Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 13/10/2005

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation de l'industrie de la chaussure en France en général et dans le bassin de Romans en particulier. Dans cette région quelques jours après le dépôt de bilan de Kélian intervenu fin août, l'entreprise Jourdan a été mise en redressement judiciaire. Si Jourdan devait fermer, ce serait 800 salariés, sous-traitants compris, qui se retrouveraient au chômage alors que le taux de chômage de l'agglomération est déjà de 16,7 %. Ainsi les 342 derniers emplois de Jourdan sur Romans (en 1971, l'entreprise comptait encore 2 000 salariés implantés sur les sites de Tournon, Annonay et Romans) seraient menacés. Quant à l'entreprise Kélian, ses effectifs sont passés de 620 en 1990 à pratiquement zéro aujourd'hui. Face au grand émoi suscité par ce désastre industriel et social, le procureur de la République a décidé le 16 septembre dernier de l'ouverture d'une enquête préliminaire sur les conditions de la liquidation judiciaire de Kélian. Elle doit être menée à terme. Par contre, les pouvoirs publics et en particulier l'Etat n'ont pour l'instant pris aucune mesure susceptible d'inverser le cours des choses. Pourtant à travers ces liquidations d'entreprises c'est l'avenir de la chaussure française qui est en jeu. Alors que, grâce à la présence d'outils pour la formation et la recherche et à l'existence d'un réel savoir-faire, il est possible de mettre en oeuvre un vrai projet industriel pour la chaussure au niveau national, la France s'engage dans ce domaine dans la voie de la désindustrialisation comme c'est déjà le cas pour les machines-outils, l'acier et la métallurgie notamment. Comme pour Hewlett Packard, par exemple, la question du remboursement des sommes encaissées au titre des fonds publics par les entreprises concernées se pose. Ne serait-il pas également important que tous les moyens soient mis en oeuvre pour rapatrier les marques (Kélian et Jourdan) et les licences d'exploitation en France et à Romans ? Au vu de la situation et dans le cadre d'un sauvetage de l'entreprise Jourdan, ne faudrait-il pas intégrer aux résultats de cette société le produit de la vente de ses magasins de Romans et Paris Champs-Elysées ? Pareilles circonstances exigent de conduire rapidement une vraie réflexion sur le devenir de la filière chaussure en France et à Romans. A cette fin, l'organisation d'une table ronde associant l'ensemble des partenaires et en premier lieu les salariés de ce secteur semble des plus urgente. Pour les tout prochains jours, ne serait-il pas logique que le comité interministériel d'aménagement du territoire prévu en octobre se saisisse de ce dossier important et avance vers la mise en oeuvre de telles propositions ?

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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 26/10/2005

Réponse apportée en séance publique le 25/10/2005

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation de la chaussure en France en général, mais aussi dans le bassin de Romans en particulier, dont la production de chaussures de luxe ne manque pas de clients.

Quelques jours après le dépôt de bilan de Kélian, l'une des trois marques présentes sur le site, intervenu à la fin du mois d'août, l'entreprise Jourdan a été mise en redressement judiciaire. Or, si Jourdan devait effectivement fermer, 800 salariés, sous-traitants compris, se retrouveraient sans travail, alors que le taux de chômage dans l'agglomération de Romans atteint déjà 16,7 %, ce qui est considérable. C'est ainsi que les 342 derniers emplois de Jourdan - je rappelle que l'entreprise en comptait 2 000 en 1971 - seraient menacés.

Bien évidemment, une telle situation ne va pas sans difficultés, et l'émotion est grande parmi les salariés, les élus et la population, l'industrie de la chaussure ne manquant pas de clients. En fin de compte, l'entreprise a pris l'engagement de céder la marque à tout repreneur pour une somme comprise entre 500 000 et 1 000 000 euros, ce qui constitue un premier pas. En fait, l'entreprise a accepté que la marque soit rapatriée ! Mais je ne m'appesantirai pas sur ce point.

Quant à l'entreprise Kélian, ses effectifs sont passés de 620 dans les années quatre-vingt-dix à pratiquement zéro aujourd'hui, ce qui, cette fois encore, ne va pas sans émotion, sans mobilisation.

Le procureur de la République a finalement décidé, le 16 septembre dernier, l'ouverture d'une enquête préliminaire sur les conditions de liquidation judiciaire de Kélian, enquête qui doit être menée à son terme.

