'immigration se doit d'être à la fois ferme et humaine : ferme, car il faut avoir le courage de dire qu'il est impossible d'accueillir sur notre sol tous ceux qui désireraient y venir, et lutter, bien évidemment, contre l'immigration clandestine ; humaine, par le renforcement des droits des immigrés en situation légale. À ce titre, l'octroi du droit de vote aux élections municipales peut être un signe fort en faveur du renforcement de l'intégration des étrangers qui respectent notre loi, qui vivent sur notre sol et qui contribuent à la valeur de notre pays.
C'est là, madame la sénatrice, une question extrêmement importante du point de vue tant de la politique de l'immigration que de notre conception de la citoyenneté et, plus largement, de la démocratie et de l'intégration.
Une telle évolution de nos institutions exige un large débat préalable qui associe les élus, les associations et les citoyens, et qui porte sur l'ensemble des droits et des devoirs des Français et des étrangers vivant dans notre pays. Elle suppose aussi que le travail législatif puisse se développer de manière sereine et réfléchie, et que le temps nécessaire lui soit consacré. Votre question, madame la sénatrice, contribue à ce débat, et je ne doute pas que celui-ci se poursuive.
Nous le savons tous, la France est riche de sa diversité. Laissons-la donc s'exprimer, laissons-lui le temps de le faire avant de légiférer dans la précipitation.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la ministre, vous nous opposez bien sûr, au nom de la souveraineté nationale, l'impossible distinction entre nationalité et citoyenneté. Vous me permettrez cependant de souligner que ce qui a été possible en 1992 grâce au traité de Maastricht, et qui permet aujourd'hui à des Allemands, à des Italiens, qui ne sont pas ressortissants français, d'être néanmoins citoyens, devrait être possible également pour les autres.
Par ailleurs, il est dommage d'introduire dans ce débat la question de l'immigration : ce n'est pas le sujet. Au-delà de son rôle d'outil pour l'intégration, le droit de vote est avant tout un droit que doit pouvoir exercer toute personne vivant dans notre pays. En effet, la nationalité et la citoyenneté sont deux choses différentes : si la nationalité est un choix, la citoyenneté est un droit.
C'est en posant la question en ces termes que je souhaitais vous rappeler combien il est aujourd'hui urgent de lutter contre les injustices, contre les discriminations. Le droit de vote relève de ce combat.
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