Or, monsieur le ministre, si je vous interroge, c'est non pas pour vous demander d'influer sur la justice, mais parce que les pouvoirs publics ne nous semblent pas prendre les mesures nécessaires pour inverser ce cours des choses pour le moins néfaste.

Comme ce fut le cas pour Hewlett-Packard, se pose la question du remboursement des sommes encaissées au titre des fonds publics.

Par ailleurs, au vu de la situation et dans le cadre d'un sauvetage de l'entreprise Jourdan, ne faudrait-il pas intégrer aux résultats de cette société le produit de la vente de ses magasins de Romans et de Paris Champs-Elysées, qui rapportent beaucoup, comme chacun le sait.

A cette fin, l'organisation d'une table ronde ou tout au moins d'une réunion associant l'ensemble des partenaires dont, en premier lieu, les salariés de ce secteur nous paraît urgente et constituerait un signe du bon vouloir du Gouvernement.

Enfin, je souhaiterais savoir à quelles fins les fonds du comité interministériel d'aménagement et de compétitivité du territoire, le CIACT, affectés au bassin romano-pégeois sont mobilisés. Selon mes informations, 300 000 euros seulement seraient destinés aux actions de la filière chaussure, ce qui, si cela était avéré, serait fort regrettable. En effet, nous devons tout de même avoir à coeur, me semble-t-il, de défendre le savoir-faire de l'industrie de la chaussure française.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Loos, ministre délégué à l'industrie. Madame la sénatrice, vous venez d'évoquer la situation de l'industrie de la chaussure en France, en particulier dans le Romanais et, notamment, la régression historique de l'emploi dans cette région.

Dès l'annonce, les 22 et 24 août, de la liquidation de la société Stéphane Kélian, puis de l'ouverture de la période de redressement judiciaire de Charles Jourdan, le Gouvernement s'est mobilisé. D'ailleurs, le 25 août, soit le lendemain de l'annonce concernant la société Charles Jourdan, je me suis rendu, à la demande du Premier ministre, dans la Drôme avec mes collègues Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher afin de rencontrer les élus et les représentants des personnels.

Nous avons, sans attendre, annoncé aux acteurs locaux la préparation d'un contrat de site en faveur du bassin d'emplois de Romans et du nord de la Drôme, pour tenir compte des trop nombreuses réductions d'effectifs sur ce territoire et accélérer la création de nouveaux emplois ; il s'agissait là d'un premier élément indispensable. A cet effet, un sous-préfet a été rapidement nommé, qui est chargé de mission auprès du préfet de la Drôme, dans le but de coordonner l'élaboration de ce contrat de site.

Lors du comité interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires qui s'est réuni le 14 octobre dernier, c'est-à-dire voilà seulement quelques jours, le contrat de site a été décidé de manière formelle.

Ce contrat de site comportera trois volets - un volet « emploi », un volet « industrie-recherche » et un volet « politique de la ville » -, tous dotés de dispositifs d'intervention et faisant l'objet d'actions très précises envisagées dès maintenant.

Tout d'abord, le volet « emploi » mobilisera, dans le cadre d'une plate-forme de reclassement et de reconversion, l'ensemble des dispositifs d'intervention disponibles. Un accord de principe a ainsi déjà été donné pour la création d'une maison de l'emploi. Dans ce cadre, il est ainsi prévu de proposer aux salariés licenciés de bénéficier d'un appui personnalisé et d'actions de formation renforcées - convention de reclassement personnalisée du plan de cohésion sociale. De plus, des actions en faveur des sous-traitants des entreprises de la chaussure en difficulté sont d'ores et déjà prévues.

Par ailleurs, le volet « industrie-recherche » devrait comporter notamment des actions collectives pour la filière cuir-chaussure. De plus, la zone d'emplois de Romans est concernée par cinq pôles de compétitivité, et bénéficiera, pour deux d'entre eux, du zonage recherche et développement sur une partie de son territoire.

Enfin, le volet « politique de la ville » vise à renforcer les opérations urbaines existantes et à mettre en place de nouvelles interventions.

En résumé, nous avons très rapidement mis en oeuvre les instruments susceptibles d'apporter dans le domaine de la chaussure, mais aussi, bien évidemment, dans d'autres secteurs, des réponses aux inquiétudes que connaît ce département.

Par ailleurs, le tribunal de commerce de Rouen examine en ce moment les candidatures à la reprise de l'entreprise Charles Jourdan. Pour ce faire, il auditionnera le 26 octobre, c'est-à-dire demain, les différentes candidatures. Le Gouvernement, pour sa part, appuiera les options qui reprendront le plus grand nombre de personnels. Nous serons évidemment très attentifs à la condition de la disponibilité de la marque ; cela dit, je le répète, l'affaire est pendante devant le tribunal de commerce.

Au-delà du contrat de site, des décisions du tribunal de commerce et du soutien que l'Etat pourra apporter aux repreneurs, il faut, bien entendu, voir ce que l'on peut faire pour l'industrie de la chaussure en général. A cet égard, dès le 5 septembre dernier, j'ai reçu le président de la fédération française de la chaussure - il a également été reçu par mon collègue Gérard Larcher -, et nous sommes convenus de nous revoir pour approfondir certains points.

Cela dit, dès le 5 septembre, j'ai pu assurer le président de cette fédération du financement du comité interprofessionnel de développement des industries du cuir de la maroquinerie et de la chaussure, le CIDIC, et du centre technique du cuir, le CTC, organismes qui permettent de soutenir la présence des entreprises françaises du secteur sur les salons étrangers, de développer la création et de financer des actions d'innovation dans le secteur. Ce financement avait, il faut le dire, connu quelques interruptions ; notre volonté est de le relancer afin que les actions envisagées puissent se poursuivre dans les meilleures conditions.

Nous avons également prévu dans le projet de loi de finances pour 2006 une amélioration du crédit d'impôt création, le CIC, qui donnera droit dès l'année prochaine non seulement aux entreprises du cuir mais aussi à celles du textile et de l'habillement à une réduction d'impôt de 10 % de leurs dépenses en faveur de la création - cette réduction était jusqu'à présent de 5 % -, ce qui pourra évidemment leur permettre de faire la différence par rapport à leurs concurrents.

De la même façon, nous avons précisé que la défense de la propriété des dessins et modèles ferait partie de cette assiette.

Par conséquent, madame la sénatrice, il existe des dispositions spécifiques à la profession, et qui sont importantes pour le département, sans oublier le soutien clair du Gouvernement en faveur des différentes options de reprise de l'entreprise Charles Jourdan.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, je sais bien évidemment que de nombreux membres du Gouvernement se sont rendus dans la Drôme ; mais il en a fallu beaucoup pour en arriver là !

Certes, l'histoire de la chaussure ne date pas d'hier et le gouvernement auquel vous appartenez n'est donc pas responsable de tout.

Cela dit, les différentes propositions de reconversion ou de plan social ne correspondent évidemment pas au souhait de la population, laquelle sait parfaitement ce qui risque de se passer au bout de quelques mois. J'ajouterai que les gens sont, à juste titre, attachés au maintien de l'industrie de la chaussure française.

Vous avez tracé quelques pistes pour l'avenir, monsieur le ministre. Pour ma part, je suis très méfiante à cet égard, et il me semble - je me fais d'ailleurs en cela le porte-parole des élus et de la population concernés - qu'il faut vraiment tout faire pour conserver ce savoir-faire, afin de satisfaire les clients qui, n'en doutons pas, existent.

Ce n'est pas le coût du travail dans l'industrie de la chaussure qui pose des problèmes, celui-ci n'étant pas très important. Ce qu'il faut, c'est que l'Etat s'investisse pour conserver cette industrie.

Vous savez que Charles Jourdan est aujourd'hui une véritable nébuleuse qui ne compte pas moins de dix-sept sociétés. L'entreprise a été scindée en plusieurs sociétés et filiales, ce qui, en réalité, a facilité un véritable dépeçage de cette entreprise.

Il me semble donc nécessaire de prendre toutes les mesures pour prévenir, combattre et sanctionner de telles attitudes prédatrices qui entraînent des catastrophes sur l'emploi, donc sur la population tout entière.

Il est vrai que nous saurons le 26 octobre, c'est-à-dire demain, quel sera le repreneur de Charles Jourdan. A cette occasion, je le répète, monsieur le ministre, le Gouvernement doit prendre toutes les mesures destinées non seulement à défendre l'intérêt des salariés, mais aussi à assurer l'avenir de cette branche industrielle française.

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